La dégradation des relations diplomatiques entre Paris et Rabat

Les relations entre la France et le Maroc se sont dégradées davantage ces dernières semaines. Les officiels marocains ont pour consigne de ne plus recevoir l’ambassadeur français dans le pays, Christophe Lecourtier. Dans le même temps, le royaume chérifien n’entend pas nommer d’envoyé diplomatique en France avant plusieurs mois

“Pour obtenir un rendez-vous, il a fallu que j’appelle trois fois le roi du Maroc”, se plaignait récemment le Président français, Emmanuel Macron, qui a une fâcheuse tendance à considérer ses homologues comme de simples collaborateurs. Il existe en tout cas de la friture sur la ligne entre Paris et Rabat.

Les Présidents de la République français qui se sont succédés au pouvoir sous la Veme République avaient tous coutume de peser au trébuchet leurs relations avec le Maroc et l’Algérie, les deux frères ennemis du Maghreb. Qu’il s’agisse de Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande, tous ont tenté de préserver des relations apaisées aussi bien avec les militaires algériens qu’avec le Royaume chérifien. Ce qui supposait quelques contorsions diplomatiques sur le dossier délicat du Sahara occidental

Cette démarche équilibrée n’est plus de saison. L’adepte du « en même temps » qu’est Emmanuel Macron a, cette fois, choisi son camp et privilégié, depuis son arrivée au pouvoir, les relations confiantes qu’il entend nouer avec le président Tebboune, en faisant l’impasse sur le rôle de figurant que joue ce dernier dans le dispositif institutionnel algérien, Au détriment de ses liens avec le Palais Royal, où certains dénoncent, depuis plusieurs années, une véritable arrogance française.

L’axe Paris-Alger 

L’annonce d’un voyage officiel en France du chef d’état algérien au printemps n’a pu que renforcer le sentiment d’un deux poids deux mesures. La visite à Paris, le lundi 23 janvier, du chef d’état major algérien, le général Chengriha, annonçant quelques achats d’armement et préparant la venue de son Président, est une première dans les relations franco-algériennes. Autant d’annonces protocolaires spectaculaires qui témoignent de l’état d’esprit d’Emmanuel Macron à l’égard du régime algérien qui n’a jamais été rappelé à l’ordre pour la répression brutale infligée aux mobilisations populaires du Hirak.

On connait les raisons qui incitent le Président français à renforcer les relations bilatérales avec l’Algérie: la sécurisation de l’approvisionnement en gaz dans cette période de tension; la possibilité d’une coopération avec l’allié algérien au Sahel, cette Afrique sub saharienne où on assiste au rejet de la France et à un rapprochement clair des juntes militaires avec l’Algérie; la volonté constante enfin de pacifier les relations mémorielles avec l’immigration algérienne. 

Et tant pis si la relation franco-marocaine souffre de cette préférence algérienne et d’une politique restrictive de visas pour l’ensemble de la population marocaine, y compris au sein de de la classe moyenne éduquée et francophone.

Est-ce un effet de génération? Ou un commun désir de gouverner « autrement »?

Tout avait bien commencé

Le 14 juin 2017, soit un mois et demi après avoir franchi le perron du Palais de l’Elysée, Emmanuel Macron s’envole vers le Maroc pour sa première visite officielle de chef d’Etat au Maghreb. Traditionnellement, les nouveaux locataires du palais présidentiel français privilégient l’Algérie pour leur premier déplacement en Afrique du Nord. Emmanuel Macron fera exception, en laissant présager une relation peu ordinaire entre la France et le royaume marocain. Ce qui ne sera, hélas, pas le cas.

Un premier entretien détendu entre le président français et le souverain marocain est suivi d’un « ftour familial », la rupture du jeûne pendant le ramadan. Emmanuel Macron s’exprime dans une courte conférence de presse essentiellement consacrée au Hirak, ce mouvement de contestation sociale qui secoue le royaume depuis plusieurs semaines. « Je crois, dit-il, dans la capacité du roi à apaiser la situation, en apportant une réponse complète, une considération à cette région, et des réponses très concrètes en termes de politiques publiques ». Emmanuel Macron endosse la posture du sage, doublé d’un protecteur. Le souverain chérifien acquiesce. Les médias nationaux marocains y verront un positionnement particulièrement positif du chef de l’Etat français, qualifié un peu vite « de porte-voix de Mohammed VI ». 

Un soupçon de paternalisme se glisse dans ces premiers échanges courtois entre les deux alliés de toujours. De la condescendance à l’arrogance, il n’y a qu’un pas qui va être franchi ces dernières années.

Le 15 novembre 2018, le président français effectue sa deuxième visite au Royaume afin d’inaugurer la Ligne à Grande Vitesse (LGV) Tanger-Casablanca

« Un projet phare »

Le 15 novembre 2018, le président français effectue sa deuxième visite au Royaume afin d’inaugurer la Ligne à Grande Vitesse (LGV) Tanger-Casablanca, en présence du souverain marocain. Une inauguration stratégique pour les deux pays, puisqu’il s’agit du premier TGV en Afrique. Cette infrastructure de grande envergure est financée à hauteur de 51 % par la France. Le projet avait été initié en 2007 par l’ex-locataire de l’Elysée, Nicolas Sarkozy et le roi Mohammed VI. Du gagnant-gagnant, l’industrie française a non seulement participé au projet (SNCF, Alstom, Vinci…), mais en a largement profité.

Mohamed VI et Emmanuel Macron déjeunent à 320 kilomètres par heure entre Tanger et Rabat à bord d’un TGV flambant neuf. Une fois de plus comme sous Hollande et Sarkozy, le TGV est un outil diplomatique inespéré entre le Maroc et la France, ou pour reprendre la présentation un peu forcée du Quai d’Orsay, « un projet phare de la relation bilatérale entre la France et le Maroc ». Jusqu’à quel point? 

