Mahamadou Issoufou, boubou blanc et bonnet rouge, le visage tout juste un peu fatigué, prononce un discours à la tribune d’une grande assemblée internationale. C’était dimanche au sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine à Addis-Abeba, où le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki, avait invité l’ancien Président du Niger.
Sur les réseaux sociaux du Niger ont circulé tout le week-end des images d’Issoufou flanqué de son staff rapproché. Concentré au micro, ou plus détendu, dans les couloirs du sommet, devisant souriant avec Succès Masra, le Premier ministre tchadien, ou, assis en colloque plus intime avec son grand ami le Président Bissau-Guinéen Umaru Sissoko Embalo.
Les Nigériens, eux, n’en croyaient pas leurs yeux. Etait-ce une dystopie ? Avait-on remonté le temps ? Fallait-il y voir une fake news des amis de Mohamed Bazoum, qui vouent désormais une haine tenace à leur ancien parrain ? Pourquoi pas une intox française, pour déstabiliser le régime de transition ? C’était incroyable, au sens littéral du terme. D’ailleurs, aucune autorité nigérienne ne daigna informer les citoyens, les laissant se débattre avec leurs fantômes.
C’est Mahamadou Issoufou lui-même qui mit finalement un terme à cette attente, par un message sur son compte facebook personnel muet depuis des mois.
«Présentation du rapport d’étape sur la mise en oeuvre de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf), dimanche 18 février 2024 à Addis-Abeba, en Ethiopie, par SEM Issoufou Mahamadou, ancien Président de la République du Niger et Champion désigné de la ZLECAF par l’Union africaine». On ne saurait faire plus institutionnel. L’image qui accompagne ce post montre un Issoufou studieux, penché humblement sur son discours, les yeux baissés.
Un déplacement embarrassant pour l’Union africaine
Ce déplacement d’Issoufou est gênant pour l’Union africaine – pourquoi inviter en grande pompe celui qu’on soupçonne d’être le cerveau du coup d’Etat qui a valu sa suspension de l’organisation au Niger ? Moussa Faki n’était pas obligé d’ouvrir cette brèche à Issoufou ni de lui envoyer un avion privé à Niamey. Cela affaiblit la cohérence des positions de l’organisation. Et semble consolider le camp Issoufou dans la bataille politique interne.
Mais le voyage d’Issoufou a surtout troublé les Nigériens. L’ancien Président, qui est l’artisan de tout ce que la junte dit combattre – népotisme, mauvaise gouvernance, inféodation à l’Occident – se déplace donc en toute liberté. Est-il vraiment en résidence surveillée, comme on le dit ? Après tout, il continue sa vie dans les villas payées par l’Etat, sous la protection de la garde présidentielle, comme si de rien n’était. Seuls changements : l’absence de sa femme Malika et de ses plus jeunes enfants et l’incarcération de son fils, Abba, le ministre du Pétrole du régime renversé, emprisonné à Filingué.
Le déplacement d’Issoufou met le doigt sur l’ambigüité congénitale du régime : le rôle décisif de l’ancien Président dans le coup d’Etat perpétré en douceur par son homme de confiance, le général Abdourahamane Tiani, patron de la Garde présidentielle. Tiani a protégé Issoufou sans faiblesse pendant douze ans, y compris après l’arrivée de son dauphin au pouvoir, en 2021. Les militaires qui ont été arrêtés pour des complots réels ou supposés contre Mahamadou Issoufou pendant toutes ces années gardent d’ailleurs toujours prison.
L’ambassadeur de France Sylvain Itté, dans une audition fin novembre devant l’Assemblée nationale, l’a dit franchement : «ce coup d’État est dû à un paramètre que personne ne pouvait imaginer : l’implication directe de l’ancien président Issoufou, dont on peut avancer sans grand risque de se tromper qu’il a fomenté ou pour le moins accompagné le coup d’État contre son successeur. (…) nous n’imaginions pas un instant que Issoufou enverrait le chef de la garde présidentielle, son homme, renverser celui qui était son camarade de parti depuis trente ans. »
Cela fait plus de six mois que le Niger souffre, aux côtés de la junte, sous la pression des sanctions internationales, dans l’espoir, peut-être naïf, que ses nouvelles autorités sauront venir à bout de la mauvaise gouvernance et de la prédation généralisée qui ont caractérisé le régime socialiste renversé. Le bâtisseur du Parti Etat socialiste, le guri sytème, c’est justement Mahamadou Issoufou, arrivé au pouvoir en 2011. Celui qui a invité les forces étrangères au Niger, la France puis les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Italie, c’est Mahamadou Issoufou, qui se méfiait de son armée et y voyait une garantie de sécurité. Celui qui a banni les importuns, récompensé les fidèles par des montagnes d’or, c’est toujours Mahamadou Issoufou.
Surnommé le lion en haussa, Mahamadou Issoufou est plutôt un vieux chat. Il a plusieurs vies, retombe toujours sur ses pattes, même dans les circonstances les plus scabreuses. Il sait ronronner par devant et mordre par derrière.
Sera-t-il, finalement, le mistigri de la transition nigérienne ?