Les opérations des services algériens contre les opposants en France: une bombe à retardement

Plusieurs tentatives d’enlèvement d’opposants menées par quelques officines au sein des services algériens ont provoqué à Paris plusieurs enquêtes policières et pourraient annoncer des procès spectaculaires. La dégradation des liens entre les deux pays a alimenté des deux cotés de la Méditerranée des polémiques stériles dont les visées politiques sont claires. Plus grave, on a assisté à l’enterrement de la coopération sécuritaire relancée avec force en 2022 alors que les relations entre Paris et Alger étaient au beau fixe (1).

« Nos relations sur le plan sécuritaire, notamment en matière de terrorisme, ont été réduites à leur plus simple expression, une situation que je regrette ». estimait récemment sur France Info Cécile Berthon, la patronne du contre espionnage français. Les expulsions à répétition des agents de la DGSI en poste à Alger dans le cadre de cette coopération témoignent de la gravité de la crise entre les deux pays et des dommages causés en matière de lutte contre le terrorisme.

Lorsque Emmanuel Macron s’est rendu en Algérie l’été 2023, le président français était accompagné par Bernard Emié ( à droite sur l’image), le patron de la DGSE (services français). On le découvre en pleine conversation avec le général Djebbar M’henna, (le second sur la gauche)
Lorsque Emmanuel Macron s’est rendu en Algérie l’été 2023, le président français était accompagné par Bernard Emié ( à droite sur l’image), le patron de la DGSE (services français). On le découvre en pleine conversation avec le général Djebbar M’henna, (le second sur la gauche)

Le 11 mai, l’enquête consacrée dans « le Journal du Dimanche », racheté par Vincent Bolloré dont les sympathies pour droite extrême sont de notoriété publique, est la dernière illustration des campagnes malsaines et orientées menées à Paris comme à Alger. Le but de ces deux pages du JDD est de démontrer que les tentatives d’enlèvement menées en France contre les opposants seraient orchestrées par le seul Président Tebboune sans que les services secrets algériens, notamment la DGSI algérienne (contre espionnage) au coeur de la manoeuvre, soient mis en cause, ni même citée 

C’est que l’article est signé Mohamed Sifaoui, un vieux cheval de retour des années noires algériennes (1992-1998) qui prenait alors ses ordres auprès du colonel Faouzi, le tout puissant patron du service de communication des services algériens du général Toufik qui distribuait généreusement la manne publicitaire aux journalistes amis. (Cf ci dessous le document I)

C’est ainsi que dans les coulisses des pouvoirs algérien et français s’agitent des experts autoproclamés qui jouent la politique du pire pour des raisons propres à leur positionnement politique. Deux fois ambassadeur de France en Algérie et désormais compagnon de route de l’extrème droite, Xavier Driencourt est devenu à Paris un des principaux inspirateurs des campagnes de dénigrement contre l’Algérie.

De même, une partie des services secrets algériens, ceux là même qui s’opposent à l’amnistie de l’écrivain Boualem Sansal envisagée en janvier dernier, cherche à envenimer les relations entre les deux pays. Leur objectif est d’affaiblir la Présidence algérienne toujours soucieuse de restaurer une bonne relation avec Paris. Pour preuve, le patron de la DGSE française ainsi qu’une proche conseillère d’Emmanuel Macron chargée du Maghreb ont été reçus ces dernières semaines par le président Teboune et ses conseillers.

Le malaise entre Paris et Alger est d’autant plus grand que les informations sur ce dossier sont partielles, voire totalement biaisées, et sont le résultat d’agendas politiques très orientés.

