Nesrine Ben Ali, 36 ans, a été condamnée à 500 francs suisses (515 euros) d’amende par la justice genevoise pour avoir séjourné illégalement pendant six mois dans la Confédération. La jeune femme n’est apparemment pas rancunière vis-à-vis de la Suisse qui séquestre depuis 2011 des dizaines de millions détenus par le clan Ben Ali-Trabelsi.
Ian Hamel, à Genève
Nesrine Ben Ali, qui possède un passeport seychellois, est arrivée en Suisse en avril 2023 pour y passer des vacances. Six mois plus tard, elle y était toujours, alors que son passeport ne lui permettait que d’y résider plus de trois mois. Simple pêché véniel ? Le parquet genevois ne lui a infligé qu’une amende de 500 francs. Un autre migrant illégal n’aurait peut-être pas bénéficié de la même clémence avant d’être expulsé. Gotham City, la lettre de veille judiciaire qui révèle l’histoire, nous apprend que la fille aînée de l’ex-président Zine El-Abidine Ben Ali se déclare sans emploi, mais qu’elle disposerait d’une fortune de sept millions de dollars. En 2011, elle s’est réfugiée aux Seychelles avec son mari Fahd Mohamed Sakher Materi. Depuis, le couple s’est séparé.
Nesrine Ben Ali (née le 16 janvier 1987), tout comme son ancien mari (né le 2 décembre 1981), figurent toujours sur la liste des personnes politiquement exposées dont le Conseil fédéral suisse (gouvernement) a ordonné le blocage des valeurs patrimoniales. Le 19 janvier 2011, Berne a séquestré à titre préventif 60 millions de francs suisses (62 millions) que l’ancien dictateur tunisien et sa famille auraient détournés. Les sommes estimées étaient bien supérieures (plus de 300 millions). Mais encore fallait-il démontrer que c’était bien un Ben Ali, un Trabelsi ou un Ben Zakiz qui se cachaient derrière des sociétés anonymes ou des fondations humanitaires. Depuis 2011, la situation n’a pratiquement pas bougée : la Suisse n’a restitué que quatre petits millions de francs à la Tunisie.
L’origine illicite des avoirs
La mauvaise volonté n’est pas forcément du côté des Helvètes. En effet, Berne ne peut restituer l’argent que si la justice tunisienne lui démontre l’origine illicite des avoirs. Or, Tant qu’une personne n’est pas jugée définitivement coupable de corruption, ses biens ne peuvent pas être restitués à l’État tunisien. Ce blocage avait été décrété pour dix ans. A priori, dix années, cela paraissait amplement suffisant pour que Tunis puisse apporter les preuves que les sommes saisies avaient été injustement gagnées. Or, il n’en a rien été. La plupart des poursuites judiciaires sont toujours en cours…
En Suisse, le clan Ben Ali peut aussi s’offrir les meilleurs avocats. En 2014, ces derniers ont réussi à faire annuler par le Tribunal pénal fédéral la restitution de 29 millions de francs saisis sur les comptes de Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l’ancien président. Les raisons ? Le ministère public n’avait pas examiné avec assez d’attention les explications de cet homme pourtant considéré par le procureur général de la Confédération comme un membre d’une « organisation criminelle »…
L’argent reste bloqué en Suisse
Le 18 janvier 2021 à minuit, l’expiration du blocage des fonds par le Conseil fédéral a donc expiré. L’argent aurait dû être restitué au clan Ben Ali… On imagine le scandale, et la détérioration des relations entre Berne et Tunis. Le Département fédéral (ministère) des Affaires étrangères a alors annoncé que « l’expiration du blocage du Conseil fédéral n’a aucun effet sur les blocages d’avoirs prononcés par les autorités judiciaires dans le cadre des procédures pénales nationales et d’entraide judiciaire ».
L’argent est donc resté en Suisse. Mais il risque d’y demeurer encore longtemps. Les seuls gagnants restent les banquiers suisses, qui peuvent continuer à faire fructifier les sommes bloquées. Quant à Nesrine Ben Ali, qui a quitté la Confédération en septembre, elle n’a pas indiqué à la justice genevoise où elle avait placé sa fortune. Dans quels établissements financiers ? Dans quels pays ?
Le problème est que c’est très difficile de prouver l’origine illicite des fonds. Personne ne donne un reçu quand il prend un pot-de-vin… La Suisse devrait se montrer moins procédurière et restituer les 60 millions à la Tunisie, qui en a bien besoin