L’attaque de l’Iran donne à l’État hébreu un statut de victime

L’Iran a lancé plus de 300 drones et missiles contre Israël dans la nuit de samedi à dimanche, en réponse à une frappe contre son consulat à Damas, la première attaque directe jamais menée par la République islamique contre le territoire israélien. Or 99 % des drones et des missiles ont été interceptés. Cette opération militaire suscite de vives condamnations dans un certain nombre de capitales occidentales et des appels à la retenue. Ce qui permet au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, comme l’explique dans un entretien Xavier Houzel de surfer sur cette vague d’indignation pour tenter de justifier la poursuite des massacres commis à Gaza contre la population civile palestinienne.

Un entretien de Xavier Houzel avec Joëlle Hazard (Mondafrique)

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Mondafrique. Quel est le sens, sinon l’objectif, de cette frappe iranienne spectaculaire et inefficace ? 

Xavier Houzel. Je ne crois pas que les Iraniens voulaient vraiment causer des dégâts. Le régime devait se sauver la face en évitant des représailles israélo-américaines sérieuses, tout en prouvant sa capacité militaire d’atteindre Israël, ce qui fait de lui le seul interlocuteur valable de la région et marginalise les Arabes. Je ne pense pas qu’Israël en sera félicité !

Cela ne change rien aux “fondamentaux” : mais cela complique les choses considérablement. Si Israël tenait absolument à poursuivre l’escalade, il mettrait alors le feu à la région toute entière. Tout y exploserait dans tous les sens ! Et, pour peu que les Russes et les Chinois adressent alors un ultimatum aux Américains – oui, aux Américains qui pourront à ce moment-là dire adieu à l’ordre mondial – les BRICS seront avec eux. 

Je ne sache pas que l’Iran ait utilisé la moindre arme destinée à tuer – peut-être même sa quincaillerie était-elle sortie de vieux stocks pour être mise à la poubelle dans le vide du désert. Ce que je sais, en revanche, est que la République Islamique d’Iran possède des centres de recherche pour lesquels les objets volants furtifs n’ont pas de secret. Je sais aussi que l’Iran maîtrise parfaitement les technologies de l’atome. Alors attention à ce que le vol de sauterelles de cette nuit mémorable ne soit pas un leurre! 

 

Premières images des dégâts causés par les frappes iraniennes

Mondafrique. La question de Gaza, les négociations pour la libération des otages contre un cessez le feu et les résolutions en faveur de deux États ne sont plus à l’ordre du jour. Les frappes iraniennes vont-elles redistribuer les cartes ? 

X.H. Benjamin Netanyahou a eu ce qu’il voulait, sauf qu’on parle en Israël de représailles sans précédent à la « punition iranienne ». On s’acheminerait, en ce cas, vers un désastre, tant en Ukraine qu’au Moyen-Orient. Les Iraniens s’efforcent d’affirmer dans les couloirs des Nations Unies que cette attaque a clôturé le « dossier de l’ambassade ». Pour des tas de raisons, il serait effectivement sage d’en rester là. Nous sommes dans le cadre d’une nouvelle épure : ce n’est plus de terroristes qu’il s’agit mais d’États. 

Ce coup de pied dans une fourmilière est mauvais, bien sûr, pour … la Palestine « encore en l’état futur d’achèvement » : le sujet de la solution à deux États n’est soudain plus prioritaire ! Encore une fois, Netanyahou a obtenu ce qu’il voulait.

On n’imagine plus Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, présenter aujourd’hui sa proposition de résolution globale – celle dont ces messieurs Smotrich et Ben Gvir ne veulent à aucun prix.  Le Conseil de sécurité de l’ONU allait justement s’attaquer aux causes profondes du conflit israélo-palestinien. La communauté internationale s’apprêtait à intensifier ses efforts pour parvenir à une « solution globale, juste et pacifique » … cela aurait pris du temps, mais on était sur la bonne voie. 

On verra très vite si c’est Israël qui contrôle Washington ou bien l’inverse. On saura aussi si le régime iranien a fait un bon ou un mauvais calcul de survie ! Netanyahou doit, à l’heure actuelle, penser qu’il est le maître du monde ! Il n’est pas sûr, cependant, que les lendemains chanteront ni pour lui, ni pour Israël.

