L’Afrique de l’Ouest désarmée face à la contagion djihadiste

 
Longtemps considéré comme un simple horizon, le risque que les groupes djihadistes investissent toute l’Afrique de l’Ouest s’amplifie et se précise. Le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Togo sont déjà dans le viseur des groupes terroristes qui lorgnent désormais vers la Guinée et le Sénégal aussi.
 
Francis Sahel
 
 
 
 
Dés le mois de mai 2013 voici onze ans, un rapport de la Cedeao constatait : « Le Sénégal n’est pas totalement à l’abri d’une propagation de la menace djihadiste, ne serait-ce que sur le plan idéologique. ». De fait, depuis le milieu des années 1980, une myriade d’associations et d’organisations islamistes d’inspiration wahhabite ont fait leur apparition dans le pays sur fond de lutte d’influence entre l’Arabie saoudite et le Qatar en Afrique. Depuis les attentats de Bamako au Mali et Ouagadougou au Burkina, la sécurité au Sénégala également été renforcée dans les hôtels et les aéroports du pays.
 
Ces derniers mois, la situation se dégrade. Les changements brutaux intervenus dans les pays du Sahel, la crise économique et une répression accrue contre les opposants ont poussé des milliers de citoyens du Sahel à gagner les terres plus clémentes de l’Afrique de l’Ouest, Sénégal et Cote d’Ivoire en tète, avec le risque que les groupes terroristes utilisent cette population déshéritée pour développer leur influence et élargir leur horizon géographique.
 
La vraie question n’est plus tant de savoir si les groupes djihadistes sont capables de prendre Bamako, Niamey ou Ouagadougou mais s’ils en ont vraiment envie. Les attaques se rapprochent de plus en plus des capitales et accréditent l’idée d’un rouleau compresseur du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS). En menant la semaine dernière une action spectaculaire à Hamdallaye, à seulement 30 km de Niamey, presque dans les faubourgs de la capitale nigérienne, les djihadistes ont fait une démonstration de force qui alerte sur leurs capacités à porter le feu au cœur des capitales sahéliennes.

Burkina Faso, maillon faible

 
C’est au Burkina Faso que la situation sécuritaire semble la plus dégradée. Malgré deux coups d’Etat militaires (janvier 2022 et septembre 2022), le pays des hommes intègres n’a toujours pas réussi à renverser le rapport des forces défavorables avec les deux grandes enseignes terroristes du Sahel. Signe de la progression des groupes djihadistes, certaines attaques récentes se sont produites à la périphérie de principales villes secondaires du pays : Djibo, Kaya et Dori, au nord-ouest, au nord et au centre-nord. Derrière la multiplication des attaques sur le territoire burkinabé, se cache l’agenda des djihadistes de provoquer l’effondrement de ce pays et d’avoir la voie libre pour dérouler leurs activités au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Togo, quatre pays côtiers frontaliers du Burkina Faso. Le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Togo ont déjà subi des attaques terroristes. La dégradation de la situation au Burkina Faso a déjà entraîné une vague d’arrivée des réfugiés en Côte d’Ivoire et au Togo. Selon des ONG locales, au moins 15000 réfugiés sont arrivés du Burkina Faso sur le sol ivoirien et un peu moins au Togo. Outre les problèmes de sécurité liés à la volonté des groupes djihadistes de se servir des réfugiés comme cheval de Troie, leur arrivée massive et non anticipée fragilise les économies locales et les populations hôtes.
 

