Quatre ans après la nomination du Gouvernement d’union nationale (GUN) dirigé par Abdelhamid Dbeibeh en mars 2021, la Libye demeure engluée dans une transition politique aussi fragile que chaotique. Porté par les Nations unies(UNSMIL) et acclamé par une communauté internationale avide de stabilité dans ce pays clé de la Méditerranée, ce gouvernement devait réconcilier un pays fracturé depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Ce qu’il n’est pas parvenu à faire.
Entre élections avortées et divisions institutionnelles renaissantes, le rêve d’une Libye unifiée s’est heurté à la réalité des calculs géopolitiques régionaux et aux rivalités locales.
La nomination du gouvernement d’unité nationale (2021)
En ce mois de mai 2025, Abdel Hamid Dbeibah est toujours le Premier ministre reconnu par la communauté internationale en Libye. Il dirige le Gouvernement d’unité nationale (GNU), basé à Tripoli, depuis sa nomination le 5 février 2021. Abdelhamid Dbeibah avait été élu à la tête d’un nouveau gouvernement d’unité nationale lors du Forum de dialogue politique libyen parrainé par l’ONU. Ce mécanisme, créé par la Mission des Nations Unies en Libye (unsmil), visait à promouvoir le dialogue entre les factions libyennes rivales.
Le Conseil des représentants libyen (Parlement) avait accordé sa confiance au gouvernement d’union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah, qui s’était également attribué le portefeuille de la Défense en attendant un consensus sur un successeur (qui n’a toujours pas été trouvé à ce jour). Son gouvernement avait obtenu une large majorité, avec plus de 130 voix pour et seulement deux contre, reflétant un soutien quasi unanime. Tout allait pour le mieux dans la meilleure des Libyes possibles
Ce gouvernement comptait 27 ministres, dont deux femmes : l’une nommée ministre de la Justice(Halima bousifi) et l’autre, Najla El-Mangoush, comme ministre des Affaires étrangères.) limogée le 23 août 2023 suite à une rencontre avec son homologue israélien à Rome

Dans son discours devant le Parlement réuni à Syrtes après le vote de confiance, Dbeibah a appelé les députés à « dépasser les haines et les guerres » et s’est engagé à « respecter les délais de la phase transitionnelle ». Au départ, les réactions sont positives malgré les divisions passées
- Le gouvernement d’accord national(Tripoli), dirigé par Fayez al-Sarraj, ainsi que les autorités de l’Est libyen, ont salué le vote et affirmé leur volonté de transférer le pouvoir au nouveau gouvernement.
- Fathi Bashagha, ancien ministre de l’Intérieur (et originaire de Misrata, comme Dbeibah), a qualifié ce vote de « jour historique, marqué par l’unité nationale et la préservation de la Libye ».
- La Mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL)a décrit la réunion du Parlement comme « historique », saluant « une session unifiée après des années de divisions ».
- Le gouvernement a également reçu un large soutien international, d’autant plus que le vote de confiance a eu lieu lors de la première session plénière du Parlement depuis des années, coïncidant avec le succès des efforts diplomatiquespour un cessez-le-feu permanent (accord signé à Genève le 23 octobre 2020 sous l’égide de l’ONU).
Les défis à relever
Le nouveau gouvernement devra faire face à de multiples crises :
Une économie en berne
Un chômage élevé
Des services publics dégradés
Le départ des mercenaires étrangers(estimés à 20 000), que Dbeibah a qualifiés de « poignard dans le dos de la Libye ».
Un navire de guerre détruit à la base navale de Tripoli, en Libye
Décembre 2021 : L’échec électoral, un tournant
Prévues pour le 24 décembre 2021, les élections ont été suspendues en raison de divergences sur les conditions de candidature, notamment concernant la double nationalité et le rôle des militaires en politique.
Cependant, la réalité s’est avérée bien différente. Alors que tous se réjouissaient de la formation d’un gouvernement d’union nationale, les événements ont pris une tournure inattendue. La feuille de route adoptée par le Dialogue politique libyen à Genève fin 2020, qui avait conduit à la formation du gouvernement d’Abdul Hamid Dbeibeh avec pour mission principale de conduire le pays vers des élections présidentielles et législatives, a fini dans une impasse en raison de l’échec à organiser ces élections à la date prévue.
Les premiers signes de cet échec sont apparus progressivement
- L’incapacité du gouvernement d’union nationale à étendre son autorité sur tout le territoire
- L’empêchement de l’avion du Premier ministre Dbeibeh d’atterrir à Benghazi
- Les candidatures controversées à la présidentielle des principaux candidats:
La crise électorale a atteint son paroxysme lorsque la Haute Commission électorale (HNEC) et le pouvoir judiciaire n’ont pu trancher sur la légalité de ces candidatures. En janvier 2022, le président de la Commission électorale, Emad Al-Sayeh, a révélé des « obstacles sécuritaires, judiciaires et politiques constituant une force majeure » empêchant la tenue des élections.
