Alors qu’il s’est engagé dans une grande opération de modernisation des infrastructures de son pays, c’est à contrario par sa politique d’endettement que président Alassane Ouattara menace le plus la viabilité économique de la Côte d’Ivoire.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
La Coupe d’Afrique des nations de football acquise de haute lutte le 11 février dernier au stade Alassane Ouattara d’Ebimpé par des Eléphants revanchards continue d’être présentée aux Ivoiriens. Après les grandes institutions du pays dont l’armée, c’est désormais les différents groupes sociaux professionnels que le président de la Fédération ivoirienne de football, Idriss Diallo, aguiche avec le trophée.
Cette frénésie montre par ailleurs que la Côte d’Ivoire n’a pas l’intention de lâcher cette coupe qui sera remise en jeu lors de la prochaine CAN prévue au Maroc, mais à une date qui reste, pour l’heure, encore incertaine.
Pour arriver à ce triomphe qui continue de ravir les populations ivoiriennes, le pays a investi plus de 3.000 milliards de FCFA pour se doter d’infrastructures d’envergure dont cinq stades répondant aux meilleurs standards internationaux. De nouvelles routes ont également été construites à Abidjan et dans toutes les villes recevant la compétition afin d’y rendre la circulation fluide, notamment à Abidjan où les embouteillages sont écœurants aux heures de pointe.
Des stades sans avenir
Malheureusement, tous ces stades risquent de tomber en désuétude en raison de la faiblesse des ligues locales qui ne déplacent pas des foules. D’ailleurs, deux mois après la compétition, le gouvernement n’a toujours pas indiqué comment il va les entretenir, lui qui est obligé de s’endetter pour faire face aux besoins ordinaires du pays. En effet depuis des années, le parlement ivoirien vote des budgets qui reposent essentiellement sur des apports extérieurs, dons et dettes compris, afin de faire face à la faiblesse congénitale des recettes publiques. En 2023, le budget de la Côte d’Ivoire était de 11.694 milliards de Fcfa pour seulement 5.282 milliards de ressources propres ; ce qui représente un peu moins de 50% du budget national.
L’autre particularité est qu’aucun de ces budgets n’a été voté en équilibre, puisque la Côte d’Ivoire aligne d’année en année un déficit budgétaire de l’ordre de 5%, soit deux points au-dessus de ce que prévoit l’UEMOA. D’ailleurs, pour 2024, l’Etat prévoit 4% de déficit, ce qui n’est toujours pas assez pour être dans les clous des règles communautaires. Pour mettre fin à cette quadrature du cercle, les bailleurs de fonds ont mis la pression sur la Côte d’Ivoire pour que le Trésor public soit géré autrement et que les passe-droits qui y sont monnaie prenne fin.
Le patron des comptables limogé
C’est au bout de ce processus qu’Augustin Arthur Ahoussi a été nommé directeur général du Trésor public pour remplacer Jacques Assahoré nommé ministre de l’environnement dans le gouvernement de Robert Beugré Mambé. Le président Alassane Ouattara a finalement confirmé ce choix qui apparaissait tout en haut des résultats de l’appel à candidature. Le nouveau directeur général du Trésor ivoirien est un chrétien baptiste qui a acquis la réputation d’être un incorruptible dans une institution très peu exemplaire. Son arrivée a déjà fait une victime de taille. A savoir le limogeage du patron des comptables de l’Etat Ali Kader.
Originaire du nord de la Côte d’Ivoire comme le président Ouattara, cet homme qui est resté pendant 13 ans à la tête de l’Agence comptable central du Trésor (ACCT) était devenu un personnage central dans le pays et il est naturellement devenu trop puissant puisqu’il parlait directement au président de la République qu’il voyait pendant plusieurs jours de la semaine. Selon ses détracteurs, c’est justement lui et ses puissants relais au sein de l’appareil d’Etat qui ont retardé la nomination du nouveau directeur du Trésor. Et lorsque ce fut enfin fait, le patron de l’ACCT a refusé d’obéir à l’autorité du nouveau directeur général, poussant ainsi le président de la République à le démettre.
