Les comptes d’Abdeslam Bouchouareb, l’ami de la France, transmis à Alger 

Les comptes en Suisse de l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines de 2014 à 2017, Abdeslam Bouchouareb, aujourd’hui en fuite, n’auront bientôt plus de secrets pour la justice algérienne. Les avocats de cet homme d’affaires quifut un des principaux interlocuteurs du pouvoir français pendant les années Bouteflika s’étaient pourtant opposés à la transmission d’informations bancaires sous prétexte que « la procédure algérienne ne garantirait ni l’indépendance de la justice, ni le respect des droits de la défense », mais sans convaincre le Tribunal pénal fédéral.

Par Nicolas Beau et Ian Hamel, à Genève 

Réfugié en France selon « Jeune Afrique » à moins qu’il n’ait été exfiltré depuis, , depuis février 2019, l’ex ministre fait l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Abdeslam Bouchouareb, 71 ans, ancien député et ancien ministre, a déjà écopé  depuis 2019 d’un nombre impressionnant de condamnations pour « corruption »  et « dilapidation de deniers publics ». Ses peines de prison doivent avoisiner le siècle. Réfugié en France selon Jeune Afrique, depuis février 2019,  l’homme d’affaires qui rêvait de devenir Premier Ministre sous la présidence de Bouteflika, fait l’objet depuis d’un mandat d’arrêt international.

Le « Hibz França » au pouvoir

Abdeslam Bouchouareb, qui était consulté à Paris aussi bien par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères de François Hollande, (voir la photo ci dessus) que par Emmanuel Macron devenu Président de la République, a incarné longtemps le « Hibz França », ce « Parti de la France » qui, en Algérie, passe dans l’opinion algérienne pour une force souterraine largement fantsmée.Détesté par les uns, adulés par les autres, Abdeslam Bouchouareb ne laissera à l’apogée de son brillant parcours aucun algérien indifférent. Le fis de la commune d’Aïn-Mlila située dans la Wilaya (Préfecture) d’Oum-El-Bouaghi dans le pays chaoui, a grimpé les échelons à un rythme effréné. Tout a débuté par une réussite indéniable dans le secteur agro alimentaire algérien, des marchés  florissants dans une économie qui importe encore la majorité de ses produits alimentaires, notamment le blé, l’huile et le sucre.

Durant les années 80, l’ami Bouchouareb se lance dans la fabrication des chips et pommes mousselines. Classiquement, le businessman exploite les réseaux dont il dispose au sein de l’institution militaire, qui  à l’époque contrôle étroitement la distribution des marchés. Or, coup de chance, les deux frères d’Abdeslam étaient officiers dans l’Armée. Le premier, feu le colonel Slimane Bouchouareb, était directeur central du Personnel et de la Justice Militaire (DPJM) au ministère de la Défense Nationale. Le second, feu le colonel Karim Bouchouareb, était un haut cadre de la Sécurité Militaire, l’ancêtre du DRS, sous le rêgne  du général Betchine.

 

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Du pays chaoui aux bords de la Seine

Plusieurs fois ministres à la fin des années 90 et au début des années 20OO, Abdeslam Bouchouareb  connaîtra la gloire en 2014 au début du quatrième mandat de Bouteflika. Il est parachuté ministre de l’Industrie à partir d’avril 2014 jusqu’à mai 2017. C’est que son réseau dans le pays chaoui, une région stratégique située dans l’est algérien, va le rendre incontournable aux yeux du président Bouteflika et de son frère Saïd. Ce sera lui qui défendra les intérêts du clan présidentiel dans une région qui a fourni beaucoup de ses cadres à l’institution militaire dont la Présidence cherche à limiter les prérogatives. Après avoir surfé sur ses relations dans l’armée, Bouchouareb n’hésite pas à se retourner contre ses amis d’hier pour plaire à la Présidence algérienne.

En 2014 donc, Abdeslam Bouchouareb sera l’homme qui dirigera la nouvelle stratégie industrielle de l’Algérie. Des fonctions qui lui permettront de tisser des relations d’affaires impressionnantes au point de devenir l’interlocuteur secret des grands groupes étrangers notamment français comme Lafarge ou Renault.

Abdessalem Bouchouareb croit tellement en l’avenir de l’Algérie qu’il a décidé de devenir résident en… France et cela depuis 1997! Ministre en Algérie et propriétaire à Paris d’un bel appartement sur les bords de la Seine, tel est le destin schizophrénique de ce Rastignac, tel qu’il a été révélé par les journalistes français Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet dans leur livre “Paris Alger, une histoire passionnelle”.

« Le ministre requin » 

Le quatrième mandat de Bouteflika révèle la voracité illimitée d’Abdesslam Bouchouareb. Ainsi le « ministre requin » comme l’appellent de nombreux observateurs, a semé un véritable désordre dans le très délicat secteur des mines en Algérie. En effet, Bouchouareb a exercé un fort lobbying auprès des Bouteflika et leurs conseillers pour rattacher le secteur des mines à son portefeuille ministériel, à savoir celui de l’Industrie et de la Promotion des investissements, afin que son influence soit grandissante au sein du gouvernement. Naguère, les mines étaient gérées par le ministère de l’Energie.

