Les médias de gauche et le « deep state » s’émeuvent des projets de réforme des sionistes religieux.Le débat risque d’être tendu dans le semaines qui viennent en Israël.
Entre 1978 et 2006, l’ancien président de la Cour suprême d’Israël, le juge Aharon Barak, a usé de tous les moyens à sa disposition pour faire de la Cour Suprême un acteur politique capable d’annuler des lois et d’empiéter sur le pouvoir du législateur, en l’occurrence la Knesset, le parlement israélien.
Mercredi 4 janvier, le ministre de la Justice Yariv Levin a annoncé à la tribune de la Knesset un projet de loi qui canalisera les initiatives de la Cour Suprême et donnera aux élus le pouvoir de s’opposer à certaines de ses décisions.
Le gouvernement de Benjamin Netanyahu à peine installé, la presse de gauche, en France, en Israël et aux Etats Unis a entrepris de le vilipender. Pour Courrier International, il s’agit d’une « alliance de voyous ». Dans Le Monde, Clothilde Mraffko a fulminé contre « la nouvelle coalition (qui) fait la part belle aux suprémacistes juifs et aux ultraorthodoxes[1] ». Dans Haaretz, Aluf Benn écrit que la coalition de Benjamin Netanyahu est « raciste, religieuse et autoritaire… (qu’elle) prêche la suprématie juive et considère sa petite minorité arabe comme une menace démographique et une communauté de criminels [2]». Sur un ton moins violent, Isabel Kershner du New York Times a titré sur « la ligne dure » de la coalition de droite et a souligné dès le premier paragraphe que cette « administration de droite et religieusement conservatrice (représentait) un défi important pour le pays sur la scène mondiale ».
Dans son discours d’investiture à la Knesset, Benjamin Netanyahu a répondu à ces invectives par une remarque ironique. « J’entends l’opposition constamment se lamenter sur « la fin du pays » et « la fin de la démocratie ». Perdre les élections n’est pas la fin de la démocratie, c’est l’essence même de la démocratie », a-t-il plaisanté.
Mais son mot d’humour n’a fait rire que lui. L’ambassadrice d’Israël en France, Yael Germain, a démissionné de manière un peu mélodramatique en invoquant ses « valeurs ». « Votre politique, les déclarations des ministres de votre gouvernement et les intentions de législation sont contraires à ma conscience, à ma vision du monde et aux principes de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël », a indiqué l’ambassadrice dans un lettre de démission qu’elle a immédiatement rendue publique sur Twitter.
Dans Le Monde, Gayil Talshir, professeure à l’Université hébraïque de Jérusalem a accusé Netanyahu de « politiser toutes les nominations des hauts responsables dans le secteur public » et de « démanteler les médias publics. Il veut les privatiser, (…) les faire fermer. Il va abîmer tous les garde-fous de la démocratie israélienne[3]. » Pour la gauche, la haute administration actuelle, les médias de service public actuels et la justice actuelle sont les fondements du seul ordre démocratique possible, alors que pour la droite qui arrive au pouvoir, ces institutions ont toutes abusé de leurs pouvoirs. Quand l’establishment crie au meurtre de la démocratie, la droite hurle à la destitution du peuple par l’élite administrative et institutionnelle.
Le Wall Street Journal a bien compris qu’en Israël, un conflit de fond oppose les élus au « deep state », c’est-à-dire aux non-élus. Le 27 décembre, le journal des affaires américain a tendu le micro[4] aux « hauts responsables israéliens ». Qui sont ces « hauts responsables » non élus ? Des personnalités comme « le procureur général et le chef de la police ». Ce sont précisément eux qui ont favorisé la mise en examen de Benjamin Netanyahu pour corruption. Que craignent-ils ? L’avènement d’une réforme judiciaire qui rendrait aux « élus une plus grande autorité sur l’application des lois ».
Le président israélien, qui s’abstient généralement de s’immiscer dans la vie politique, est sorti de sa réserve pour condamner les propos antigays de certains sionistes religieux qui ont parlé de supprimer la Gay Pride à Tel Aviv, pour mettre fin à ces « défilés de personnes marchant dans la rue nues ou à moitié nues ». Avi Maoz, président du parti sioniste religieux Noam, a souhaité revenir sur « la prise en charge par la sécurité sociale israélienne des médicaments utilisés dans les processus de changement de sexe », et a réclamé que les homosexuels soient interdits de donner leur sang.