Dans son briefing devant le Parlement, Al-Sayeh a précisé :
- Des fraudes massives dans les dossiers des candidats nécessitant un examen approfondi
- « Des falsifications flagrantes de signatures de parrainage«
- « Des fraudes plus subtiles nécessitant un long temps de vérification »
- L’impossibilité pour les forces de sécurité d’appliquer leur plan de sécurisation
Le contexte sécuritaire était particulièrement tendu :
- Incidents dans plusieurs centres électoraux en Libye occidentale
- Le siège armé du tribunal de Sebha (Sud) pendant plusieurs jours
- Pression pour réintégrer la candidature controversée de Seif al-Islam Kadhafi
Cette situation a conduit à l’annonce officielle du report des élections, plongeant le processus politique libyen dans une nouvelle incertitude. Les observateurs internationaux ont alors commencé à s’interroger sur la viabilité du processus de transition miné par les dissensions après 2022.
Fathi Bachagha, deuxième Premier ministre
Nommé Premier ministre après un vote de la Chambre des représentants du parlement de Tobrouk (1), Fathi Bachagha est censé prendre la succession d’Abdulhamid Dabaiba. Mais ce dernier, toujours reconnu par l’ONU, n’entend pas céder sa place.
En février 2022, le Parlement a retiré sa confiance au gouvernement Dbeibah et a chargé Fathi Bachagha, né le 20 août 1962 à Misrata et ministre de l’Intérieur du gouvernement d’union nationale d’octobre 2018 à mars 2021, de former un nouveau gouvernement, ramenant le pays à une situation de dualité institutionnelle.
Le report du scrutin électoral a exacerbé les divergences sur la légitimité du gouvernement Dbeibah. Deux camps se sont clairement dessinés :
- Ceux estimant que le mandat du gouvernement expirait avec la date butoir des élections prévue par la feuille de route
- Ceux considérant que sa légitimité persistait jusqu’à la passation de pouvoir à un gouvernement élu

La bataille institutionnelle
Le 10 février 2022, le Conseil des représentants, réuni à Tobrouk, a modifié la déclaration constitutionnelle pour permettre la désignation d’un nouveau Premier ministre. Parmi sept candidats, seuls Fathi Bashagha et Khaled al-Bibas ont obtenu des parrainages. Dans une session marquée par le chaos et des accusations de fraude, le président du Parlement Aguila Saleh a proclamé l’adoption des amendements et la désignation de Bashagha.
Anticipant cette décision, Dbeibah a refusé toute passation de pouvoir à un gouvernement non élu, évoqué la résistance populaire de Tripoli à toute prise de pouvoir par la force, maintenu que seul le Conseil présidentiel pouvait modifier le gouvernement selon l’accord de Genève, proposé des élections pour l’été 2022 et créé une commission pour rédiger une nouvelle loi électorale
La position du Conseil d’État, dirigé par Khaled al-Mechri, a été particulièrement contradictoire. Certains membres ont parrainé Bashagha tandi que Al-Mechri a d’abord semblé comprendre la décision du Parlement avant de la qualifier de « non définitive » puis Des membres ont nié avoir soutenu Bashagha, accusant des falsificationsLe porte-parole des forces de Haftar a salué la désignation de Bashagha, tandis que le président du Conseil présidentiel Mohamed al-Menfi a adopté une position médiatrice, cherchant à éviter un nouveau conflit.
Les dissensions se sont amplifiées avec la nomination d’Osama Hammad (ancien ministre des Finances et originaire de l’Est) comme successeur de Fathi Bachagha le 16 mai 2023, chargé des fonctions de Premier ministre à sa place. Ce qui a fait de l’existence de deux gouvernements rivaux, chacun avec son propre budget.
Notre entretien avec Hazem Raïs, analyste politique libyen
Mondafrique. Quelles sont les perspectives de la division institutionnelle en Libye?
« La dualité chronique que connaît la Libye depuis 2014 a divisé toutes les institutions de l’État en deux entités, pour des raisons politiques. Cette division est alimentée par une lutte persistante pour le pouvoir entre les principaux acteurs de la crise, cherchant à tirer des avantages politiques étroits. Ainsi, le fossé ne cesse de se creuser. Tant que les parties restent inflexibles, les deux chambres – celle des représentants et celle d’État – ne parviendront pas à unifier les institutions souveraines conformément à l’accord d’Abou Zniga. Leurs motivations sont purement intéressées, et cette division sert leurs agendas, ainsi que ceux de leurs soutiens régionaux et internationaux. »
Mondafrique. Quelle est la valeur de décrets présidentiels censés dresser un cadre légal en Libye?
« Ils s’inscrivent dans une rivalité politique entre un Conseil présidentiel désormais divisé et une Chambre des représentants affaiblie. Cette crise n’est pas nouvelle : elle remonte à l’an dernier et a éclaté en août lors de la crise de la Banque centrale. Elle s’est aggravée lorsque la Chambre des représentants a retiré au Conseil présidentiel son statut de commandant suprême – une mesure unilatérale dénoncée par l’ONU, mais finalement entérinée comme un fait accompli. Cela révèle que le Conseil présidentiel adopte désormais la même politique du fait accompli que celle pratiquée depuis des années par Aguila Saleh, ce qui risque d’aggraver la crise. »
(1) La Chambre des représentants de Tobrouk est une assemblée monocamérale composée de 200 membres élus. Elle a été conçue comme une institution transitoire chargée de légiférer jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution . Depuis 2014, elle est présidée par Aguila Saleh Issa
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