Il aura fallu après la réélection de Bouteflika en 2014 attendre près de six mois pour qu’un organigramme clair situe les prérogatives de la direction des mines au ministère d’Abdesslam Bouchouareb. Dans les wilayas (Préfectures), les directions des mines relèvent toujours de l’énergie et non pas de l’industrie. En l’absence de directives précises, ces fonctionnaires demeurent paralysés et de nombreux dossiers d’investissement en suspens.

La loi du cllentélisme.

Abdeslam Boychouareb n’oublie pas les siens. offre à sa famille un boulevard pour développer leurs affaires. Le BTP, la charpente métallique, le commerce de gros des matériaux de construction, l’importation des produits alimentaires: autant de secteurs surveillés de près par un ministre de l’Industrie devenu un des hommes les plus riches en Algérie.

Ses amis ne sont pas oubliés. En Algérie, les frères Abdenour et Azzedine Souakri font beaucoup parler d’eux dans les affaires. Présents dans le secteur des matériaux de construction depuis des années, ils ont fait une entrée fracassante dans la cour des grands en obtenant un méga-projet en partenariat avec le très influent groupe français Lafarge. Avec ce dernier,  ils ont réalisé une importante cimenterie à Djemora dans la wilaya de Biskra. Le secret de cette réussite est leur proximité avec Abdesslam Bouchouareb, largement l’artisan de ce partenariat avec le groupe francçais. C’est lui qui a activé ses réseaux à Paris pour imposer ses amis les Souakri. Il a également usé de son influence auprès des banques algériennes pour qu’elles financent une bonne partie de ce projet qui a nécessité un investissement dépassant les 300 millions d’euros.

La justice algérienne curieuse

L’Algérie tient aussi à récupérer certains de ses avoirs encore à l’abri dans des banques suisses. Le 18 février 2020, Alger adresse à Berne une première commission rogatoire, puis, quelques semaines plus tard, une demande d’entraide internationale. Le Ministère public de Genève entre en matière dès le 3 août 2020. L’année suivante, l’Algérie forme une commission rogatoire internationale complémentaire, et la justice de la Cité de Calvin accepte cette nouvelle demande algérienne le 19 novembre 2021.      

Depuis 2006, les deux pays ont conclu un Accord d’entraide judiciaire en matière pénale. La collaboration est donc logique, d’autant que la Confédération entend effacer son image de paradis fiscal fermant les yeux sur la corruption internationale. Dès le 2 décembre 2021, la justice helvétique demande à une première banque « la saisie de la documentation bancaire ». Ce compte aurait notamment accueilli le 18 janvier 2017 un peu plus d’un million de francs suisses. Le 28 janvier 2022, une somme de 1,740 million d’euros est bloquée sur un autre compte. Le 6 octobre 2022, le Ministère public ordonne la transmission à l’Algérie, « l’État requérant », des pièces relatives aux comptes bancaires dont l’ancien ministre de l’Industrie seraient titulaire.      

« Un traitement inhumain »                                                                                                                               

Mais l’ancien vice-président de l’Assemblée populaire nationale, et ancien directeur de la communication d’une des campagnes présidentielles d’Abdelaziz Bouteflika, peut s’appuyer sur la pugnacité de ses avocats, Benjamin Borsodi et Charles Goumaz. Ces derniers dénoncent la procédure algérienne qui « ne garantirait ni l’indépendance de la justice, ni le respect des droits de la défense, ni aucun droit procéduraux élémentaires ». Ils affirment que Abdeslam Bouchouareb « n’aurait à aucun moment été régulièrement notifié de l’inculpation dont l’autorité requérante fait état dans sa demande complémentaire du 21 juin 2021 ». L’ancien ministre assure qu’il serait poursuivi en Algérie « en raison de ses opinions politiques ». Comme d’autres hommes politiques et hommes d’affaires associés au régime du président déchu, il ferait l’objet de « nombreuses procédures violant gravement ses droits fondamentaux ».          

Abdeslam Bouchouareb, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, souligne que « le système carcéral algérien serait régulièrement dénoncé comme donnant lieu à des traitements inhumains et dégradants ». Un argument qui n’a guère impressionné le Tribunal pénal fédéral. Dans son arrêt du 27 juillet 2023 (rendu public le 25 octobre 2023), il constate que l’ancien ministre, dont le lieu exact de résidence est inconnu, « réside hors du territoire de l’État requérant et ne prétend pas vouloir ou devoir y retourner ». Pour lever la saisie des fonds et bloquer la transmission de sa documentation bancaire, l’ancien ministre affirmait que les demandes d’entraide algériennes comportaient « des erreurs, lacunes et contradictions manifestes », et qu’il était finalement « étranger aux faits décrits ». Nouvel échec. Pour les juges pénaux fédéraux, « la description des faits dans les demandes algériennes ne présente pas d’erreurs manifestes, contradictions ou de lacunes ».

L’arrêt de la Cour des plaintes souligne au contraire que selon la justice algérienne Abdelsam Bouchouareb aurait mis en place « un réseau complexe de sociétés étrangères qui, en partie sous de faux noms ou des hommes de paille, aurait servi à transférer des avoirs dont il est soupçonné qu’ils proviennent de la corruption en Algérie. Ces avoirs auraient par la suite été blanchis à l’étranger ». Notamment par l’achat d’immeubles en France.

L’ancien proche d’Abdelaziz Bouteflika a perdu sur toute la ligne.

Alger, les appartements de l’ancien ministre Bouchouareb à Paris

   

  • « L’Algérie cherche les pots-de-vin de ses anciens ministres en Suisse », 1er novembre 2023.