La reconstruction de la mémoire arabe de la seconde guerre mondiale

Cet ouvrage -“Des Empires disputés: Le Monde arabe et la Seconde Guerre mondiale”- est le résultat d’un colloque d’Histoire tenu en 2024 associant spécialistes de la Seconde Guerre mondiale et experts du monde arabe. À travers une série d’articles variés, le lecteur apprendra comment le conflit mondial fut vécu dans le monde arabe.

Mateo Gomez

L’objectif de tout ouvrage historique est soit de présenter et analyser des faits largement connus sous une nouvelle lumière, avec un angle novateur ; soit de jeter la lumière sur un sujet, une période, des faits encore largement méconnus. C’est ce dernier exercice que cet ouvrage, sous la direction des historiens Alya Aglan, Mohamed Lazhar Gharbi et Pierre Vermeren, sorti aux éditions Hémisphères et Maisonneuve & Larose, propose de réaliser. Le monde arabe lors de la Seconde Guerre mondiale, assure-t-il en introduction, est trop souvent réduit à un terrain militaire où les puissances occidentales se livrèrent une “guerre de blancs”, une vision qui occulte le vécu, le ressenti, l’influence des populations locales, qui bien loin d’être simples spectatrices atones, eurent des avis sur ce qui se déroulait chez eux, et un rôle à jouer.

De nombreux articles dans cet ouvrage s’attèlent à faire émerger la dimension non occidentalle de la grande guerre.

Supplétifs libyens ou camerounais

Le sultan Mohammed Ben Youssef

Un des auteurs revient sur les tentatives du sultan Mohammed Ben Youssef du Maroc d’influencer les décisions des puissantes armées présentes sur son territoire; un autre explore la construction de l’idéal national irakien lors de la période.

Colonne de tirailleurs sénégalais, avril 1940

D’autres contributeurs insistent sur l’expérience des supplétifs coloniaux camerounais ou libyens lors des combats ; un autre sur le ressenti libanais face aux deux Frances, vichyste et gaulliste, qui se disputaient le protectorat ; etc.

Tous ces articles montrent que le conflit ne fut pas juste une guerre entre occidentaux.

De nombreux articles vont dans ce sens… Mais pas tous. Toute la première partie du livre semble en contradiction flagrante avec les objectifs de l’ouvrage. Des articles comme “La politique dans la guerre. Ce que le conflit a fait aux services secrets français”, ou alors “L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient arabe vus par quelques géopoliticiens occidentaux” ne font que décrire comment le grand Sud fut appréhendé par les armées occidentales. Le tout ignorant généralement les populations et élites locales.

Ailleurs, un article nommé “Le Maroc, terre de mission pour les gaullistes”, même s’il aborde le thème des groupes nationalistes marocains, s’en tient généralement à leur utilité du point de vue gaulliste, alors qu’une étude du point de vue nationaliste aurait put être plus pertinente.

N’aurait-il pas été plus pertinent, par exemple, de chercher des perspectives de géopoliticiens arabes, ou turcs, ou persans, plutôt que allemands ou français?

Le piège de l’ethno centrisme

L’article “La Seconde Guerre mondiale au Sahara” surprend par son classicisme absolu. Cet article qui pourrait facilement s’inscrire dans l’historiographie que l’ouvrage en général s’efforce de décrier, tant il passe outre les populations locales, leur ressenti ou leur influence, pour comprendre comment la dimension logistique de ces vastes étendues a impacté les armées françaises et britanniques.

La quatrième et dernière partie, “Les héritages de la guerre dans les sociétés”,  privilégie les populations locales et en se penchant sur les lendemains du conflit, marqués par la décolonisation de la région. La Seconde Guerre mondiale pour les populations arabes fut loin d’être une affaire propre et nette. Les allégeances se croisent, les élites post-coloniales vinrent en appui du fascisme ou des puissances coloniales, et ne s’efforcèrent pas, après l’indépendance, de lever le voile sur cette période confuse et difficile pour le monde arabe, et pourtant si essentielle aux mouvements décoloniaux qui la suivirent.

Malgré des résultats en demi-teinte par rapport aux objectifs fixés, les articles restent pédagogiques. l’ouvrage reste dans sa globalité accessible à un large public. Ce seront néanmoins les spécialistes aux connaissances de base assurées qui risqueront d’être déçus par les quelques articles trop euro-centrés, et par la dissonance entre ce qui est annoncé et ce qui compose finalement le fond des analyses.