Le petit manuel du putschiste africain

Ecrivain et journaliste ivoirien connu et reconnu, Venance Konan, Grand prix de littérature d’Afrique noire 2012, fait désormais au Mondafrique l’amitié d’assurer ici même une chronique régulière. Dans cette première chronique, le journaliste-écrivain revient sur les nouveaux visages des coups d’Etat militaires en Afrique et les stratégies que déploient leurs auteurs pour s’éterniser au pouvoir. 

Une chronique de Venance Konan, journaliste et écrivain (Côte d’Ivoire)

C’est devenu un classique. Un militaire, pas forcément le plus galonné, renverse le pouvoir. Soit celui d’un président « démocratiquement » élu (cas de la Guinée, du Niger, du Mali et du Gabon), soit d’un autre militaire (cas du Burkina Faso), ou alors, c’est le fils qui remplace au pied levé son père lui-même militaire ayant pris le pouvoir par la force de ses armes mais qui vient de tomber sur le champ de bataille (cas du Tchad). Si vous aussi êtes tentés de faire un coup d’Etat, voici un petit guide qui pourrait vous aider à prendre le pouvoir et le conserver.

Des arguments passe-partout

Dès votre coup d’Etat, proclamez très vite et très fort que vous êtes venu mettre fin à un pouvoir dictatorial, corrompu, clanique, criminel, incompétent, etc. Généralement les accusations ne sont pas totalement fausses, si bien que le peuple y adhère rapidement. Ajoutez aussi que vous êtes venu redonner au pays sa souveraineté confisquée par l’ancienne puissance coloniale, généralement la France, puisqu’elle est la seule puissance européenne qui se croit obligée d’avoir des forces militaires dans ses anciennes colonies. Et s’il y a effectivement des soldats français dans le pays, organisez une manifestation contre leur présence devant l’ambassade de la France, en brûlant le drapeau de ce pays, tout en exhibant des drapeaux russes que vous aurez pris le soin de faire confectionner auparavant. Vous aurez le soutien de tous les nouveaux panafricanistes africains.

Une fois le pouvoir pris, annoncez que vous l’avez pris pour restaurer la démocratie, que vous n’y êtes pas du tout intéressé, et que vous allez donc organiser très rapidement des élections, libres, transparentes et inclusives. Puis vous dissolvez le parti qui était au pouvoir. Cela permet d’avoir tous les partis politiques qui étaient dans l’opposition avec vous. Ils espèreront tous que vous allez leur donner ce pouvoir qu’ils n’avaient pas pu conquérir eux-mêmes et vous colleront la paix.

Si vous êtes en Afrique de l’ouest, la CEDEAO vous condamnera et vous mettra en demeure d’organiser rapidement des élections pour redonner le pouvoir aux civils. Soit, vous vous retirez de la CEDEAO comme l’ont fait les pays de l’Alliance des Etats du Sahel, soit vous vous pliez à son injonction, ou plutôt, vous faites semblant de vous y plier, en jurant que vous allez organiser des élections très rapidement.

Un coup d’État après l’autre

Mais on ne va pas directement aux élections comme cela. Il y a plusieurs étapes à franchir d’abord : recensement de la population, inscriptions sur les listes électorales, concertation nationale, adoption du code électoral, mise en place d’une commission chargée de réfléchir sur une nouvelle constitution, élaboration de cette nouvelle constitution, organisation d’un référendum pour son adoption, et organisation des élections. Tout cela prend du temps et vous informez votre peuple et la communauté internationale qu’il vous faudra au moins cinq ans pour arriver aux élections. La CEDEAO protestera, vous palabrerez comme au marché et vous vous entendrez sur trois ans. Bien évidemment, ce ne sera pas votre faute s’il pleut trop ou pas assez, s’il fait trop chaud, ou trop froid, autant d’aléas qui pourraient retarder l’organisation de tout ce processus qui doit conduire aux élections. Généralement le code électoral, la liste électorale et la constitution n’ont rien à se reprocher, mais les refaire permet de gagner du temps, grapiller un peu ou beaucoup d’argent pour s’acheter des montres Rolex, de nouvelles lunettes noires, un appartement à Junior qui fait ses études au Canada, offrir quelques villas aux nouvelles maitresses, et garnir quelques comptes en banque bien planqués dans des paradis fiscaux.

Si vous sentez que le peuple s’impatiente, parce que vous n’arrivez pas à régler les problèmes de sécurité, parce qu’il constate que vous ne supportez pas les critiques et que finalement votre pouvoir est devenu plus dictatorial que celui que vous avez renversé, vous accuserez de temps à autre la France ou certains de vos voisins qui sont proches de ce pays de vouloir vous déstabiliser et cela calmera vos adversaires intérieurs. Il est d’ailleurs plus prudent d’enfermer ceux-là.

Lorsque vous finissez par arriver au bout du processus, vous organisez des manifestations spontanées de populations qui vous supplieront de vous présenter au scrutin. Vox populi étant vox dei, vous ferez don de votre personne et vous serez candidat en prenant soin de disqualifier ou d’emprisonner ceux qui pourraient vous inquiéter.

Vous serez donc élu et vous coulerez des jours heureux jusqu’à ce qu’un autre coup d’Etat vienne vous chasser du pouvoir.

Venance Konan, journaliste-écrivain