Karim Wade, l’éternel looser de la politique sénégalaise

Comme en 2019, Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, ne sera pas cette année sur la ligne de départ pour l’élection présidentielle au Sénégal. La décision du Conseil constitutionnel annulant le décret qui repousse le scrutin présidentiel au 15 décembre 2024 a mis fin au rêve d’une candidature de Karim Wade, sous les couleurs du Parti démocratique sénégalais (PDS).

Ce n’est pas faute d’avoir tout essayé : Karim Wade, 55 ans, fils aîné de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012) ne défendra pas cette année les couleurs du PDS, parti fondé par son père, à l’élection présidentielle. En 2019, la candidature de Karim Wade avait été écarté en raison de son casier judiciaire qui affichait une condamnation à six années de prison ferme pour « enrichissement illicite ».

L’acharnement du sort

Tout semblait réglé. La loi électorale sénégalaise a été modifiée sur mesure en août 2023 par un vote de l’Assemblée nationale pour permettre à Karim Wade d’être électeur et éligible. Le PDS a donc désigné en toute confiance le fils aîné de Wade, candidat à la présidentielle 2024. Ensuite est apparu un autre obstacle : celui de la double nationalité franco-sénégalaise de Karim Wade. Selon le code électoral sénégalais, tout candidat au poste de président de la République devrait être exclusivement sénégalais au moment du dépôt de sa candidature. En dépit de la publication de sa renonciation à la nationalité française en procédure d’urgence au journal officielle de la république française, Karim Wade n’a pas réussi à surmonter l’obstacle de sa binationalité. Il a donc été mis hors-jeu par le Conseil constitutionnel.

Mais, chez les Wade, on ne s’avoue jamais vaincu, tant qu’il existe une possibilité de tenter sa chance. Karim l’a appris de son père et il l’a bu dans son biberon. Alors que tout semblait déjà plié après l’arrêt du Conseil constitutionnel sur la liste des candidats retenus pour la présidentielle, le PDS ouvre une brèche en accusant deux des sept juges du Conseil d’avoir été corrompus par le Premier ministre Amadou Ba pour écarter son candidat. L’occasion faisant le larron, Macky Sall et Karim Wade, qui furent longtemps amis avant de clasher, ont besoin l’un de l’autre : le premier du soutien du second pour prolonger son bail la tête du Sénégal ; le second du premier pour être repêché comme candidat à la faveur du report de l’élection présidentielle et donc de la publication d’une nouvelle liste des candidats. Ensemble, Karim Wade et Macky Sall réussissent à faire voter le 5 février, en additionnant les voix de leurs députés, le report de la présidentielle du 25 février. Macky Sall obtient ainsi la prolongation de son mandat et Karim l’espoir d’être candidat en 2024.

Tout finit par s’effondrer pour l’un et pour l’autre. Le Conseil constitutionnel décide finalement le 15 février que Macky Sall ne pourra pas rester au pouvoir au-delà du 2 février et que Karim Wade ne pourra pas être candidat.

Une cuillère d’argent dans la bouche

Fils aîné d’une fratrie de deux enfants qu’il forme avec sa sœur Aida Syndiely, Karim Wade a pourtant toujours eu beaucoup de chance dans sa vie. Né en 1968, en plein Paris révolutionnaire, Karim suit son père et sa mère Viviane, une Versaillaise bon teint, lorsque ses deux parents décident de s’installer en 1970 à Pikine, banlieue proche et populaire de Dakar. Il fréquente alors l’école franco-sénégalaise Cour Sainte-Marie Hann, établissement catholique dakarois, réputé pour sa rigueur et sa discipline.

Timide et écrasé par l’ombre d’un père tutélaire et possessif, Karim Wade s’envole en 1984 pour la France. Il n’a alors que 16 ans. Il entre cette année là à l’Internat de l’Ecole Saint-Martin-de France, dans le nord-ouest de Paris, où il passera son bac avant de rejoindre la Sorbonne.

À plus de 4000 km de Papa et maman, Karim Wade, qui ne va manquer de rien dans ses études, profite pour s’émanciper. Il fera sur les bancs de la fac la connaissance Karine Marteau, celle qui finira par devenir sa femme et avec qui il aura trois filles. Après un Diplôme d’études supérieures (DESS) en ingénierie financière, le fils aîné d’Abdoulaye Wade pose ses valises à la City à Londres, alors première place financière européenne. Son atterrissage dans la capitale britannique sera d’autant aisé qu’il s’y était longtemps préparé à travers ses lectures d’ouvrages d’économie et des finances, en français et en anglais, qui garnissaient la bibliothèque familiale.

À Londres, Karim, qui s’est fait un prénom, apporte très vite de gros contrats pétroliers et miniers décrochés en Angola, au Congo-Brazzaville et en Afrique du Sud. En 2000, lorsque son père Abdoulaye Wade succède à Abdou Diouf à la tête du Sénégal, Karim est directeur associé à la Banque UBS Warburg à Londres. Il garde ses distances avec la politique, préférant effectuer des va-et-vient entre la City et Dakar où son père s’est installé dans le fauteuil présidentiel alors que sa mère Viviane Wade a porté la robe de la première dame du Sénégal.

