Mali, le nouveau gouverneur face à Kidal déserté

Le général Ag Gamou faisant son entrée dans la ville de Kidal

Le général touareg Elhadj Ag Gamou est arrivé mercredi matin à Kidal, une ville désertée par une partie de ses populations touareg et maure après la prise de la ville du nord par l’armée malienne il y a un mois.

Le nouveau gouverneur a fait son entrée en uniforme militaire, acclamé par une foule brandissant des drapeaux maliens et escorté tantôt par des militaires maliens, tantôt par des mercenaires russes de Wagner, si l’on en croit les images qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux du Mali.

Dans une interview accordée à la télévision nationale le général Ag Gamou a déclaré qu’il s’attellerait à la réconciliation des communautés de Kidal, indiquant que sa deuxième priorité serait le retour de l’administration et des services sociaux de base. Le 24 novembre, à l’issue d’une audience avec le Président de la Transition, il avait promis : « Je vais tout faire dans l’intérêt général de la population de Kidal, faire venir tous les services sociaux de base et faire en sorte que la population de Kidal, qui a été trop fatiguée par l’insécurité, revienne chez elle et que cette région soit une région normale, comme toutes autres de la République du Mali ».

Les autorités maliennes lui ont officiellement confié la mission de faire revenir les déplacés, parmi lesquels figurent des milliers de partisans de la Coalition des Mouvements de l’Azawad qui ont fui dans le désert au moment de la chute de la ville, craignant des représailles.

Le général Gamou est issu de la grande fraction touareg Imghad, vassale des nobles Ifoghas qui contrôlent Kidal. Pendant des années, les deux communautés se sont combattues militairement, bien qu’ayant combattu côte à côte pendant la première rébellion, dans les années 1990. El Hadj Ag Gamou était d’ailleurs un lieutenant du chef rebelle ifoghas Iyad Ag Ghali, au sein de l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad, jusqu’à leur brouille en 1994. En 1996, Gamou a été intégré dans les forces de défense maliennes au grade de commandant à la faveur du Pacte national. Depuis lors, Gamou n’a plus varié dans son choix, devenant une personnalité clé du jeu politique et militaire dans le septentrion. Il a d’ailleurs entraîné beaucoup de ses parents dans les rangs des forces de défense et de sécurité, puis, à partir de 2014, de la milice GATIA (Groupe autodéfense touareg imghad et alliés), une unité communautaire loyaliste qui a combattu en première ligne les groupes djihadistes et rebelles, avec le soutien financier et logistique de Bamako.

Carte maîtresse de Bamako contre les rebelles

Gamou a été l’une des cartes maîtresses du gouvernement dans la lutte contre les rebelles touareg à Kidal. Il commandait la garnison de la ville en 2012 au moment du déclenchement de la rébellion qui a, par la suite, entraîné l’effondrement du nord du Mali et son occupation par les groupes djihadistes affiliés à Al Qaida. En mai 2014, il a, de nouveau, participé aux combats contre ses frères ennemis touareg et, de nouveau, perdu la bataille. Puis, jusqu’en 2018, les combats entre le GATIA et la Coalition des mouvements de l’Azawad ont fait de très nombreuses victimes de part et d’autre, affaiblissant significativement la Coalition au pouvoir à Kidal.

Mais Gamou a aussi ferraillé contre les djihadistes. A Aguelok, en janvier 2012, il est arrivé trop tard pour sauver les 40 soldats maliens exécutés par Ansar Dine, le mouvement d’Iyad Ag Ghali. En décembre de la même année, il échappe de justesse à une tentative d’assassinat à Niamey, où il s’est replié avec ses hommes lors de la débâcle du nord. Avec le déclenchement de l’opération française Serval, en janvier 2013, Gamou rentre au Mali et participe à la reconquête. A partir de 2017, son ennemi principal devient l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), héritier du MUJAO de 2012, impliqué dans des conflits intercommunautaires sanglants entre éleveurs nomades au sud des vastes régions de Gao et Menaka. Avec ses alliés Daussak du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) créé par son jeune protégé Moussa Ag Acharatoumane, le général Gamou s’implique dans plusieurs batailles contre les combattants de l’EIGS, y compris, en 2018, aux côtés des soldats maliens, nigériens et français qu’il embarque dans ses véhicules. Cette campagne, qui a permis de reprendre un temps le contrôle de la frontière entre le Mali et le Niger, a été sanctionnée ensuite par de sanglantes représailles contre sa communauté et celle du MSA.

Sous l’impulsion de l’Italie, soucieuse de sauver l’accord de paix d’Alger mis à mal par l’instabilité politique à Bamako, Gamou rejoint en mai 2021 les leaders des groupes armés signataires du nord au sein du Cadre Stratégique Permanent, qui réunit, pour la première fois dans l’histoire de ces trente dernières années, les figures séparatistes et loyalistes touareg et maures. Ces échanges permettront d’aplanir plusieurs conflits locaux divisant les communautés du nord. En décembre 2021, à cause de sa participation au CSP, Gamou est suspendu de son poste d’inspecteur général des armées par le nouveau maître du pays, le colonel Assimi Goïta, qui a servi sous ses ordres quand il était jeune officier.

Dans les rangs des Touareg, les avis divergent sur l’opportunité de cette nomination. Certains prédisent son échec, en raison de la conflictualité ancienne entre Imghad et Ifoghas, estimant que le général est, de ce point de vue, le plus mal placé pour ramener la paix à Kidal. Mais d’autres espèrent au contraire que sa connaissance intime des dynamiques locales et l’accalmie entre fractions touareg observée grâce au CSP depuis deux ans, seront des opportunités pour une baisse de la tension dans la région.