Depuis la fin du mandat de l’ex-président Michel Aoun, le 31 octobre 2022, le pays a fait un pas supplémentaire vers la dislocation en raison de l’inertie de la classe politique figée dans ses divisions et en raison du blocage institutionnel entretenu notamment par le Hezbollah, le mouvement chiite extrémiste. Aucun nouveau Président n’a pu être désigné, un gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes, l’aviation libanaise bombarde quotidiennement le pays pour détruire l’appareil militaire du Hezbollah, en provoquant des déplacements massifs de population.
Tel est aujourd’hui le visage du Liban, secoué ces dernière semaines par les événements en Syrie. La fin du régime d’Assad, au mieux avec la minorité de chrétiens qui ont soutenu l’ex Président Michel Aoun allié aux chiites, a redistribué les cartes politiques. La disparition du président syrien et les coups portés par l’armée israélienne ont affaibli le Hezbollah et diminué, jusqu’à un certain point, la main mise qu’il exerçait sur la classe politique libanaise, y compris par les menaces, pour imposer son candidat. Beaucoup de Libanais espèrent qu’enfin lors de la séance convoquée ce jeudi 9 février, le parlement plus libre face aux oukazes des exremistes chiites pourra désigner un Président de la République après plus de deux ans de vacance du pouvoir.
Seul souci, le Liban est le seul pays au monde où l’on peut être élu président de la République sans avoir été candidat. Ce sont les députés qui élisent le président, il suffit donc d’avoir la majorité. Et d’être chrétien maronite. Les parlementaires sont libres de glisser le nom qu’ils souhaitent dans l’urne. Ce qui peut, ce jeudi 9 octobre, réserver encore des surprises.
Le patron de l’armée libanaise, Joseph Aoun, soutenu par une grande partie des élites chrétiennes et des sunnites et en très bons termes avec les Américains et les Séoudiens, part très nettement favori. Mais rien n’est joué dans la mesure où ce militaire reconnu ne peut pas l’emporter s’il n’obtient pas la neutralité, sinon l’appui, d’une partie de la communauté chiite modérée.
Président de la Chambre des députés depuis des lustres et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, est désormais considéré comme le principal représentant de la communauté chiite, comme un des rares passerelles vers ce qui reste de l’appareil politique et militaire du Hezbollah et comme l’interlocuteur incontournable de la communauté internationale. Rien ne peut se décider lors de la réunion du Parlement du 9 janvier s’il ne donne pas son feu vert. Ce représentant insubmersible et vieillissant de la classe politique libanaise jouera un rôle clé dans le choix du futur Président.
Quatre candidats se disputent les suffrages des parlementaires libanais.
Un article de Nicolas Beau, aidé par la documentation d’ « Ici Beyrouth », site partenaire de Mondafrique
Joseph Aoun, le candidat du consensus
Alors que tout s’effondre, la grande muette libanaise fait de plus en plus parler d’elle. Au milieu de ce chaos survit, comme un radeau médusé, la petite armée libanaise, respectée par le peuple. La dernière, toute dernière institution qui tient encore debout. Et à sa tète, le commandant en chef de l’armée libanaise désigné le 8 mars 2017, le général Joseph Aoun (aucun lien de parenté avec l’ex-président Michel Aoun)
Ce militaire consensuel, 58 ans, a la réputation d’un homme intègre et honnête, une denrée rare au Liban. Pas de fortune personnelle, ni de propriétés hollywoodiennes, aucune affaire de corruption. Un homme simple, qui collectionne les couteaux et poignards en souvenir de sa formation dans les forces spéciales, qui ne sort pas et vit très modestement.
Joseph Aoun qui vient de la communauté maronite d’où le Président de la République doit être originaire a toujours été apprécié par l’ensemble des forces politiques. Ce haut gradé dirige une armée composée d’une bonne moitié d’officiers chrétiens. Encore que ces dernières années, le Président Michel Aoun, allié du Hezbollah, qui a quitté le pouvoir en octobre 2022, a fait pression pour que des militants de son mouvement, le Courant Patriotique Libre (CPL), grossissent les rangs de ses sympathisants au sein de l’institution militaire.
Le général Joseph Aoun doit compter également avec des sous-officiers sunnites pour 35% et chrétiens pour 28%. Un quart seulement de la hiérarchie militaire intermédiaire est chiite, mais pas nécessairement sous l’influence du Hezbollah. « Ces dernières années, observe un officier, l’accent mis par l’armée sur le recrutement des femmes a été certainement un moyen habile d’éviter la venue de militaires qui soient des musulmans fondamentalistes ».
Au Liban, tout a été ces dernières années affaire de dosage. Des gradés au sein de l’armée sont connus pour leur proximité avec le Hezbollah comme le général Malek Chamas, qui fut longtemps membre du conseil militaire et directeur général de l’administration. Ses fonctions précédentes comme commandant adjoint du secteur du Sud du Litani, directeur adjoint des Renseignements et coordinateur du gouvernement Libanais près de la FINU, montrent à quel point les équilibres communautaires sont respectés au sein de l’institution militaire.
