Les mollahs iraniens ne peuvent plus reculer face à Israël !

Longtemps, l’Iran a menacé de frapper directement Israël, sans passer directement à l’action, en laissant le soin à ses divers mandataires dans la région. Pourquoi les dirigeants de la République islamique ont-ils fini par se décider, le 1er octobre, à bombarder le territoire israélien ?


Shahram Akbarzadeh Convenor, Middle East Studies Forum (MESF), and Deputy Director (International), Alfred Deakin Institute for Citizenship and Globalisation, Deakin University

L’Iran a tiré quelque 180 missiles balistiques sur Israël au cours de la nuit du 1er au 2 octobre. Avec l’aide des États-Unis, Israël a abattu la plupart des missiles. Il n’empêche : le Moyen-Orient est au bord d’une guerre régionale qui serait sans doute dévastatrice.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a immédiatement promis de riposter à cette attaque, qu’il a qualifiée de « grosse erreur » dont l’Iran « paiera le prix ».

Ce qui est sûr, c’est que les frappes iraniennes marquent un changement radical dans le positionnement de Téhéran après des semaines d’attaques israéliennes contre les dirigeants et les combattants de ses alliés le Hamas et le Hezbollah, respectivement à Gaza et au Liban.

 

Jusqu’ici, l’Iran laissait le Hezbollah et le Hamas combattre pour lui, refusant d’être entraîné dans une confrontation directe avec Israël, ayant bien conscience qu’un tel développement plongerait le pays dans le chaos et pourrait avoir de graves conséquences pour le régime.

Lorsque le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été tué à Téhéran le 31 juillet, les dirigeants iraniens ont déclaré qu’ils réagiraient de manière appropriée. Mais c’est au Hezbollah qu’ils ont confié cette mission.

Alors qu’Israël intensifiait sa campagne militaire contre le Hezbollah au Liban ces dernières semaines, un autre groupe mandataire de l’Iran, les rebelles houthis au Yémen, a lancé des missiles et des drones sur des villes israéliennes et des destroyers américains dans la mer Rouge. Israël a répondu par des frappes aériennes sur le Yémen.

L’Iran semblait alors se contenter de rester sur la touche et rechigner à jouer son rôle de leader de ce que l’on appelle « l’axe de la résistance » en défiant ouvertement Israël. Une position qui devenait difficilement intenable alors que ses alliés étaient tous aux prises avec l’État hébreu.

La lutte contre Israël est un pilier de l’identité de l’État iranien, largement fondée sur le principe de défier les États-Unis et de libérer les territoires palestiniens occupés par Israël. Ces éléments sont ancrés dans l’identité de l’État iranien. Par conséquent, si l’Iran n’agit pas sur la base de ce principe, il risque fort de saper sa propre identité.

Un camion transportant un missile passe devant une photo du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, lors d’un défilé militaire à Téhéran. Abedin Taherkenareh/EPA

Un délicat exercice d’équilibre

Sur le plan intérieur, le régime iranien souffre d’une grave crise de légitimité. De nombreux soulèvements populaires ont eu lieu dans le pays ces dernières années, notamment le vaste mouvement « Femme, vie, liberté » qui a éclaté à la suite de la mort de Mahsa Amini en garde à vue, où elle se trouvait pour avoir prétendument mal porté son voile.


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En outre, de nombreuses personnes en Iran remettent en question l’identité anti-américaine et anti-israélienne du régime et son engagement dans un conflit perpétuel avec ces deux pays.

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Les autorités iraniennes craignaient donc qu’une confrontation directe avec Israël et les États-Unis ne libère ces voix dissidentes internes et ne menace sérieusement la survie du régime. C’est cette menace existentielle qui, jusqu’ici, avait empêché l’Iran d’agir conformément à ses principes.

Des personnes bloquent un carrefour en Iran lors d’une manifestation contre la mort en détention de Mahsa Amini en 2022. AP

En outre, l’Iran a depuis peu un nouveau président, Massoud Pezechkian, qui appartient au camp réformiste et a pour objectif d’améliorer les relations de l’Iran avec l’Occident. Il a parlé de relancer l’accord sur le nucléaire iranien avec la communauté internationale, indiquant ainsi que Téhéran serait prêt à discuter avec les Américains.

Mais la dynamique régionale a complètement changé depuis que cet accord a été négocié avec l’administration Obama en 2015. L’Iran est un État paria depuis quelques années, et encore plus depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas il y a un an.

Actuellement, aucun pays occidental ne jugerait approprié ou politiquement opportun d’engager avec l’Iran des négociations sur le dossier nucléaire qui permettraient d’alléger les sanctions internationales qui pèsent sur le régime. Ce n’est pas envisageable en cette période où l’Iran appelle ouvertement à la destruction d’Israël, soutient le Hezbollah et le Hamas dans leurs attaques contre l’État hébreu, et s’engage désormais directement dans la confrontation avec Israël.

Le moment est donc très mal indiqué pour que Pezeshkian parvienne à réparer les dommages causés à la réputation mondiale de l’Iran au cours de ces dernières années.

Le président iranien Masoud Pezeshkian s’adressant à l’Assemblée générale des Nations unies le mois dernier. Pamela Smith/AP

Il reste que, en fin de compte, ce n’est pas le président qui mène la danse en Iran : ce sont le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et le Conseil suprême de sécurité nationale qui examinent les questions de guerre et de paix et décident de la marche à suivre. Le guide suprême est également le chef de l’État et nomme le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique.

Depuis le début de la guerre à Gaza, les généraux des Gardiens de la Révolution plaident en faveur d’une action plus résolue contre Israël. Et il semble que le guide suprême ait finalement écouté ces conseils.

Le régime a donc jusqu’ici maintenu un équilibre délicat entre ces deux facteurs : la préservation de l’identité de l’État iranien et de ce qu’il représente dans la région, et la nécessité de gérer les dissensions internes et d’assurer sa survie.

Dans des circonstances normales, l’Iran parvenait à maintenir cet équilibre. Il pouvait gérer ses opposants internes par la force brutale ou l’apaisement, et promouvoir une politique étrangère agressive dans la région.

Aujourd’hui, la balance a penché. Du point de vue iranien, Israël a fait preuve d’une telle audace dans ses actions contre ses mandataires qu’il n’était plus possible que Téhéran continue à rester sur la touche, sans agir. D’où ce passage à l’action qui expose le régime à un niveau de risque qu’il estime acceptable.

Une fresque murale anti-américaine à Téhéran. Abedin Taherkenareh/EPA

Et maintenant ?

En attaquant Israël, l’Iran a pris le risque de subir des représailles directes et de voir éclater une guerre totale.

L’évolution du conflit régional correspond aux projets de Nétanyahou. Il a préconisé de frapper l’Iran et de faire en sorte que les États-Unis le fassent. Aujourd’hui, Israël a la possibilité de riposter contre l’Iran et d’entraîner les États-Unis dans le conflit.

L’ensemble du golfe Persique pourrait être impliqué dans le conflit, car toute riposte d’Israël et peut-être des États-Unis rendrait les actifs américains dans le golfe Persique, tels que les navires de guerre et les navires commerciaux, vulnérables aux attaques de l’Iran ou de ses alliés. Cela pourrait avoir des conséquences majeures pour le commerce et la sécurité dans la région.

C’est ainsi que les choses se présentent. L’Iran savait que ses frappes auraient des conséquences ; il pense être prêt à en supporter le coût. Les prochains jours et les prochaines semaines permettront de mieux savoir si c’est bien le cas.