Netanyahu est monté au créneau pour affirmer qu’il ne permettrait pas aux partis religieux de créer un État basé sur la halakha (loi juive). « Le Likoud garantira qu’il n’y aura aucun préjudice aux personnes LGBT ou aux droits de tout citoyen en Israël », a tweeté M. Netanyahu jeudi 26 décembre 2022.
Aviv Kochavi, chef d’état-major de l’armée israélienne, est lui aussi sorti de la réserve qui incombe à tous les responsables militaires pour faire savoir qu’il avait mis en garde Benjamin Netanyahu. M Kochavi n’a pas apprécié d’apprendre qu’il existait un plan visant à donner au leader sioniste religieux Bezalel Smotrich, partisan de l’annexion de la Cisjordanie, le contrôle des corps d’armée responsables de la sécurité des implantations israéliennes en Cisjordanie. Il a réclamé que l’armée soit davantage impliquée dans la prise de décision.
Le chef de la police israélienne, Kobi Shabtai, est lui aussi sorti de son devoir de réserver pour s’inquiéter publiquement d’ « une politisation de la police ». Itamar Ben-Gvir, leader du parti Pouvoir juif et nouveau ministre de l’intérieur a en effet fait savoir qu’il souhaitait que la loi lui permette de fixer lui-même les priorités de la police et de superviser les enquêtes. Kobi Shabtai a même donné une conférence de presse à la mi-décembre, pour exprimer ses craindre que les changements à venir « nuisent aux relations complexes et quotidiennes entre la police et les civils dans des millions de points de contact ». Il s’est également dit préoccupé par le fait que M. Ben-Gvir pourrait utiliser la police pour écraser les dissidents politiques avec lesquels il n’était pas d’accord. « Cette loi permet-elle au ministre de dire à la police quelles manifestations disperser et lesquelles ne pas disperser ? », a-t-il demandé.
Les conflits les plus durs surgiront certainement à l’occasion d’une éventuelle réforme de la Cour Suprême. Le procureur général d’Israël, Gali Bharav-Miara, a déclaré lors d’une conférence à la mi-décembre qu’une réforme de la Cour Suprême menacerait la démocratie. « La règle de la majorité, sans règles constitutionnelles n’est pas la démocratie au sens fondamental », a-t-elle déclaré. « Les conséquences seront ressenties le plus profondément par les minorités et les marginalisés. »
Mais tous ne sont pas de cet avis. Avi Bell, professeur de droit à Bar Ilan University, a remarqué que la Cour Suprême pris l’habitude de s’ingérer dans la vie politique au quotidien. « Quand la cour supprime la loi qui autorise une entreprise privée à construire une prison, quand elle exempte les yeshivas (écoles religieuses) de taxes, ou quand elle supprime l’accès des indigents aux aides sociales parce que ces indigent possèdent une voiture… ce sont des décisions politiques » explique-t-il. Sous-entendu, les magistrats n’ont pas à s’en mêler.
David Peter, avocat, membre du centre de rechercher Kohelet, a critiqué lui aussi le rôle de la Cour Suprême en matière d’immigration. « Le président de la Cour suprême détermine quels juges instruiront les dossiers des demandeurs d’asile. A ce jour, 96 % des recours administratifs ont été acheminés vers deux juges spécifiques. Cela crée un parti pris qui ne devrait pas être autorisé et est mené sans l’implication de la Knesset » écrit-il.
La crise de confiance dans les institutions est au cœur de la crise des démocraties occidentales. Cette crise est particulièrement vive en Israël. Et la réponse que les Israéliens apporteront à cette question intéresse tous les occidentaux.
[1] « En Israël, Benyamin Nétanyahou présente un gouvernement qui installe l’extrême droite au pouvoir », Le Monde, le 29 décembre 2022
[2] « This Is Netanyahu’s Dream State: Racist, Religious and Authoritarian », Haaretz (in english), le 29 décembre 2022
[3] Cité in « En Israël, Benyamin Nétanyahou présente un gouvernement qui installe l’extrême droite au pouvoir », Le Monde, le 29 décembre 2022
[4] « Israeli Officials Condemn Netanyahu’s Coalition Deals With Far Right », The Wall Street Journal, le 27 décembre 2022