« Une balle issue d’un combat entre mafias palestiniennes du camp d’Ein el Helwe au Liban vient juste de traverser ma fenêtre » a twitté Rabee Qiblawi. Cet étudiant palestinien a eu la peur de sa vie, il a cru qu’il allait mourir en raison des guerres intestines auxquelles les « mafias » (selon ses propres termes) armées se livrent entre elles.
Depuis quatre jours, la terreur règne dans le camp d’Ein el Heloué, situé près de la ville libanaise de Sidon. Le Fatah, l’organisation fondée par Yasser Arafat et Junud al Sham, une milice islamiste s’entretuent pour le pouvoir. Comment ce conflit a-t-il commencé ? La plus grande confusion règne sur les origines de cette guerre ouverte qui a fait onze morts et quarante blessés. Selon al Jazeera, les raisons de cette guerilla interne entre miliciens du Fatah et « miliciens du groupe islamiste Junud al-Sham » demeurent mystérieuses. Pour le New York Times, les combats ont été déclenchés « par le meurtre samedi d’un chef de la faction du Fatah et de quatre de ses gardes du corps par un autre groupe palestinien ». Cet autre « groupe palestinien » est le mouvement islamiste Jund al-Sham, très bien implanté à Ein el-Heloueh.
Cette algarade est devenue un authentique combat militaire avec tirs de mortiers, lancers de grenades et mitrailleuses qui ont dévasté des quartiers entiers et incité deux milles personnes à quitter leur logement. Un soldat libanais situé à l’extérieur d’Ein el Heloué a également été tué.
Ce n’est pas la première fois que des conflits mortels opposent différents groupes palestiniens dans les différents camps ou vivent les descendants de réfugiés arabes de la guerre de 1948. Mais l’aspect sidérant de cette algarade est qu’elle se produit à un moment clé : en ce début du mois d’août 2023, la plupart des groupes palestiniens rivaux, dont le Fatah et le Hamas, sont réunis en Égypte pour des pourparlers de réconciliation dans le but de progresser vers l’unité nationale palestinienne.
Depuis 2007, date à laquelle le mouvement islamiste Hamas a pris le contrôle la bande de Gaza, tuant puis chassant les miliciens du Fatah qui contrôlaient auparavant l’enclave côtière, rien ne semblait pouvoir rassembler les différentes tendances palestiniennes. A plusieurs reprises, un Etat arabe ou un autre a tenté d’unifier à nouveau les Palestiniens. Sans succès. Le maréchal égyptien al Sissi s’y essaie une nouvelle fois.
Mais faute de perspectives politiques ou militaires pour les Palestiniens, on ne voit pas bien quel consensus pourrait émerger des discussions qui ont lieu actuellement au Caire.
Le camp d’Ein al-Hilweh qui abrite plus de 63 000 Palestiniens et descendants de Palestiniens dans une petite zone de bâtiments densément peuplés, est à l’image de l’épopée palestinienne : isolé et fracturé.
Isolé, car un mur ceinture le camp d’Ein el Heloué et l’entrée est gardée par l’armée libanaise. Les résidents d’Ein el Heloué sont nés au Liban mais ne sont pas libanais, ils vivent des aides internationales et n’ont pas le droit de travailler, ni d’acheter un bien immobilier au Liban. Ils doivent montrer patte blanche s’ils veulent sortir du camp. L’apartheid pour les Palestiniens c’est plus surement au Liban qu’en Israël qu’il se produit. Mais il est malséant d’en parler.
Guerres intestines
Fracturé, le mouvement palestinien l’est aussi. Les guerres intestines entre mouvements rivaux n’ont jamais cessé. Au début des années 1990, les milices palestiniennes s’unissaient pour combattre l’armée libanaise. Mais depuis que celle-ci a pris la décision de ne plus rentrer dans les camps palestiniens, les milices s’entretuent pour savoir qui aura le contrôle des camps.
En 2017, le Fatah a combattu des milices islamistes proches de l’Etat Islamique et ni l’un, ni l’autre n’ épargné les fugitifs qui cherchaient désespérément refuge dans les quartiers surpeuplés du camp.
Après la Syrie dévastée par une guerre civile, c’est sans doute au Liban que la situation des Palestiniens est la plus difficile. Ces descendants de réfugiés ont toujours été considérés par les Libanais comme des étrangers « résidents temporaires ». Perçus comme un facteur de déstabilisation du fragile équilibre entre les communautés qui peuplent le Liban, les Palestiniens sont considérés comme un fardeau. Ils vivent dans des camps fermés et étroitement surveillés par l’armée libanaise. Plus de 20 professions leur sont interdites et ils ne peuvent acquérir des biens fonciers.
Quelle que soit l’évolution du Proche Orient, leur situation n’a rien de bien réjouissant. Ni pour eux, ni pour ceux qui les côtoient.