Côte d’Ivoire, la veillée d’armes avant la Présidentielle de l’automne

Quels seront les candidats à l’élection présidentielle d’octobre prochain en Côte d’Ivoire ? Bien malin qui sera capable de répondre à une telle question à six mois de l’échéance. Parmi les potentiels candidats les plus importants, on peut citer le président de la République actuel Alassane Ouattara, l’ancien président de la République Laurent Gbagbo, et le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) Tidjane Thiam.

Venance Konan

Le président Alassane Ouattara, 83 ans, qui dirige le pays depuis une quinzaine d’années et dont la candidature est bruyamment réclamée par ses partisans, ne s’est pas encore prononcé. Toute l’opposition s’oppose à sa candidature, en arguant qu’elle serait anticonstitutionnelle, au regard du texte fondamental qui stipule que le nombre de mandats est limité à deux. Mais le conseil constitutionnel avait estimé en 2020 que la nouvelle constitution adoptée en 2016 avait remis les compteurs à zéro, et que le mandat entamé par le président Ouattara en 2020 n’était que le premier de la troisième République créée par la nouvelle constitution. S’il se présentait en 2025, il n’en serait qu’à son second mandat de cette nouvelle République. Il faudrait sans doute attendre le congrès du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir dont il est le président, qui est prévu pour se tenir au mois de juin, pour connaître la décision du Chef de l’Etat.

Laurent Gbagbo, 80 ans, l’ancien chef de l’Etat qui a été acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) en 2019 après huit ans d’emprisonnement à La Haye, a annoncé son intention de concourir à l’élection présidentielle de 2025. Mais le 18 janvier 2018, il avait été condamné, en même temps que trois de ses anciens ministres, par la Cour d’assises d’Abidjan à vingt ans de prison et à une amende de 329 milliards de francs CFA pour « vol en réunion par effraction portant sur des caves à la Banque centrale des Etats d’Afrique occidentale (BCEAO) et des numéraires, complicité de vol en réunion par effraction, destruction d’une installation appartenant à autrui, détournement de deniers public » en vue d’obtenir des liquidités durant la crise électorale pour payer les fonctionnaires. C’est l’affaire dite du casse de la BCEAO. La peine est assortie d’une privation des droits civiques.

Mais si Laurent Gbagbo a bénéficié d’une grâce du chef de l’Etat, il est cependant rayé de la liste électorale et ne peut par conséquent être candidat à l’élection présidentielle. L’ancien chef d’Etat conteste sa condamnation, et surtout l’impossibilité pour lui d’être candidat à la future élection présidentielle. De surcroît, il exige la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI) qu’il estime être à la solde du pouvoir.

Depuis lors, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI), parti qui l’avait porté au pouvoir suprême en 2000 qu’il a abandonné aux mains de son ancien numéro deux Affi Nguessan, pour créer le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) qui se définit comme panafricaniste et socialiste, ne cesse de réclamer sa réinscription sur la liste électorale. Après une série de meetings dans quelques localités, Laurent Gbagbo vient de lancer ce qu’il a appelé le mouvement « trop c’est trop », et il promet de donner bientôt des mots d’ordre pour d’autres actions dont il n’a pas dévoilé la nature. Le parti de Laurent Gbagbo affirme qu’il n’a pas de plan B, et que son unique candidat est bien son fondateur.

Tidjane Thiam, 63 ans, l’ancien ministre d’Henri Konan Bédié en 1998, est rentré en Côte d’Ivoire après s’en être absenté pendant 23 ans, au lendemain du coup d’Etat qui avait renversé le pouvoir dont il était membre. Après avoir dirigé Prudential, l’une des plus grandes compagnies d’assurance au monde, puis la banque Crédit Suisse, il a pris la tête du PDCI, le parti historique créé par Félix Houphouët-Boigny, qui dirigea la Côte d’Ivoire pendant 33 ans. Il a annoncé son intention de briguer la présidence de la Côte d’Ivoire, mais il vient d’être freiné dans son élan par une décision de justice qui ordonne sa radiation de la liste électorale au motif qu’il n’était plus Ivoirien au moment de son inscription sur ladite liste.

