Le continent africain compte le plus grand nombre de zones côtières de faible altitude, telles que les plages sableuses. Ces zones très exposées aux aléas océaniques et climatiques voient les activités humaines accentuer leur vulnérabilité.
Dans la localité de Cap Cameroun (estuaire du Wouri, Cameroun), la position actuelle d’une antenne de télécommunications à plus de 300 mètres dans l’océan, alors qu’elle a été installée au milieu de ce territoire en 1992, témoigne ainsi de la vulnérabilité induite par la coupe du bois de mangrove pour le chauffage et le fumage des produits halieutiques.
En résultent des phénomènes d’érosion, de submersion et d’inondation dévastateurs engendrant des pertes humaines et matérielles conséquentes. À Saint Louis (Sénégal) par exemple, l’élargissement de la brèche artificielle entre le fleuve à l’océan, initialement de 4 mètres et mesurant aujourd’hui plusieurs kilomètres de large, a conduit à plusieurs centaines de morts depuis son ouverture en 2003. Une surveillance régulière et à long terme apparaît par conséquent indispensable pour protéger dans ces secteurs les personnes et des biens.
Pour ce faire, un réseau de caméras pour la surveillance des zones côtières est peu à peu mis en place depuis 2013 en Afrique centrale et de l’Ouest, aujourd’hui formé de huit stations installées dans cinq pays : Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Bénin, Cameroun.Les sites d’installation ont été choisis du fait de la forte vulnérabilité observée dans ces localités. Le rôle du réseau est de donner des informations complémentaires à celles collectées sur le terrain et par l’observation satellitaire, afin de mieux comprendre et prédire les risques.
Un système de mesure tout-en-un
Concrètement, ces caméras mesurent les variations du niveau de la mer à la côte, là où les informations collectées par l’altimétrie satellite se font seulement au large, à au moins 25 km des côtes, et là où les marégraphes sont difficiles à installer, du fait du danger associé au déferlement des vagues.
Le réseau collecte en outre des données locales à long terme sur les vagues, avec une précision bien souvent supérieure à celle des données de modèles et de réanalyse régionale disponibles. Il offre également une vision quotidienne de la morphologie littorale et sous-marine, difficilement accessible par les méthodes classiques.
Chaque système local se compose d’une partie matérielle – caméra et/ou ordinateur local – et d’une partie logicielle (algorithmes de traitement). La caméra collecte des images optiques de la zone littorale et les algorithmes traitent les images collectées afin d’en estimer les paramètres hydrodynamiques et morphologiques. Les caméras nécessitent une alimentation électrique fiable.
Un système de contrôle à distance, réalisable avec une connexion Internet, permet une surveillance en temps réel, essentielle pour les systèmes d’alerte précoce. Les effets des conditions atmosphériques sur la qualité de l’image sont compensés par l’application d’algorithmes de détection de la qualité des images collectées.
Un outil d’aide à la décision
Les applications d’un tel système sont nombreuses, et particulièrement utiles à la sécurité des nageurs, aux acteurs de la pêche et des infrastructures portuaires, à la recherche en ingénierie côtière…
Parmi les principales, il permet de prévenir les cas de décès par noyade dus aux courants sur les plages africaines. Il aide aussi à améliorer et valider les modèles de dynamique côtière et à comprendre et anticiper les évolutions attendues. Mais également à évaluer l’efficacité et le besoin des structures de défense à la côte et de gestion littorale tels que le réensablement artificiel des plages comme cela a été effectué à Saly au Sénégal dans la région touristique de la Petite Côte.
Enfin, il peut-être utile à la mise en place de systèmes d’alerte précoce pour la survenue d’événements extrêmes, tels que les tempêtes ou les inondations à l’échelle régionale.
Les études menées à Grand Popo (Bénin) ont par exemple aidé à prévenir et à réduire les nombreux cas de décès par noyade dus à ce phénomène. À Elmina (Ghana), le suivi du bilan sédimentaire par caméra a été implémenté en support au développement des infrastructures côtières. D’autres défis, tels que les débarquements de sargasses sur les plages, deviennent un problème de plus en plus répandu dans la région de l’Afrique de l’Ouest (au Ghana et en Côte d’Ivoire). Des algorithmes innovants de traitement d’images vidéo pourraient fournir des preuves de la propagation de sargasses sur le littoral.
Vers une stratégie côtière régionale
Plusieurs études récentes, dont un compendium des bonnes pratiques de gestion littorale en Afrique de l’Ouest,ont recommandé l’élaboration d’un plan de gestion côtière à grande échelle beaucoup plus intégré, et qui ne se limite pas aux frontières étatiques. Les données précises et fiables sur les côtes africaines sont en effet très souvent indisponibles.
Le réseau ici décrit facilite justement la mise en place de cette politique de gestion plus intégrée, au travers du partage des algorithmes de traitement et des données collectées. La base de données ainsi générée sert de référence afin de mettre en évidence les effets du changement climatique et les conséquences d’une urbanisation galopante du littoral.
Un outil précieux à la prédiction des risques associés à ces dérèglements et, par conséquent, à l’élaboration d’une politique régionale d’aménagement du territoire et une gestion des zones côtières plus efficaces. Cela inclut l’identification d’objectifs, de priorités, de stratégies et de calendriers communs à plusieurs pays pour les atteindre – en respectant les cadres légaux et réglementaires étatiques mais en tenant compte des directives des Nations unies au niveau de l’Union africaine.
Un modèle à reproduire
La base de données recueillie par ce réseau peut aussi constituer un apport en matière de recherche : conduire à de nouveaux développements méthodologiques, au renforcement des capacités en ressources humaines, et à une meilleure compréhension des processus côtiers face aux changements climatiques et aux activités humaines.
Il fournit des mesures de référence pour d’autres observations telles que la télédétection par satellite et les études d’ingénierie.
C’est un véritable atout pour les programmes régionaux tels que l’Observatoire régional du Littoral ouest-africain (ORLOA) ou le Programme des zones côtières d’Afrique de l’Ouest (WACA) pour cibler les points chauds.
Il apparaît donc crucial de le pérenniser et l’étendre afin de répondre au mieux aux risques côtiers en Afrique. D’autant plus que son faible coût financier constitue un avantage qui facilitera sa reproductibilité et l’expansion de ce réseau d’observation, sur la côte Méditerranéenne par exemple mais aussi ailleurs dans le monde.