La Diaspora dans le collimateur 

Divisée entre islamistes, démocrates et berbéristes, la diaspora algérienne porte, chaque dimanche place de la République, le flambeau du Hirak
Divisée entre islamistes, démocrates et berbéristes, la diaspora algérienne porte, chaque dimanche place de la République, le flambeau du Hirak

Revenons à l’origine du climat délétère entre la France et l’Algérie qui doit beaucoup à l’obsession d’Alger de faire taire ses opposants en France. Beaucoup d’observateurs avaient parié sur la fin du Hirak, au premier rang desquels l’incontournable Xavier Driencourt. Pourtant ni la pandémie mondiale du Covid 19, ni la machine répressive du régime ne sont venues au bout de la mobilisation. La pression populaire, qui a débuté le 22 février 2019 à Kherrata en Kabylie et connait aujourd’hui un recul certain, mais elle continue à faire peur au régime, malgré les arrestations massives des militants et la mise en place d’un arsenal juridique répressif en Algérie (2). 

Lors de leurs visites officielles en France, les hauts gradés algériens, notamment les généraux Chengriha, chef d’état major et M’henna, respectivement patron à l’époque des services extérieurs, ont tenté de convaincre les autorités françaises d’adhérer à leur combat. 

La visite d’Emmanuel Macron à Alger au mois d’août 2022 s’est soldée par la réunion des deux conseils de défense traitant d’un nouvel axe de coopération sécuritaire. Le deal mis sur la table était simple. Les services de sécurité algériens demandaient à Paris de neutraliser les activités de l’opposition en France. En échange, les barbouzes algériens étaient prêts à coopérer (2). Seulement en France il existe des lois qui protègent les opposants politiques venus de l’étranger. Le grand marchandage imaginé par le chef des services extérieurs algériens jusqu’en 2024, le général M’Henna (voir le document II ci dessous), ne va pas vraiment fonctionner. Les services algériens vont tenter d’autres méthodes pour éteindre toute velléité d’opposition de la diaspora contre leur régime. Mais ils vont le faire avec un mélange de brutalité et d’amateurisme qui s’explique par la désorganisation de l’appareil sécuritaire algérien plombé par des restructurations incessantes et décimé par des dizaines d’arrestations..

La coopération des Espagnols

Au mieux à l’époque avec Alger, les autorités espagnoles ont accepté en 2022 la demande d’extradition présentée par Alger contre un ancien caporal de 32 ans, Mohamed Benhalima, qui a fui l’Algérie après avoir pris part au mouvement populaire du Hirak en 2019  Sur les premières vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on voit bien l’homme, menotté, descendre d’un avion de la compagnie aérienne espagnole. Il a été accueilli par des agents de la police algérienne qui l’ont ensuite transporté dans leur véhicule avant de l’interroger sans ménagement (voir ci dessous le document 3).

Quelques semaines après son extradition, la Direction générale de la Sureté nationale (DGSN) a publié une vidéo confession du lanceur d’alerte et militaire algérien, Benhalima Mohamed Azzouz (BMA) qui a été diffusée sur la télévision nationale à l’heure du pic d’écoute (20 h) ainsi que sur les comptes Facebook, Twitter et YouTube et de la DGSN.

Forts de ce succès, les tribunaux d’Alger ont émis, en mars 2021, quatre mandats d’arrêt internationaux à l’encontre des activistes établis en France, et accusés d’appartenir à des groupes terroristes. Mais les pays européens, particulièrement la France, ont fait la sourde oreille aux revendications d’Alger, en raison de la vigilance de la justice administrative attachée à la défense des libertés.. Il en est de même pour Interpol et autres instances judiciaires européennes. 

Des opérations de basse police

Du coup, les services algériens vont se livrer à des opérations de basse police sur le territoire français. Les services de la DGSI algérienne (contre espionnage) recrutent des comparses généralement sans papiers et pour la plupart délinquants pour s’en prendre physiquement aux opposants. C’est ainsi que le dimanche place de la République des nervis s’infiltrent parmi les manifestants, provoquent des altercations et tentent de faire interdire les réunions publiques place de la République pour cause d’atteinte à l’ordre public. Là encore, la justice française s’oppose aux oukases de la Préfecture de police de Paris

Ces deux dernière années enfin , quelques agents consulaires basés en France et parrainés par la DGSI vont organiser des tentatives d’enlèvement des influenceurs les plus populaires en sous traitant ces coups de force à des nervis issus du banditisme. Le but est de ramener ces perturbateurs en Algérie pour les faire taire définitivement.