Mondafrique. Que va-t-il advenir des pourparlers du Caire?

X.H. Les Palestiniens auraient transmis aux médiateurs du Caire leur refus de l’offre de trêve présentée à eux par le Mossad et le Shin Bet. Il n’y a pas de concordance de temps entre la « punition » de Téhéran et ce refus. De l’avis général, le Bureau politique du Hamas aurait été surpris par le déclenchement inopiné de l’opération iranienne. Les négociateurs israéliens attendaient ce refus qui appelait pourtant une contre-offre… mais qui, avec l’attaque de samedi soir, ne viendra plus !

 

Mondafrique. Comment vont réagir les monarchies pétrolières arabes qu’on sent aujourd’hui très embarassées?  

X.H. MBS, MBZ, le Qatar, ceux qui « ont de l’argent » et qui tiennent les détroits, ne sont sûrement pas enchantés de voir ce qui arrive. Ils s’étaient rabibochés avec l’Iran. L’Égypte et la Jordanie sont inquiets. Les Accords d’Abraham sont vraisemblablement caducs, l’inverse serait intenable en dépit de la démonstration de force d’Israël, en réalité un colosse aux pieds d’argile.

Personne n’ignore que la frappe sur l’ambassade d’Iran et les postures de matamore d’Israël après le pied de nez de Téhéran sont plutôt un cache-misère qu’autre chose, maintenant que Tsahal semble avoir perdu médiatiquement et militairement la Guerre de Gaza. Il est trop tôt pour dire jusqu’où cela va nous conduire, sachant le candidat Biden bien ennuyé par cette affaire et le candidat Trump empêtré dans des procès inénarrables !

Mondafrique. Netanyahou savait pourtant où il voulait en venir en ciblant le consulat de l’ambassade d’Iran à Damas : il a choisi de déclencher une escalade…

X.H. La morale de cette histoire est que Benjamin Netanyahou est une redoutable bête politique (complètement égocentrique[i]) et un menteur patenté (il ment d’ailleurs depuis le 7 octobre 2023[ii]), que les Iraniens n’ont pas fait preuve de sagesse (le régime pouvait-il faire autrement sans perdre sa crédibilité), mais  plutôt de rouerie – comme il fallait s’y attendre de la part d’une vieille nation à qui on ne la fait pas, que le silence des Russes, des Chinois et de l’Arabie saoudite est assourdissant et que les Américains ont fait une éblouissante démonstration de force

Pour avoir abattu quelques engins, la France est, pour sa part, quitte vis-à-vis du peuple israélien qu’il aura aidé à se défendre. C’est bien, car elle peut lui dire désormais que ça suffit 

À force de perpétrer des assassinats sans penser aux conséquences qu’ils pourraient avoir, Israël entraîne la région et le monde entier dans un chaos qui, finalement, profite à l’Iran (surtout depuis l’invasion de l’Irak par les Américains, en 2003).  À bien y réfléchir, rien n’a véritablement changé : le conflit israélo-palestinien  est toujours l’épicentre du séisme subi par le Moyen-Orient dans sa globalité. La première sinon la seule pomme de discorde entre l’Iran et Israël – autrefois (sous le Shah) des alliés objectifs – reste la Palestine.  

La tragi-comédie du cabinet Netanyahou avec feux d’artifice offerts par la maison devrait se terminer sans plus de dégâts : ce malin de Netanyahou a encore sauvé sa peau !

Il faut maintenant anticiper la suite ! Vu d’Iran, quel pourrait être le prochain degré d’escalade, dans l’hypothèse où Israël rétorquerait, malgré l’injonction des États-Unis de ne pas le faire ? Trois registres sont à considérer : le militaire, le politique et l’économique. 

Le Militaire : Israël voudra détruire des installations stratégiques (cf. nucléaire ou usines de drones, etc.) auxquelles le pays tient particulièrement. L’Iran, qui est préparé à cette éventualité, dispose pour sa part d’une panoplie de moyens pervers, comme la prise d’otages ici ou là dans la diaspora voire des assassinats (du genre Vieux de la montagne), comme la France en a fait l’expérience sous le président Mitterrand.

Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU au siège de l’ONU à New York

⁠Le Politique : les BRICS vont se mobiliser de plus belle contre Israël et l’Occident (de plus en plus assimilés). L’Assemblée générale de l’ONU sera transformée en pétaudière et le Conseil de sécurité sera paralysé! Les Russes, les Iraniens et les Chinois multiplieront les opérations du style Wagner pour chasser systématiquement les occidentaux de leurs anciennes positions stratégiques.

Ormuz est une île iranienne située dans le détroit d’Ormuz. Elle dispose d’une importance stratégique par sa position au débouché du golfe Persique.

– ⁠L’Économique : la fermeture du Détroit d’Hormuz, le blocage de la Mer Rouge, voire du Canal de Suez, sont à envisager avec les conséquences qu’on imagine sur les cours des Hydrocarbures et le commerce international. Bravo Netanyahou ! Tout cela aux frais de la princesse (Nous !) qui aurons à en supporter les effets par des faillites, des grèves et des cataclysmes politiques à demeure

La balle est dans le camp du cabinet de guerre, un groupe restreint composé uniquement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, du ministre de la Défense Yoav Gallant et du ministre du cabinet Benny Gantz.

Mondafrique. Un chaos généralisé se profile-t-il ?

C’est donc le moment de tenter de régler deux problèmes en un seul : la Palestine et l’Iran – ou l’inverse, l’Iran et la Palestine. Il ne faut pas compter sur les États-Unis pour s’atteler à ce double problème – résoudre le conflit Israélo-palestinien serait régler ipso facto la question israélo-iranienne – en réalité l’envers et l’endroit d’une même médaille. Depuis Jimmy Carter, rien ne va plus entre Washington et Téhéran, ce n’est pas la peine d’insister. 

La France parle au Hezbollah et à l’Iran (et à l’Irak) : c’est le moment ou jamais pour elle de proposer à Washington ses services – à titre d’échange de bons procédés et à condition que l’Amérique “contienne” Benjamin Netanyahou en empêchant ce dernier de précipiter plus avant encore non seulement l’Occident mais aussi ses voisins Arabes dans le chaos.  Et qui serait alors le mieux placé à côté de la France pour l’aider à y parvenir ? Si je vous disais que ce serait alors le Hamas, vous me prendriez pour un vendu ou pour un fou, et pourtant… ce serait si facile ! Je ne dis pas que la France parviendrait à régler, à elle seule, le problème central Iran-États-Unis, non ! En tout cas, pas avant le résultat des élections présidentielles américaines de novembre…

Mondafrique Le soutien des États-Unis procure à Israël un sentiment de sécurité absolu.  

X.H. On se croirait au théâtre pendant une représentation de la pièce de Samuel Beckett “En Attendant Godot”! C’est à la fois dommage et rassurant, parce qu’ensuite, l’on ne peut plus vous prendre au sérieux : comme dans la réalité, le nombre de scènes de la pièce n’est ni décompté ni annoncé.  Au début du premier acte, en l’absence d’Estragon (alias Godillot Netanyahou), Vladimir (sic) est “heureux et content”, ce qui fait de la peine à Estragon à son arrivée sur la scène : “Tu vois, tu pisses mieux quand je ne suis pas là”… tout y est burlesque. Quand le pantalon d’Estragon tombera, parce que sa ceinture (made in America) a cassé, personne ne rira !

 Mais redevenons sérieux ! Le grand désavantage des attaques iraniennes est évidemment qu’Israël retrouve son statut de victime contesté par des voisins hostiles, qu’il sorte de son isolation et qu’il justifie à la fois Gaza et Rafah ! Israël pourrait être tenté d’utiliser la couverture d’un soutien international légèrement plus chaleureux qu’hier pour lancer une opération à Rafah. Cela pourrait se faire, comme pour son invasion terrestre initiale, par phases successives.

Parallèlement, Netanyahou  pourrait se servir de sa velléité de répondre à l’Iran par une action d’envergure comme de moyen de chantage ou de levier par rapport au président américain pour amener ce dernier à tolérer cette attaque contre Rafah, qui est son obsession ! 

[i] https://adc.org/biden-foreign-policy/

[ii] https://twitter.com/DoubleDownNews/status/1778346028569071633

Des drones lancés, ce samedi soir, par l’Iran vers Israël font craindre le pire!