L’Union Européenne contestée pour son accord sur la pêche avec Rabat

L’Union européenne avait-elle le droit de signer avec Rabat un accord de pêche portant sur les eaux poissonneuses qui bordent le Sahara occidental ? Une furieuse bataille juridique est engagée dont l’issue pourrait prendre des mois.

Ian Hamel         

À Dakhla, la deuxième ville du Sahara occidental, à moins d’être un grand amateur de viande de chameau, il est difficile de refuser dans les restaurants le plat du jour, à base de poisson, à midi comme le soir. Au Talha Mar, gargote les pieds dans l’eau, la douzaine d’huitres est à moins de cinq euros et la langouste à huit. Cette longue bande côtière désertique de 230 000 km, coincée entre le Maroc au nord, l’Algérie à l’est et la Mauritanie au sud, possède les eaux parmi les plus poissonneuses du monde. Quand, dans les années soixante-dix, l’ancien colonisateur espagnol quitte le Sahara occidental, il n’oublie pas de signer un accord de pêche avec le Maroc, qui a pris possession du territoire. « Il fallait donner à manger aux grandes compagnies galiciennes qui, sans cela, auraient été obligées de mettre la clé sous la porte ». 

Ensuite, comme le raconte une enquête du site Off-investigation, parue en mars 2023, lorsque l’Espagne entre dans l’Union européenne, Bruxelles négocie avec Rabat un droit d’accès annuel  « versé en espèces sonnantes et trébuchantes directement à la Bank Al-Maghrib, la banque centrale marocaine en contrepartie de quoi les pêcheurs européens se servent au large des côtes marocaines et sahraouis » (*). En mai 1988, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, est reçu par le roi Hassan II à Rabat pour célébrer l’inclusion de l’Espagne et du Portugal dans cette coopération déjà ancienne. Le site révèle que Jacques Delors accueillera même son fils, l’actuel roi Mohamed VI, « pour un stage de six mois dans son cabinet à Bruxelles ».

Plus d’accord depuis juillet 2023      

Tout va très bien. Les Marocains empochent des millions d’euros, et les pêcheurs européens prélèvent des centaines de milliers de tonnes de poisson dans les eaux sahraouis. Seulement voilà, le Sahara occidental reste un territoire non autonome. Il n’appartient toujours pas au Maroc. Une “broutille“ qui a sans doute échappée aux très compétents juristes à Bruxelles pendant des années. Le problème, c’est qu’en 2011, Carl Haglund, un élu finlandais, s’intéresse à ces 36 millions d’euros versés par l’UE au Maroc au titre de la « compensation pour accès aux eaux ». L’Europe ne soutient-il pas le processus onusien d’autodétermination du peuple sahraoui ? Le député demande donc de bloquer la prolongation du protocole.     

Mais sous la pression des Espagnols et des Français, grands amateurs du poisson pêché au large des côtes du Sahara occidental, les accords ont été reconduits jusqu’en 2019, pour quatre ans. En 2021, la Cour de justice de l’UE a statué en faveur du Front Polisario, le parti indépendantiste, soutenu par l’Algérie, estimant que l’accord violait les droits des habitants du Sahara occidental. Pour Bruxelles, ce territoire est bien « séparé et distinct » de Royaume du Maroc. Que va-t-il se passer ? L’accord Maroc-UE de 2019 portant sur 208 millions d’euros sur quatre ans, en échange de 128 permis de pêche, a expiré en … juillet 2023.

Preuve que l’Union européenne n’est pas très pressée de reconnaître qu’elle navigue depuis des décennies dans des eaux troubles. Malgré tout, la situation est devenue intenable, il va bien falloir trancher. On ne peut pas laisser des chalutiers continuer à pêcher indéfiniment en tout illégalité. Selon un proche du dossier, un avocat français travaillant pour le Front Polisario, que Mondafrique a pu joindre, une décision devrait être prise d’ici l’automne. Mais que peut-il se passer ensuite ? Un compromis entre Rabat et les indépendantistes soutenus par l’Algérie ? Cela risque de prendre encore des années.

 

 

 

(*) Florence Autret, « Sahara occidental. L’Europe complice d’une colonisation illégale », 4 mars 2023.