Niger, l’apprentissage de l’exil pour les dignitaires d’hier

Surpris par le coup d’Etat du 26 juillet alors qu’ils se trouvaient à l’étranger en missions officielles ou en voyages privés, plusieurs dignitaires du régime nigérien renversé découvrent désormais les dures réalités d’un exil auquel ils ne s’étaient jamais préparés. 

Un article de Francis Sahel

Les jours fastueux où le Président Issoufou rêgnait sur le Niger

Il y a d’abord eu chez la plupart d’entre eux le choc du coup d’Etat fomenté par le général Abdourahamne Tiani, patron de la garde présidentielle. Un homme du système, presque le rempart censé protéger leur régime.

Ensuite est venu le temps de la désillusion qu’ils ne retrouveront plus jamais les ors de la république et les privilèges des fonctions qu’ils occupaient avant le 26 juillet.

Certains comme les anciens ministres du Pétrole Mahaman Sani Mahamadou, dit Abba (fils de l’ex-président Issoufou), celui de la défense Kalla Moutari, l’ex-ministre des Finances Ahmed Jidoud ou l’ancien ministre de l’Intérieur Hamadou Adamou Souley connaissent à présent les fers de la détention. 

Abuja, point de ralliement 

Après avoir échappé à l’enfer de l’emprisonnement parce qu’ils trouvaient en missions officielles ou en voyages privés hors du Niger,  de nombreux dignitaires du régime du président Mohamed Bazoum découvrent brutalement le poids de l’exil. Le plus illustre d’entre eux, Ouhoumoudou Mahamadou, le Premier ministre, se trouvait à Rome, en Italie, à une conférence internationale sur la sécurité alimentaire au moment du coup d’Etat. De retour à Paris, en transit pour Niamey où les frontières ont été fermées, l’ex-PM a gardé les privilèges dus à sa fonction, la France ayant décidé de reconnaître son régime comme seul représentant légitime du Niger. Malgré le coup d’Etat Ouhoumoudou Mahamadou avait même été reçu ès qualité au Quai d’Orsay par Catherine Colonna.

Les militaires au pouvoir à Niamey ont fini par lui couper les vivres, retirer le personnel affecté à son service (protocole, sécurité, etc.) et le priver de l’assistance de l’ambassade du Niger à Paris qui a basculé dans leur camp. L’ex-PM s’est alors résolu de prendre le chemin d’Abuja, au Nigéria, sans doute plus gérable pour un exil non préparé que Paris.

Dans la capitale fédérale du Nigeria, M. Mahamadou est presque chez lui : il connaît bien le terrain pour avoir travaillé pendant de nombreuses années à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En plus, des proches et des parents peuvent venir régulièrement du Niger, voisin pour lui rendre visite. Plusieurs autres dignitaires du pouvoir renversé ont choisi Abuja comme point de chute, faute de pouvoir rentré au Niger où les ministres les ont déclarés « en fuite » et passibles d’arrestations sitôt qu’ils auront posé pied dans le pays.

Outre les anciens ministres des Affaires étrangères Hassoumi Massaoudou, du Commerce Alkache Allada, de la Formation professionnelle Kassoum Moctar, de l’Energie et des Energies renouvelables Ibrahim Yacouba, Abuja sert de terre d’exil au général Abou Tarka ex-patron de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP) ainsi qu’à Daouda Takoubakoye, directeur de cabinet adjoint du président Bazoum jusqu’au coup d’Etat.

De Paris à Dakar  

Pris au piège du coup d’Etat alors qu’ils se trouvaient eux aussi à l’étranger, plusieurs autres dignitaires ont préféré d’autres destinations comme terre d’accueil. Ministre d’Etat à la présidence de la république au moment du putsch, Rissa Ag Boula a choisi de poser ses valises au quartier Saint-Germain, dans le 6ème arrondissement de Paris, où il avait déjà ses habitudes. C’est d’ailleurs de son « fief parisien » que l’ex-chef rebelle avait annoncé à la création du Conseil de résistance pour la république (CRR) en vue du retour à l’ordre constitutionnel et au rétablissement du président Bazoum.

Salamatou Gourouza, ex-ministre de l’Industrie, a défait ses valises à Dakar, une ville qu’elle connaît bien pour y avoir vécu de nombreuses années. Ancien directeur de cabinet adjoint à la présidence de la république, Oumar Moussa, a choisi, pour sa part, comme terre d’exil Liège, en Belgique, où il vivait avant de rentrer au Niger après la victoire du président Bazoum en 2021.  

Système D pour survivre 

Fini la gratuité du logement, de l’électricité, des billets d’avion, des soins médicaux. Bonjour les factures, les queues d’enregistrement dans les aéroports, les tapis bagages, les contrôles aux frontières effectuées naguère par les services du protocole ou les assistants affectés par l’Etat. Certains dignitaires du régime n’ont pas connu ces réalités de la vie ordinaire depuis de nombreuses années, tant ils ont toujours vécu aux frais et au crochet de la république depuis plus une décennie.