Mali, berceau de la menace

Même si elle semble un peu moins dégradée qu’au Burkina Faso, la situation sécuritaire au Mali est très volatile, comme l’ont prouvé les dernières attaques terroristes que le pays a connues. La multiplication des attaques et leur caractère de plus en plus sophistiqué donnent à penser que les djihadistes n’ont pas renoncé à leur agenda d’utiliser le territoire malien pour exporter leur menace vers les pays frontaliers. Ils ont déjà réussi à projeter des commandos djihadistes contre la Côte d’Ivoire qui a subi une attaque d’envergure en mars 2016 dans la ville balnéaire de Grand-Bassam puis au moins deux autres en juin 2022 et août 2021 sur la frontière commune, dans la zone de Kafolo. La crainte est désormais de voir les mouvements terroristes utiliser le Mali pour exporter la menace vers la Guinée et le Sénégal. En l’absence d’une attaque directe sur leur sol, le défi sécuritaire pourrait prendre pour Conakry et Dakar la forme d’une arrivée massive de réfugiés fuyant la pression des groupes djihadistes. Dans un tel scénario, le Sénégal, en particulier, perdrait son statut « d’ilot de sécurité » dans un Sahel sous la menace générale des groupes terroristes.
 
Par leurs mauvaises relations de voisinage, les Etats sahéliens et leurs voisins côtiers sont devenus les alliés objectifs de la progression de la menace djihadiste. L’intensification des activités des groupes terroristes à la frontière commune n’a pas encore convaincu la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso de développer une coopération sécuritaire transfrontalière. Au motif qu’ils ont traversé illégalement la frontière, deux gendarmes ivoiriens sont actuellement détenus au Burkina Faso.
 
Les autorités ivoiriennes leur ont rendu la monnaie en procédant à l’arrestation d’un membre des forces de défense et de sécurité (FDS) et d’un Volontaire pour la défense de la patrie (VDP) burkinabé, eux aussi parce qu’ils ont « franchi illégalement » la frontière commune. « Tous les vrais ennemis du Burkina Faso se trouvent actuellement en Côte d’Ivoire« , avait déclaré en avril 2024 le président burkinabé Ibrahim Traoré, lors d’un entretien avec la télévision nationale (RTB, radiotélévision du Burkina)
 
 

Entre Bamako et Abidjan, rien ne va plus

 
Les relations de voisinage ne sont guère plus brillantes entre le Mali et la Côte d’Ivoire. L’épisode de 49 soldats arrêtés en juillet 2002 au Mali avant d’être libérés en janvier 2023 à la suite d’une médiation togolaise a laissé des traces indélébiles. Faute de confiance retrouvée, impossible à l’heure actuelle de construire une réponse commune ivoiro-malienne au défi sécuritaire sur la frontière commune. Alors que cette brèche dans la coopération bilatérale ne peut profiter qu’aux groupes terroristes.
 
Avec les tensions actuelles entre le Bénin et le Niger, ces deux Etats ne peuvent pas se mettre d’accord pour contrer la menace terroriste. Cotonou n’entretient pas non plus de meilleures relations avec le Burkina Faso. L’absence de coopération entre le Bénin, d’un côté, et le Burkina Faso et le Niger, de l’autre, fait craindre que les djihadistes en profitent pour avancer leur agenda de créer une seconde zone des trois frontières Bénin-Burkina Faso-Niger, aux confins des parcs du W et de la Pendjari, dans la région limitrophe aux trois Etats.  C’est bien là tout le paradoxe de la posture des pays ouest-africains face à la progression des groupes djihadistes. Alors que l’extension territoriale de la menace avance inexorablement, la coopération sécuritaire entre les Etats sahéliens et les pays du Golfe de Guinée a reculé à grands pas.
 
Avant la vague des coups d’Etat qui a frappé le Mali, le Burkina Faso et le Niger, les pays sahéliens regroupés dans le G5 Sahel et ceux du Golfe de Guinée réunis au sein de « l’Initiative d’Accra » s’étaient rapprochés pour esquisser une réponse commune transnationale à la poussée djihadiste. Depuis, le G5 Sahel a volé en éclat et trois de ses cinq Etats membres, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ont créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES), ouvertement hostile aux présidents béninois Patrice Talon et ivoirien Alassane Ouattara. Des tensions sous-régionales qui font finalement les bonnes affaires de l’EIGS et du JNIM toujours en embuscade au Sahel et prêts à descendre sur le Golfe de Guinée.
 
https://mondafrique.com/international/de-leffondrement-du-niger-a-lembrasement-de-lafrique-de-louest/