Entrée en politique par la petite porte

Deux ans après la victoire de son père, Karim Wade consent à entrer en politique à reculons : il devient d’abord en 2002 Conseiller personnel de son père, rattaché au Secrétariat général de la présidence de la république. Il passe ensuite en 2004 à la présidence de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (ANOCI), Dakar devant abriter le sommet de l’Organisation de la conférence islamique. A la faveur de cette responsabilité, le jeune étudiant besogneux et effacé va rencontrer les têtes couronnées du monde entier. Il prend de l’épaisseur et de l’envergure sans toutefois arriver à une maturité qui le pose en successeur légitime, à fortiori en concurrent de son père.  

Pour autant, Wade ne désespère pas de voir son fils lui succéder. Il met alors les bouchées doubles pour que Karim rattrape son retard. En 2009, un an après le Sommet de l’OCI à Dakar, le père bombarde son fils au poste de ministre d’Etat à la Coopération internationale, à l’aménagement du territoire, aux transports aériens et aux infrastructures. Au regard de son super ministère, département inédit dans l’histoire politique du Sénégal, ses compatriotes l’appelleront « le ministre du ciel et de la terre ». Avec les coudées franches de « papa », Karim lance de grands chantiers tels que le nouvel aéroport international Blaise Diagne (AIDB) de Dakar ; le Centre international des Conférences Diamnadio, près de Dakar ; la rénovation de la corniche de Dakar ainsi que le décollage de la compagnie Air Sénégal. Coté court, Karim se révèle un bon technocrate, un ministre des dossiers qui bouscule ses équipes à la mode anglo-saxonne et obtient de bons résultats.

Côté jardin, Karim Wade n’arrive toujours pas à réussir sa mue politique. Malgré des efforts louables, il ne devient pas un animal politique, le « cogneur et le tueur » que fut son père. Il ne deviendra pas non plus le tribun et la bête des foules, des qualités indispensables au Sénégal pour faire la politique. Lors de ses apparitions publiques, l’ancien trader de la City reste scotché aux textes de ses discours, là où son père était capable de haranguer la foule pendant des heures et des heures, à la Fidel Castro.

Autre handicap rédhibitoire au Sénégal : Karim Wade ne peut pas tenir un discours en wolof, la première langue nationale du pays ; presque la seconde langue officielle après le français. Or, pour être populaire au pays de la Teranga, il faut parler avec fluidité le wolof et manger le Thiebou Dieune, plat national à base du riz et du poisson.  Même en interne au PDS, Karim ne réussit finalement pas à convaincre alors que Abdoulaye Wade, son père choisit le passage en force, pour l’imposer comme dauphin. A défaut de pouvoir, s’y opposer plusieurs cadres historiques tels que Oumar Sarr, Amadou Sall et Babacar Gaye quittent le navire.

Descente aux enfers

Au procès en légitimité d’une aile du PDS, s’ajoutent en 2013, un an après le départ de son père du pouvoir, des ennuis judiciaires pour Karim Wade. Actionnée par le pouvoir de Macky Sall, qui fut pourtant un des meilleurs amis du fils de Wade, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), prend l’ancien super ministre du « ciel et de la terre » dans son collimateur. Au terme d’une enquête préliminaire expresse, Karim Wade est jeté à la prison de Rebeuss, à Dakar, là où son père avait séjourné plusieurs fois pour des raisons politiques. Pour Karim, qui n’a connu que les ors de la république, les fers de la détention, surtout provisoire, sont encore plus douloureux. A l’issue d’une instruction à rebondissements de deux années et malgré un pool d’avocats internationaux, Karim Wade écope en 2015 de six années d’emprisonnement ferme. Presque une condamnation à mort sociale et politique. 

Abdoulaye Wade va alors mobiliser son carnet d’adresses pour sortir Karim du trou. L’ancien chef de l’Etat, qui a toujours revendiqué son appartenance à la puissante confrérie des Mourides, sollicite ainsi l’intercession des chefs religieux. Il intéresse parallèlement le Qatar au sort de son fils. Un an après sa condamnation,  Karim est gracié en 2016 par Macky Sall, mais il doit dès le lendemain s’exiler à Doha, selon les termes du deal passé avec le président sénégalais. Depuis lors, il n’a plus remis les pieds au Sénégal. Il a jusqu’ici mené son combat politique en télé travail, depuis le Qatar. Pour de nombreux observateurs, même si sa candidature avait été validée par le Conseil constitutionnel, Karim Wade aurait eu de la peine à rattraper son retard sur ses concurrents qui vivent au Sénégal et qui labourent tous les jours le terrain.

A 56 ans, en septembre prochain, Karim pourra tenter de se présenter pour la troisième fois lors de la présidentielle de 2029. Ce sera peut-être pour lui la bonne.

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