La guerre en Ukraine n’a pas seulement impacté les échanges de l’Europe avec la Russie. Elle a aussi largement redéfini les routes commerciales terrestres avec la Chine, modifiant les portes d’entrée des marchandises en Europe et incitant les entreprises à reconfigurer davantage leurs chaînes d’approvisionnement.
Jean-Paul Larçon, Emeritus Professor Strategy and International Business, HEC Paris Business SchoolThe Conversation – extrait -29/8/22)*
Avant le conflit qui éclaté fin février, 95 % du fret ferroviaire entre la Chine et l’Europe transitaient, par le corridor Nord du China-Europe Express, la route de la Soie ferroviaire reliant la Chine à l’Allemagne via le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. À la suite des sanctions internationales contre la Russie et au risque de confiscation des marchandises transportées, les volumes de fret ferroviaire eurasiatique – constitués de PC et appareils électroniques, machines et pièces automobiles – ont baissé de 80 %.
Repenser les approvisionnements
Les entreprises doivent, en effet, réorganiser la logistique de leurs échanges Chine-Europe et repenser la carte de leurs approvisionnements. Choix radicaux ou adaptations prudentes, les options varient selon les entreprises.
L’enseigne française de distribution d’articles de sports Decathlon, présente en Chine avec plus de 300 magasins et un réseau de partenaires industriels, affrétait, depuis 2017, des trains complets porte-conteneurs (train block). Partant de Wuhan (Chine), ils arrivaient à Liège (Belgique) et alimentaient la plate-forme logistique multimodale de Dourges (Hauts-de-France). Ce trafic ferroviaire s’est interrompu après trois mois de guerre et l’entreprise est obligée de choisir entre la voie maritime et le transit par de nouvelles routes ferroviaires.
Le constructeur suédois Volvo Cars, qui appartient au groupe chinois Zhejiang Geely et dont les usines sont basées en Suède, en Belgique et en Chine, a choisi Gand en Belgique comme pièce maîtresse de sa logistique internationale. Les modèles fabriqués en Chine sont expédiés par trains complets jusqu’à Gand et les mêmes trains repartent en Chine avec les modèles produits en Europe. L’entreprise doit choisir aujourd’hui de nouvelles modalités de transport Chine-Europe et décider également de l’implantation de ses nouvelles usines de production de voitures électriques pour le marché européen.
Son homologue allemand BMW, pour qui la Chine constitue le plus grand marché, a cessé tout transport ferroviaire via la Russie depuis le début de la guerre. Les voitures produites en Allemagne sont transportées par train jusqu’au port de Bremerhaven (Allemagne) puis par bateau jusqu’en Chine. De même, Audi, dont les usines sont en Allemagne et en Hongrie, étudie les possibilités offertes par de nouvelles routes ferroviaires pour exporter sa production vers la Chine.]
Face à ces interrogations, transporteurs et logisticiens ouvrent aujourd’hui de nouvelles liaisons ferroviaires, notamment via le corridor central transcaspien (middle corridor). AP Moller – Maersk, la plus grande compagnie maritime au monde, a ainsi lancé, avec un premier train en avril 2022, un nouveau service ferroviaire entre la Chine et la Roumanie qui relie l’empire du Milieu et l’Europe en 40 jours. Les trains venant de Chine traversent le Kazakhstan depuis le hub de Khorgos jusqu’au port d’Aktau sur la mer Caspienne. Les marchandises sont ensuite transportées en barge jusqu’au port de Bakou en Azerbaïdjan pour se diriger vers le port de Poti en Géorgie puis celui de Constanta en Roumanie, le plus grand port de la mer Noire.
Rail Bridge Cargo, logisticien ferroviaire néerlandais, relie lui Zhengzhou (Chine) et Duisburg-Neuss (Allemagne) via le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie en 23-25 jours via une route multimodale. Enfin, Nurminem Logistics, logisticien finlandais et pionnier du corridor transcaspien, a lancé, en mai 2022, en coopération avec Kazakhstan Railways, son premier train de fret utilisant le corridor transcaspien.
Forces et faiblesses du corridor transcaspien
Le corridor transcaspien (Trans-Caspian International Transport Route ou TITR) a gagné en intérêt en tant que route ferroviaire alternative. Mais cette route est plus difficile à développer que la route Nord : elle passe par des pays de cultures et d’orientations géopolitiques très différentes comme les pays du Caucase, elle compte plus de ruptures de charge, et implique la traversée de deux mers : la mer Caspienne et la mer Noire.
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