La « drôle de guerre » entre Israël et le Hezbollah

Crédits : Ici Beyrouth

Depuis le 8 octobre – au lendemain de l’attaque meurtrière du Hamas en Israël qui a déclenché la guerre actuellement en cours dans la bande de Gaza – le Hezbollah libanais et l’État hébreu se livrent quasi quotidiennement a des échanges de tirs au niveau de la frontière libano-israélienne.

Un article de Youssef Mouawad, pour Ici Beyrouth

On ne s’y retrouve plus. Et pourtant c’est simple comme bonjour, tant les belligérants sont bien intentionnés ! Lior Halat, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, a souligné dernièrement: « Nous avons déclaré plus d’une fois que nous ne voulons pas étendre le cercle de la guerre de Gaza au Liban », pour ajouter aussitôt que « la seule exigence est la mise en œuvre de la résolution 1701 de l’ONU ». Cette proclamation, quelque peu solennelle, est intervenue au moment même où Samir Geagea, leader des Forces libanaises, nous confiait que la situation au Liban-Sud s’acheminait vers une « escalade et que le risque de guerre était très sérieux ».

Alors qu’on se le dise : le Hezbollah, lui non plus, ne cherche pas l’affrontement. Il encaisse les coups de boutoir, panse ses plaies quotidiennes, enterre ses martyrs, serre les dents et se cantonne dans les limites d’un conflit de basse intensité. En effet, la formation pro-iranienne ne veut pas d’un combat à fond la caisse. En revanche, il ne veut pas non plus de l’application, graduelle ou non, de la résolution 1701. Or, cela fait « deux négations » et ces deux négations ne peuvent désamorcer le conflit tant elles sont incompatibles.

En somme, nonobstant ses gesticulations et les défis qu’il lance à qui veut l’entendre, le Hezbollah ne se laisse pas entraîner dans une guerre tous azimuts à notre frontière méridionale. En revanche, il considère, à raison d’ailleurs, que le sud est son fief, sa terre nourricière, et n’acceptera pas de s’en retirer militairement comme l’exigent les résolutions 1559 et 1701 des Nations unies. En d’autres termes, il veut le beurre et l’argent du beurre. D’où cette impression de tergiversation et l’ambiguïté de sa politique de dissuasion.

La drôle de guerre (« phoney war »), qui se joue devant nos yeux, ne fait que reculer les échéances fatidiques. Cette guerre, installée à domicile, peut se métamorphoser en guerre d’attrition. Et seules des armées régulières pourraient en soutenir la pression au niveau logistique.

Engagements sanglants et échanges de tirs ont déjà coûté très cher au Hezbollah. Pour avoir établi un « front de soutien » à Gaza, il a sacrifié, depuis le 7 octobre, c’est-à-dire en l’espace de cinq mois, 250 hommes de ses troupes, dont 5 hauts gradés, sans parler des 750 blessés. Le ratio est donc de 1 pour 15 en faveur d’Israël (1). Ce score est d’autant plus accablant si l’on songe qu’en dix ans de campagne en Syrie, le Hezbollah n’a perdu que 1300 hommes au combat !

Et pour l’évacuation de la population…

Mais il semble que le Hezbollah n’ait rien à craindre qui soit imminent, Benjamin Netanyahou étant occupé ailleurs. N’est-ce pas que ce dernier vient de nous annoncer qu’il a approuvé les plans en vue d’une offensive sur Rafah ? Dans un communiqué du 15 mars transmis à la presse, il est précisé que « l’armée israélienne est prête pour le côté opérationnel et pour l’évacuation de la population ».

Ainsi, le Cabinet de guerre israélien aurait d’autres projets en tête. À moins d’y être acculé, il ne va pas se lancer dans une offensive à sa frontière nord avant d’avoir préalablement subjugué Gaza. Et c’est d’autant plus probable que la Cisjordanie risque incessamment de se soulever contre l’occupant. Quelle que soit leur supériorité technique, les troupes israéliennes trouveraient de la difficulté à engager les hostilités sur trois fronts, au moment précis où la Maison-Blanche se défie de l’inconséquent Netanyahou et de son aventurisme.

Pourquoi alors se faire du souci pour le Liban ? Notre ministre des Affaires étrangères n’a-t-il pas déclaré que « le Liban est prêt à la guerre » ? Auquel cas, il faut se poser la question suivante : a-t-on prévu un plan d’évacuation de la population civile? Car il faut s’attendre à l’afflux de plus d’un million de déplacés en direction du nord du pays, pour le cas d’une full-scale war et de frappes indiscriminées comme à Gaza.

Que vient faire Sisyphe chez nous?

Mais, d’abord, est-ce que le Liban va payer la « dîme » de la guerre et du conflit ininterrompu depuis 1948? Un rappel de la doctrine militaire de l’État hébreu peut être éclairant. « On préfère la sécurité à la paix », a confié un officier israélien au colonel Michel Goya (2). C’est à cela que tient l’agressivité de l’état-major de l’armée israélienne, agressivité exacerbée par la participation de l’extrême droite nationaliste au pouvoir politique. Ce qui implique que notre voisin du sud restera abonné aux guerres perpétuelles, mais discontinuées, et qu’il est condamné à intervenir régulièrement contre ses voisins palestiniens, libanais, syriens et, qui sait peut-être un jour, jordaniens, si la monarchie hachémite en venait à chanceler.

Israël, replié sur son bastion, a cru pouvoir contrôler son environnement hostile à « distance avec des frappes » et, de ce fait, il s’est condamné « tel Sisyphe, à tondre le gazon » toutes les quelques années (3), d’après une expression courante dans les milieux militaires.

Le point de bascule

Israël est conscient du prix qu’auront à payer sa population civile et ses infrastructures économiques ou autres, pour le cas d’une invasion de plain-pied du Liban comme en 1982, ou pour celui d’une incursion avortée comme en 2006. À moins d’y être contraint par une attaque d’ampleur, menée par la force Al-Radwan, il se contentera de frappes sélectives visant les responsables du parti de Dieu et le décapitant au niveau des cadres. Mais sait-on jamais avec le trio Netanyahou-Ben Gvir-Smotrich ?

Le Hezbollah va-t-il tomber dans le piège, relever le défi quotidien que lui lance l’adversaire, lancer une attaque d’envergure à travers ses tunnels ? Gardons à l’esprit que, dans le cas d’une escalade, Tel-Aviv n’aura pour souci que d’épargner ses fantassins et ses blindés. Et ce serait vraisemblablement sa force aérienne qui nivellerait le terrain comme à Gaza. Agglomérations, village et hameaux vont être rasés de la carte.

Alors la 1701 dans son intégrité ? C’est au parti des ayatollahs, non au Conseil des ministres sortant, que la décision appartient. Et cette décision est pressante. C’est donc à ceux qui ont bradé les intérêts nationaux lors de la délimitation de nos frontières maritimes de se résoudre dans les plus brefs délais. Avant qu’un événement imprévu ne vienne changer la donne !

 

1.Amos Harel, « Israel ups the ante in high-risk hostilities with Hezbollah », 13 mars 2024.
2.Amaury Coutansais-Pervinquière, « Michel Goya: à Gaza, un cessez-le-feu serait une victoire du Hamas face à Israël », Le Figaro, 14 mars 2024.
3.Ibid.