L’ampleur de la dette
La faiblesse des ressources propres de l’Etat est un boulet que la Côte d’Ivoire traine depuis plus d’une décennie alors qu’elle aurait dû logiquement profiter des dividendes de l’annulation d’une grande partie de sa dette. Quelque 4.090 milliards de francs de dettes ont en effet été annulés grâce au programme de désendettement. Cette annulation devait permettre à la Côte d’Ivoire d’engranger 600 milliards de ressources propres chaque année qu’on ne voit malheureusement pas apparaître dans les comptes de l’Etat.
Au contraire, le pays s’est lancé dans une folle politique d’endettement au point qu’en une décennie, la dette ivoirienne a grimpé à un peu plus de 25.000 milliards selon les derniers chiffres de la direction de l’Economie. Quand on imagine que la dette de ce pays n’était plus que de 2.000 milliards après le point d’achèvement…
L’ampleur de cette dette fait aujourd’hui débat en Côte d’Ivoire où la direction de l’économie a dû monter au créneau pour expliquer que même si le niveau de la dette ivoirienne fait 58% du Produit intérieur brut, il est en revanche encore loin des 70% qui représente la ligne rouge. D’ailleurs signe que la Côte d’Ivoire a toujours la confiance des bailleurs de fonds internationaux, le 24 mai 2023, le Conseil d’administration du Fonds Monétaire International (FMI) a approuvé un double mécanisme élargi de crédit (MEDC) et de facilité élargie de crédit (FEC) d’environ de 3,5 milliards de dollars.
À ceci près que cet accord, qui est probablement un record, oblige la Côte d’Ivoire à réduire les « subventions généralisées aux produits alimentaires et aux combustibles », d’où la dernière flambée des prix de l’électricité et du carburant qui alimente les tensions dans le pays.
Attention, une alerte du FMI !
Au demeurant, les analyses divergent largement sur cette question. Soit parce que les chiffres du produit intérieur brut – même certifiés par le FMI- restent problématiques aux yeux de Jean Charles Thiémélé, expert économiste financier qui accuse le gouvernement de produire les données en monnaie locale, obtenant l’exact contraire des taux de croissance positifs qu’il déclare depuis 2015, soit parce que le taux de croissance « n’est pas un indicateur qui montre comment les richesses sont partagées », dénonce Séraphin Prao, professeur d’économie. Ou parce que la dette ivoirienne est improductive puisque « sur le budget de 2023, près de 42% sont des ressources propres, tout le reste est financé par perfusion de la dette », dénonce Ahoua Don Mello, le vice-président de l’Alliance des Brics chargé des infrastructures.
Il reste aussi que sur cette question de la soutenabilité de la dette, l’administration ivoirienne fait généralement l’impasse sur l’avertissement du Fonds Monétaire international qui estime que « pour les petites économies comme la Côte d’Ivoire, dépasser 49% d’endettement peut être dangereux », les taux d’intérêt des prêts risquant d’être de plus en plus élevés.
Au total, la Côte d’Ivoire qui avait bénéficié de 25% d’allègement de sa dette est toujours au point de départ, accuse Ahoua Don Mello pour qui « cela aurait dû permettre d’affecter les ressources propres de l’Etat à l’éducation et à la santé. Or, les ressources propres ne suffisent pas aujourd’hui à couvrir les dépenses courantes », assène-t-il. La dette n’a donc jamais été autant un boulet pour Alassane Ouattara que maintenant puisque « notre pays vit à crédit, les fonctionnaires sont payés à crédit », constate Séraphin Prao et qu’il vit sous perfusion. Or, « tant qu’on vit sous perfusion, on ne voit pas le problème, mais si la perfusion est enlevée on verra qu’il n’y aura plus de moyens d’alimenter le budget de l’Etat, assure Ahoua Don Mello. Avec l’autre risque d’un second PPTE qui pendrait au nez de tous.