Deux opposants très influents au sein de la diaspora vont être ainsi ciblés par la DGSI algérienne, le service de contre espionnage au coeur de ces barbouzeries: Hichem Aboud en 2023 et d’Amir DZ en 2024. À l’époque de ces agissements, personne au sein du pouvoir français ne prend ces informations au sérieux.  

Depuis cet automne, la situation a changé du tout au tout. Ministre de l’Intérieur hostile à l’immigration, Bruno Retailleau a mis de l’huile sur le feu en menant une campagne hostile à l’Algérie  et en faisant arrêter un certain nombre d’agents algériens en fonction à Paris, notamment un agent consulaire de Créteil qui serait impliqué directement dan le kidnapping d’Amir DZ.  Le secrétaire général de l’Ambassade, convoqué par la justice française, a préféré se réfugier en Algérie en juillet 2024. 

Un champ de mines

Said Bensdira, un vrai faux opposant

Le jeune Bensdira en costume clair à droite de Kasdi Merbah,  patron de la Sécurité Militaire sous Boumedienne

Là où l’imbroglio franco-algérien se complique encore, c’est que les instigateurs de cette croisade menée contre les opposants sur le sol français ont voulu également régler leurs comptes avec leurs C’est ainsi que Said Bensdira, un youtubeur installé à Londres où il se présentait comme « réfugié politique » tout en possédant des comptes très bien approvisionnés en Espagne, a été arrêté en France en avril 2024. Condamné en Algérie dans quatre dossiers différents et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, ce propagandiste sert de boite à lettre de certains clans au pouvoir à Alger et relaie des informations peu fiables, des confidences nauséabondes sur la vie privée des dirigeants algériens et des analyses aussi sommaires qu’erronées.

Une juge d’instruction a été nommée; le contenu des deux téléphones portables de ce vrai faux opposant ont révélé les liens qu’il entretenait avec ses commanditaires bien placés en Algérie. Pour l’instant, ce relais des services algériens se trouve sous le coup d’un strict contrôle judiciaire en France. D’après les informations de Mondafrique, l’enquête serait terminée.

Autant de révélations qui mettent à nu les rouages d’un pouvoir algérien par nature peu transparent et qui pourraient constituer une véritable bombe à retardement au gré des révélations des enquêtes menées en France au pas de charge.

(1) Un accord sécuritaire  avait été conclu en 2022 entre Paris et Alger lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron en Algérie. Cette coopération concernait notamment le terrorisme au Mali, le grand banditisme international et la situation des djihadistes franco-maghrébins qui sévissent encore en Irak et en Syrie. Cet hiver, deux fonctionnaires de la DGSI française ont été expulsés par l’Algérie. Dimanche 11 mai, Alger vient à nouveau d’expulser douze agents consulaires,  dont deux appartenaient aux aussi à la DGSI.

(2) La loi 87 bis en Algérie prévoit que quiiconque reproduit ou diffuse sciemment des documents, imprimés ou renseignements faisant l’apologie des actes visés à la présente section, est puni d’une peine de réclusion à temps de cinq à dix ans et d’une amende de cent mille dinars à cinq cents mille dinars.

 

Document I, Mohamed Sifaoui, le signataire de « l’enquête » du JDD ce dimanche 11 mai

Mohamed Sifaoui, « expert » du dossier algérien et imposteur

Document II, les services algériens obsédés par les opposants à Paris

Quand le général M’henna demandait la tète des opposants à Paris !

 

Document III, un militaire militant du Hirak extradé d’Espagne

L’entretien de Mondafrique avec l’opposant algérien, Mohamed Benhalima, expulsé par l’Espagne

Document IV, Amir DZ, le plus célèbre des « influenceurs » algériens en France

L’influenceur algérien Amir DZ victime d’un enlèvement

Document V, la tentative d’enlèvement d’Hichem Aboud

Un commando algérien devait assassiner l’opposant Hichem Aboud

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