En effet M. Thiam s’était fait naturaliser Français en 1987, alors qu’il avait 25 ans, alors qu’une loi datant de 1961 stipule que l’Ivoirien majeur qui acquiert la nationalité d’un autre pays perd celle de la Côte d’Ivoire. De plus, la constitution exige que tout candidat à la présidence de la Côte d’Ivoire soit exclusivement Ivoirien. M. Thiam avait renoncé à sa nationalité française en mars dernier, mais le tribunal a estimé qu’au moment de son inscription sur la liste électorale, il avait déjà perdu la nationalité ivoirienne et que c’est à tort qu’un certificat de nationalité ivoirienne lui avait été octroyé. M. Thiam a aussitôt violemment rejeté cette décision, en parlant d’une sombre loi dont personne ne connaissait l’existence et qui exclurait des milliers, voire des millions d’Ivoiriens qui avaient acquis d’autres nationalités tout en se croyant toujours Ivoiriens. Ses partisans ne décolèrent pas et crient au complot ourdi par le parti au pouvoir pour évincer un candidat dangereux. Dans sa première déclaration, M. Thiam avait parlé d’un mystérieux sondage dont personne n’avait encore entendu parler et qui lui accorderait 57% des intentions de vote face à M. Alassane Ouattara. Il a lui aussi annoncé que son parti n’a pas de plan B, et que c’est lui son candidat ou personne d’autre. Une manifestation organisée au lendemain de cette décision a rassemblé à peine deux cent personnes. Il faut dire que M. Thiam fait aussi face à une fronde au sein de son propre parti dont certains militants contestent son élection à sa présidence et ont intenté une action en justice contre lui pour l’en déchoir. Parmi les griefs émis contre lui, il y a le fait qu’il n’avait pas la nationalité ivoirienne au moment de son élection à la tête du parti, qu’il n’avait participé à aucune activité du parti pendant son exil volontaire de 23 ans, alors que les textes exigent que le candidat à la présidence soit membre actif du bureau politique pendant au moins dix ans. Le 28 avril, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice et des droits de l’homme a animé une conférence de presse au cours de laquelle il a affirmé que M. Thiam était indiscutablement redevenu Ivoirien au regard des textes ivoiriens, dès lors qu’il avait renoncé à sa nationalité française en mars 2025, puisque son père et sa mère étaient Ivoiriens. Affaire à suivre.

Au sein du PDCI, le principal challenger de M. Tidjane Thiam est M. Jean Louis Billon, 61 ans, héritier de la plus grosse fortune de la Côte d’ivoire et ancien ministre du commerce de M. Alassane Ouattara. Il avait depuis longtemps annoncé son désir de briguer la présidence du PDCI, puis celle de la Côte d’Ivoire, mais M. Tidjane Thiam lui avait brûlé la politesse en se faisant élire à la tête du plus vieux parti du pays. M. Billon avait contesté l’élection de M. Thiam à la présidence du parti, et bien qu’il soit minoritaire au sein du PDCI, il n’a pas encore renoncé à son ambition de se porter candidat à la présidence de la Côte d’Ivoire.

Les deux principaux outsiders dans cette course à la présidence sont Charles Blé Goudé, 53 ans, l’ancien leader des « Jeunes Patriotes » et éphémère ministre dans le gouvernement formé par Laurent Gbagbo après sa tentative de confisquer le pouvoir après l’élection de 2010, et Guillaume Soro, 53 ans, l’ancien chef de la rébellion, ancien premier ministre et ancien président de l’Assemble nationale. Le premier a été condamné à vingt ans de prison, gracié, mais rayé de la liste électorale et le second a été condamné à la prison à vie, rayé aussi de la liste électorale et vit hors de la Côte d’Ivoire.  

Que se passera-t-il si toutes les personnes rayées de la liste électorale ne peuvent en fin de compte pas compétir ? Le candidat du RHDP sera-t-il seul en lice, avec juste quelques candidats de figuration ? L’opposition croisera-t-elle les bras ? Se dirige-t-on vers une nouvelle crise électorale ? En attendant d’avoir les réponses à toutes ces questions, les Ivoiriens qui ont encore en mémoire les morts, les blessés et les destructions des élections de 2000, 2010 et 2020, s’en remettent à leurs différentes divinités pour exorciser les démons du passé.