La visite du président français sera aussi « expresse » que le train lui même puisqu’Emmanuel Macron ne passera que quelques heures au Maroc, et encore sans Brigitte, son épouse. Le déplacement présidentiel ne s’imposait pas sur un plan protocolaire, glisse-t-on du coté français. Une visite d’Etat du Président français au Maroc n’est-elle pas prévue l’année suivante? La troisième visite d’Emmanuel Macron, prévue en juin 2019 à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle usine Peugeot à Kenitra, n’aura pourtant jamais lieu. 

Les raisons invoquées dans les couloirs du Quai d’Orsay -incompatibilité d’agenda, crise sanitaire- ne trompent personne. Débute l’ère des procès d’intention et des incompréhensions entre les deux pays.

Une relation en trompe l’œil 

« Le Maroc n’a pas été une question centrale du quinquennat Macron, car nous traversons une période exceptionnelle : une pandémie, deux années de fermeture des frontières, une crise économique, maintenant une guerre en Europe. Le Maroc et l’Algérie ont eu leur Hirak, la France ses “gilets jaunes”. Dans cet état de crises généralisées, la France a plutôt rétabli une relation normale avec le royaume, alors qu’elle s’était dégradée sous François Hollande », relativise l’historien et spécialiste du Maghreb Pierre Vermeren. qui fait allusion à la suspension de la coopération judiciaire en 2014, après la convocation par la justice française d’Abdellatif Hammouchi, le « premier flic du royaume » accusé, mais sans preuves, de « torture » par un boxeur marocain.

Autant de vieux souvenirs qui ne s’effaceront pas grâce à une légion d’honneur épinglée sur le revers de la veste du patron du contre espionnage marocain. Il restera, ce cette crise, un sentiment réciproque de méfiance entre les deux pays

Des contentieux économiques.

La crise franco-marocaine se nourrit aussi de malentendus sur le plan économique. C’est paradoxalement le prolongement du TGV vers Marrakech qui met le feu aux poudres en raison d’un intense lobbying la Chine à Rabat. Pékin s’est positionné en coulisses via sa société publique China Railway Construction Corp, spécialiste de la construction d’infrastructures ferroviaires. Les tarifs compétitifs proposés ont rendu la tâche ardue aux Français qui avaient cru « verrouiller » le TGV marocain. La France d’Emmanuel Macron réalise que les Marocains, majeurs et vaccinés, ne sont plus inféodés à l’ancienne puissance coloniale.

« Le Maroc, partenaire de la France, devient aussi un concurrent dans de nombreux secteurs», estime Hakim El Karoui, expert à l’Institut Montaigne et réputé proche de l’Élysée. En matière de transport aérien, la Royal Air Maroc (RAM) affiche son leadership vis-à-vis de la compagnie hexagonale Air France, avec notamment une politique tarifaire plus attractive. Les banques marocaines entrent dans la danse et s’installent face à leurs concurrentes françaises. La France industrielle est condamnée à se contenter d’un strapontin

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

5 Commentaires

  1. Monsieur Nicolas, beau merci d’avoir publié mon commentaire. Vous parlez du différent entre le Maroc et la France mais vous ne parlez absolument pas de l’espionnage du président, des ministres et de journalistes français. Je pense que c’est un des aspects les plus importants dans cette brouille. De toute façon ça fait des années qu’il y a une petite guerre entre les services français et marocains. Le fameux hacker, Chris Coleman, que beaucoup croyais être algérien est en réalité la création des services français.

  2. Pas très démocratique Monsieur Nicolas beau j’ai posté un commentaire hier qui n’avait rien d’insultant. Mais apparemment vous n’aimez pas les commentaires qui ne vont pas dans votre sens. j’ai le droit de penser que vous êtes très conciliant avec le pouvoir marocain. J’ai le droit de penser que vous n’êtes pas très Corporate avec les journalistes marocains qui sont emprisonné, j’ai le droit de penser que vous occulter un petit peu trop l’affaire, Pegasus l’affaire de corruption du parlement européen de l’espionnage de Monsieur Macron et de ses ministres et de certains journalistes par le pouvoir marocain. Je trouve que vous mettez beaucoup trop la faute sur la France et comme d’habitude l’Algérie j’en parle même pas c’est votre souffre douleur. je m’étonné de ne pas voir beaucoup de commentaires sur vos publications, mais apparemment vous pratiquez la censure comme le pouvoir marocain que vous adorez défendre. C’est dommage.

  3. Le Maroc et la France sont deux pays amis et deux partenaires stratégiques depuis des décennies et le resteront. Les gouvernements français se succèdent mais l’amitié et le partenariat franco-marocain restera malgré les pétrodollars, les lobbyings et surtout les coups fourrés de certains responsables sécuritaires. Vive le Maroc et la Franc et vive l’amitié fraco-marocaine. Je vois déjà des tebbouniens qui viendront ici m’insulter et insulter tout ceux qui prônent et encouragent l’amitié et le partenariat franco-marocain mais comme on dit: les chiens aboient et le caravane passe.

  4. On retrouve le petit soldat Beau dans son rôle de sous-fifre de polisseur de l’image du makhzen contre de petites sommes d’argent qui ne lui permettent même pas de se payer un collaborateur pour écrire un texte sans erreurs de frappe. Juste de quoi vivre. L’Algérie est désignée par « régime Algérien » avec tout ce que ça peut comporter comme connotation négative, par contre le makhzen est affublé du terme « Royaume du Maroc »! Si ce n’est pas du journalisme neutre et professionnel, je ne sais pas ce que c’est alors.

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