Dans Il faut qu’on en parle : Prélèvement, transplantation, don et trafic d’organes en République démocratique du Congo, Trésor Ebamu Fankana explore avec courage les zones d’ombre entourant le don et le trafic d’organes en RDC. Une enquête captivante au cœur d’un sujet tabou, qui interroge notre responsabilité collective face aux dérives d’un progrès médical mal encadré.
Dans un monde où les prouesses médicales repoussent sans cesse les limites de la vie, la question du prélèvement et de la transplantation d’organes soulève des dilemmes éthiques complexes. Avec son ouvrage Il faut qu’on en parle, Trésor Ebamu Fankana, analyste politique à Kinshasa, explore ce sujet sensible dans le contexte singulier de la République démocratique du Congo. À travers une enquête fouillée, nourrie de témoignages d’experts et d’une analyse fine des textes légaux, l’auteur tente de faire la lumière sur une réalité trouble, où les immenses espoirs suscités par la greffe d’organes se heurtent aux risques de dérives criminelles.
Un cadre légal et éthique défaillant
Car si la transplantation est incontestablement une avancée médicale majeure qui sauve chaque année d’innombrables vies, elle peut aussi, quand le cadre légal et éthique est défaillant, ouvrir la voie à un trafic sordide où les plus vulnérables deviennent un réservoir d’organes pour les plus riches. C’est précisément ce qui inquiète Trésor Ebamu Fankana dans un pays comme la RDC, fragilisé par la pauvreté et les conflits. Malgré les démentis officiels, les rumeurs sur l’existence de réseaux criminels persistent, alimentées par des disparitions suspectes et des témoignages glaçants, comme celui de ce prisonnier qui affirme « avoir été recruté pour enlever des personnes dans le but de leur faire prélever des reins par des spécialistes ».
L’auteur pointe du doigt « les failles en matière de sensibilisation et de réglementation [qui] laissent des failles qui pourraient favoriser les pratiques de prélèvement illégal et illicite d’organes en RDC ». Il s’alarme notamment de l’absence de « banque de données » officielle pour recueillir et conserver les consentements au don d’organes. Un vide qui laisse le champ libre à toutes les dérives.
Face à ces indices troublants, Trésor Ebamu Fankana s’est plongé dans les méandres du droit congolais pour tenter de comprendre comment de telles dérives sont possibles. Il met en lumière les lacunes béantes de la loi n° 18/035 du 13 décembre 2018 qui, si elle affirme l’interdiction du trafic d’organes, ne prévoit aucune sanction pénale en cas d’infraction. « Cette disposition laisse entrevoir que le législateur n’a prévu aucune sanction », déplore-t-il. Un angle mort juridique d’autant plus préoccupant que le pays ne dispose d’aucune structure officielle de transplantation ni de l’expertise médicale nécessaire pour encadrer ces actes. « L’absence de cas légalement enregistré n’est pas nécessairement synonyme d’inexistence », souligne justement l’auteur.
Une population tenue dans l’ignorance
Autre sujet d’inquiétude : l’extrême méconnaissance de la population sur ces questions. « Ignorer les alertes et les témoignages concernant le trafic d’organes sans mener d’enquêtes approfondies pourrait mettre la population en danger », insiste Trésor Ebamu Fankana. Il appelle de ses vœux de grandes campagnes d’information, rappelant qu’en RDC, « de nombreux citoyens ignorent que, après leur mort, ils peuvent être donneurs d’organes avec le consentement de leurs proches et qu’ils ont également la possibilité de décider de leur vivant s’ils souhaitent être donneurs après leur décès ».
Mais au-delà du constat alarmant, Il faut qu’on en parle se veut avant tout un appel à une large réflexion éthique impliquant autorités, professionnels de santé et société civile. Car pour l’auteur, seule une prise de conscience collective permettra de combler les angles morts de la loi et de mettre en place les garde-fous indispensables. Il en appelle à « une réflexion continuelle afin de garantir un climat de confiance sur ce sujet qui est à la fois bénéfique sur le plan vital, mais aussi criminel par son côté lucratif ». Parmi les pistes avancées : la création d’un comité national de bioéthique, le renforcement de la coopération internationale, mais aussi une vigilance accrue des citoyens pour signaler toute disparition suspecte.
En s’attaquant à un tabou aussi puissant dans une société profondément marquée par les croyances traditionnelles, Trésor Ebamu Fankana fait œuvre salutaire. Son ouvrage accessible et minutieusement documenté offre un éclairage inédit sur un trafic qui prospère dans l’ombre et bénéficie trop souvent d’une chape de silence. Au fil des pages, il démonte avec rigueur les rouages d’un système criminel qui s’appuie sur l’asymétrie entre pays riches, où les besoins en greffons explosent, et pays pauvres, devenus malgré eux des viviers de donneurs à bas coût. « Les pays tiers sont souvent touchés par le trafic d’organes pour diverses raisons, telles que des enjeux politiques, de sécurité et socio-économiques, mais la pauvreté est généralement le facteur principal », analyse-t-il.
Mais l’auteur se garde bien de toute posture moralisatrice. Il aborde au contraire ces enjeux vertigineux avec mesure et nuance, prenant soin de toujours resituer la transplantation dans sa finalité première : sauver des vies. Comme il le rappelle justement, « la transplantation d’organes humains est une avancée technologique médicale qui permet de soigner et de guérir des maladies rénales, hépatiques, pancréatiques, pulmonaires, cardiaques, intestinales et autres en phase terminale ». Un progrès qu’il serait absurde de rejeter en bloc sous prétexte qu’il peut générer des abus.
La nécessité d’une vigilance éthique
C’est là toute la force de ce livre : nous inviter à penser la transplantation dans toute sa complexité, comme un outil médical infiniment précieux mais dont l’utilisation requiert la plus grande vigilance éthique. Car en incitant chacun à « veiller pour protéger les plus vulnérables, dont les enfants », l’auteur place la responsabilité au cœur de son propos. Responsabilité des autorités, bien sûr, qui doivent de toute urgence se doter des outils légaux pour prévenir et réprimer le trafic d’organes. Mais aussi responsabilité des citoyens, appelés à faire preuve de discernement face aux rumeurs et à signaler tout fait suspect.
Parce qu’il est des silences qui tuent et des vérités qui délivrent, Trésor Ebamu Fankana nous offre ici les clés pour comprendre et agir, afin que la transplantation reste en RDC un formidable espoir pour les malades et non le trafic des pires mafias. Il faut qu’on en parle, assurément. Pour qu’un autre futur s’écrive.
Il faut qu’on en parle : Prélèvement, transplantation, don et trafic d’organes en République démocratique du Congo de Trésor Ebamu Fankana aux Éditions Jets d’Encre – 116 pages.