Malgré l’accord de la commission militaire 5+5 en 2021, l’armée reste divisée entre les forces de l’Est (soutenant Haftar) et les milices de l’Ouest. Cette scission est inévitable, selon l’excellent analyste Hazem Rays: « Il est illusoire de compter sur la commission mixte militaire pour obtenir des résultats. Depuis sa création, elle n’a pas rempli ses obligations : le cessez-le-feu reste fragile (comme l’a souligné l’ONU), les mines ne sont pas retirées, les mercenaires et forces étrangères sont toujours présents, les milices ne sont pas désarmées, et aucune feuille de route crédible pour l’unification militaire n’a été proposée. On ne peut attribuer à la commission un rôle qu’elle est incapable d’assumer. »
Une chronique de Bechir Jouini, universitaire
Près de cinq ans après la signature de l’accord de « cessez-le-feu » à Genève entre les belligérants libyens, le pays riche en pétrole continue de naviguer dans les méandres d’une politique tortueuse, sans réels progrès vers la stabilité.
Signé le 23 octobre 2020 sous les applaudissements de la communauté internationale, cet accord devait ouvrir la voie à une réconciliation politique entre l’Est et l’Ouest de la Libye, divisés depuis des années. Pourtant, selon des observateurs, « l’écart ne cesse de se creuser entre les factions rivales, tant sur le plan politique que militaire », alors qu’un rapprochement avait un temps laissé espérer la fin du clivage institutionnel.
Le maréchal Haftar reste fort militairement
De nombreux Libyens constatent une accélération des manœuvres militaires et politiques de l’Est vers le Sud, au détriment du camp de Tripoli, qui se replie sur l’Ouest. Haftar contrôle toujours l’est de la Libye, notamment la Cyrénaïque, et possède une base militaire solide autour de Benghazi et d’autres villes stratégiques. Il conserve aussi un contrôle sur certaines zones du sud du pays riches en ressources (notamment pétrolières). Autant de leviers importants.
La Commission militaire mixte (5+5), chargée d’appliquer l’accord, n’a toujours pas rempli ses engagements, notamment le décompte conjoint des mercenaires et forces étrangères, leur regroupement dans des zones désignées, et leur retrait progressif.
« L’absence d’avancées politiques est le principal obstacle à la pleine mise en œuvre du mandat de la Commission ». Stephanie Khoury, adjointe du Représentant spécial de l’ONU pour la Libye (UNSMIL)
L’accord prévoyait pourtant :
- Un cessez-le-feu immédiatdès sa signature ;
- Le retrait des forces militaires des lignes de front et leur retour dans leurs bases ;
- L’expulsion de tous les mercenaires et combattants étrangers;
- Un gel des accords militaires autorisant des entraînements étrangers sur le sol libyen.
Les parties avaient aussi convenu de former une unité militaire réduite, supervisée par la Commission (5+5), pour surveiller les violations et faciliter la transition.
Cependant, le processus politique reste bloqué par l’intransigeance des factions. Pire encore, la scission au sein du Conseil d’État – entre partisans de l’actuel président Khaled Al-Mechri et ceux de l’ex-président Mohamed Takala – pourrait « l’achever », aggravant ainsi la paralysie politique
Menaces terroristes
Des cellules de Daech restent actives dans le Sud, tandis que les frontières avec le Niger, le Tchad et le Soudan demeurent poreuses.
Depuis la chute de Kadhafi en 2011, la Libye reste un terrain propice à l’instabilité et au terrorisme. Entre 2021 et 2025, le pays a connu à la fois des avancées significatives dans la lutte contre le terrorisme et des défis majeurs, notamment l’expansion de groupes armés et la persistance de cellules dormantes.
L’État islamique (EI) (1) avait été défait à Syrte fin 2016. Mais son retour opérationnel s’est fait sentir dès 2017, confirmé en 2018 et amplifié avec l’offensive du maréchal Haftar vers l’ouest en avril 2019 (qui laissait le champ libre à l’est et au sud). Les événements marquants entre 2021 et 2025 sont les suivants
- 2021 : Émergence de nouvelles factions
- Des groupes affiliés à Daech ont mené des attaques, notamment à Sebha (mafrag el mazig) et dans le Sud, (juin2021)
- 2022-2023 : Reflux relatif mais menace latente
- Les forces libyennes, appuyées par les frappes américaines et européennes, ont éliminé plusieurs chefs terroristes notament l operation « al bynyan » (rapport de l’ONU, 2022).
- Pourtant, en octobre 2023, une attaque contre le champ pétrolier d’El-Shararaa rappelé la vulnérabilité des infrastructures économiques.
- 2024-2025 : Résurgence et nouveaux défis
- La porosité des frontières avec le Tchad et le Niger a facilité le trafic d’armes et le recrutement de combattants
Les défis persistants
- Faiblesse des institutions: Malgré la création d’un gouvernement d’unité, la division entre l’Est et l’Ouest entrave la coordination antiterroriste.
- Présence de mercenaires étrangers: Environ 10 000 combattants étrangers (selon l’ONU) restent actifs, exacerbant l’insécurité.
- Radicalisation en prison: Des rapports locaux alertent sur le recrutement en milieu carcéral
Il reste que les acquis obtenus par la coopération internationale ne sont pas insignifiant.
- Un renforcement des capacités militaires: La Libye a bénéficié d’une aide américaine et européenne (50 millions $ en 2023 pour la formation des forces spéciales).
- Des succès opérationnels: En 2025, une opération conjointe avec les États-Unis a neutralisé un réseau de financement du terrorisme à Derna.
- Une stratégie de stabilisation: L’Union européenne a lancé un programme de désarmement des milices (EUBAM Libya).
Un équilibre fragile
Si des progrès tactiques sont visibles, la stabilité à long terme dépendra :
- D’une réconciliation nationale
- Du désarmement des groupes armés.
- D’une coopération transfrontalière renforcée (notamment avec le Tchad et le Niger).
« La Libye ne pourra éradiquer le terrorisme sans un État unifié et des forces sécuritaires légitimes », a déclaré Jan Kubis, ancien envoyé de l’ONU (2021).
Une transition bloquée
Quatre ans après la formation du gouvernement d’unité, la Libye reste dans une transition bloquée, minée par les divisions politiques, la gestion chaotique des ressources et la mainmise des milices. Une solution durable nécessiterait :
- Un dialogue national inclusif
- Une réconciliation préalable aux élections
- Une réforme en profondeur des institutions
- Un consensus international notamment au sein de conseil de sécurité
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