Avec l’effet de surprise provoquée par le coup d’Etat, ils doivent recourir au système de la débrouillardise (système D) pour faire face aux charges, surtout financières, de l’exil. Quelques-uns puisent dans des économies mises en lieu sûr à l’étranger avant même le coup d’Etat. Pourvu que cette épargne se trouve hors zone Union économique ouest-africaine (UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). En raison de l’embargo qui frappe le Niger les transactions bancaires avec les Etats membres de l’UEMOA sont impossibles à partir d’un compte bancaire ouvert au Niger.

D’autres dignitaires du régime renversé peuvent compter sur le soutien des leurs pour financer leur exil tant qu’il ne sera trop loin et trop coûteux. Des transferts d’argent ou des virements sont encore possibles vers des pays hors UEMOA.  D’autres encore bénéficient des largesses d’hommes d’affaires qu’ils ont aidés pendant qu’ils étaient aux affaires et qui leur renvoient aujourd’hui l’ascenseur, suivant le principe du bon vieil adage qui dit : « on ne reconnaît ses vrais amis que lorsqu’on est en difficultés ».  

 Il existe en outre un autre levier que pourraient actionner les anciens dignitaires nigériens contraints à l’exil : celui de la solidarité d’ex homologues avec lesquels ils ont tissé des liens personnels pendant les années de pouvoir. A cela s’ajoute enfin la générosité de plusieurs chefs d’Etat de la région dont le président ivoirien Alassane Ouattara, fervent défenseur du régime renversé, et qui aurait dépanné financièrement certains dignitaires du régime renversé qui se trouvaient déjà sur le carreau.  

Horizon incertain 

Bien plus que les dures réalités de l’exil, les dignitaires du régime renversé sont prisonniers d’un horizon incertain et bouché. En effet, dans le contexte actuel marqué par l’absence de la durée et du calendrier de transition, nul ne peut prédire combien de temps pourra durer leur nouvelle vie d’exilés, loin de leurs familles, loin de leur confort, loin de leurs habitudes. Une sorte d’épée de Damoclès pèse même sur certains d’entre eux avec les risques d’arrestation immédiate et de poursuites judiciaires s’ils revenaient au Niger.  

Entre la prison et la vie à l’étranger, le choix doit être amer pour toutes ces personnalités qui trônaient sur le toit de la République jusqu’au 26 juillet dernier et qui affrontent désormais le poids de l’exil. 

Francis Sahel 

1 COMMENTAIRE

  1. Eh oui ils affrontent les dures réalités de la vie de la plupart de leurs concitoyens ordinaires qu’ils dirigeaient jadis. Comme quoi, ces gens longtemps gavés avec l’argent du trésor public n’ont jamais connu guère les difficultés du citoyen lambda pendant qu’ils étaient aux affaires. Brutale est leur chute, en politique tout est éphémère, et il faut savoir s’y préparer dès le départ pour ne pas connaître une chute brutale surtout dans des pays qui n’ont que de démocratie, le “nom” comme le Niger.
    Au moins dans des démocraties comme telles, vous savez qu’une échéance électorale peut être la fin ou le regain d’une carrière, donc les politiques s’y préparent pour les deux réalités mais dans des pays qui n’ont que la démocratie que le nom comme le Niger et pays mal de pays, la fin d’une carrière politique, est toujours jamais prévue: tu peux dormir dans ta chambre la veille, et te retrouver le lendemain dans une cellule,rires, tant les coups d’État (justifiés à cause de la mauvaise gouvernance par exemple, ou parfois pas justifiés), les arrestations parce qu’on est accusé de complots ou on est tombé en disgrâce, sont légions.

    « Avec l’effet de surprise provoquée par le coup d’Etat, ils doivent recourir au système de la débrouillardise (système D) pour faire face aux charges », lol, cette phrase est vraiment drôle, mais au delà qu’elle soit drôle, elle est totalement cohérente et chargée de sens et de symboles par rapport à cette nouvelle vie de ces déchus du régime de Bazoum, eh oui ils deviennent dans le dur quotidien de la plupart de leurs concitoyens ordinaires qu’ils dirigeaient, dont ils disaient comprendre les souffrances quand il s’agissait de résoudre une affaire des populations, mais en réalité ils les comprenaient pas, car ils étaient déconnectés de la réalité de leurs citoyens mais en guise de faire croire à leurs citoyens qu’ils se tenaient de leurs côtés, quand il s’agissait de résoudre une affaire des populations, ils (ces déchus du régime Bazoum) prétendaient qu’ils comprenaient la difficulté de leurs concitoyens.
    Système D comme le slogan que Mobutu lançait à ses concitoyens: “Débrouillez-vous, Débrouillez-vous”, rires, pour leur dire que l’État ne pouvait pas tout faire, cet adage de Mobutu était un peu le renversement de la citation de Kennedy: « Américains, il ne faut se demander ce que les USA feront pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour l’Amérique ». Mais l’adage de Mobutu était plus un appel solennel de l’abandon des citoyens zaïrois par l’État, rires, et la citation de Kennedy était plus un appel à la responsabilité de chaque citoyen américain à œuvrer à faire développer le pays (quand bien entendu l’État a déjà donné le minimum vital à ses citoyens: eau, électricité, infrastructures, garantir une permanence des aliments via les entrepreneurs, car on peut pas appeler les citoyens à œuvrer pour le développement de leurs pays quand ces citoyens n’ont pas le minimum vital, voilà).

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