Lorsque le Hezbollah, ces deux dernières années, s’employait à imposer son propre candidat cà la Présidence libanaise, les forces chrétiennes n’étaient pas loin de se rallier au général Aoun. Depuis la décapitation du mouvement chiite par l’armée israélienne, les chefs de clans, Samir Geagea à la tète des Forces Libanaises et d’autres, se sont ralliés à son panache
Elias Baysari, le candidat du Qatar…et du Hezbollah
Les élections présidentielles prévues au Liban le 9 janvier s’annoncent comme une bataille par procuration entre les alliances saoudo-émiratie et turco-qatarienne, avec l’Iran et le duo chiite alignés avec le bloc « Turkey-Qatar ». L’Arabie saoudite et les Émirats soutiennent le général Joseph Aoun, commandant des Forces armées libanaises, tandis que le Qatar appuie Elias Baysari, chef par intérim de la Sureté générale, le service de contre espionnage libanais qui traditionnellement enu par des amis du Hezbollah. Ces deux candidats symbolisent les aspirations régionales de leurs parrains, chacun posant des défis en termes d’amendements constitutionnels nécessaires.
Les deux camps neutralisent mutuellement leurs efforts. Cette situation rappelle les blocages précédents, comme ceux entre les camps du 8 mars et du 14 mars, où des candidats comme Suleiman Frangieh et Michel Mouawad/Jihad Azour se sont annulés. Le résultat à craindre est une paralysie politique prolongée.
Les responsables du Hezbollah ont très tôt compris tout le profit qu’ils pourraient tirer de la maitrise des aéroports, des ports et des frontières. Or c’est le service de « la Sureté générale » qui gère les grandes infrastructures libanaises. Longtemps il a été dirigé par un chrétien maronite avant de passer sous la coupe du Hezbollah. En 1998, le président Emile Lahoud nomme en effet le général Jamel Sayyed, proche à la fois du régime Syrien et du Hezbollah, qui occupera. « Au nom de la lutte contre le terrorisme, explique un député libanais, la sureté générale peut se mêler d’à peu près de tout ». Fort de 3000 hommes, ce service en roue libre est susceptible à la fois de mettre les politiques sur écoute, de mobiliser des forces spéciales, de lancer des enquêtes judiciaires ou d’infiltrer des associations ou des ONG.
Pendant une douzaine d’années et jusqu’à son départ voici un peu plus d’un an, le général Ibrahim Abbas, patron tout puissant de la Sureté générale, aura été la courroie de transmission du Hezbollah au coeur de l’appareil sécuritaire. .
– « Que pensez-vous, avait demandé l’AFP au général Ibrahim Abbas,, de sa qualification d’«homme du Hezbollah»?
– « Cela ne me dérange absolument pas», a-t-il répondu.
Médiateur entre les barons de la politique au Liban, libérateur d’otages en Syrie, interlocuteur des services étrangers à Washington et à Paris, ce gradé entretient des relations excellentes avec le patron de la DGSE française, Bernard Emié. « Il faut bien préserver des passerelles avec le mouvement pro iranoien, explique un gradé de l’armée, c’est la France qui joue ce rôle d’interlocuteur du mouvement chiite, en accord avec le reste du monde et en oubliant les enlèvements d’otages français des années 1980 », explique l’expert « Sécurité » d’un des principaux partis politiques libanais.
L’aide massive du Qatar au Liban
Samir Hassaf, le candidat de la France
Les discussions de salon se sont intensifiées ces derniers jours autour de la candidature d’un des favoris à la présidence libanaise, l’ancien banquier Samir Assaf. Toutefois, sa candidature a été assombrie, notent nos confrères du site « Ici Beyrouth, par des critiques acerbes, qui le présentent comme un candidat imposé par l’étranger, en particulier par le Président français, Emmanuel Macron, qui le connait bien.
Selon ses détracteurs, M. Assaf représente “des intérêts étrangers qui pourraient mettre en péril la souveraineté du Liban, en cherchant à réaffirmer le contrôle économique et politique sur le pays. Sans expérience politique locale ni assise populaire, M. Assaf est considéré comme une “marionnette” potentielle des puissances externes, qui saperait les secteurs libanais vitaux tels que les banques et les ports”.
Le parcours politique de M. Assaf a commencé par une vaine tentative pour devenir gouverneur de la Banque centrale du Liban (BDL), avec le soutien conjoint de la France et du leader du Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, qui regroupe une minorité imporante de la communauté chrétienne qui a fait alliance, sous la présidence sous la présidence de Michel Aoun, avec les deux mouvements chiites, Amal et le Hezbollah. Sa proposition, connue sous le nom de “Plan Lazar”, visait les droits des déposants et menaçait le secteur bancaire libanais. Après l’échec de ce projet, le soutien français s’est alors orienté vers la promotion de M. Assaf comme candidat potentiel à la présidence, en particulier après l’échec de la candidature de Sleiman Frangié.
Emmanuel Macron voit en lui “un instrument” pour préserver l’influence française au Beyrouth, sérieusement déclinante en raison du flou de la diplomatie française ces dernières années. . L’homme d’affaires libanais très fortuné et grand ami du chef d’état français, Gilbert Chagoury aurait également assuré un soutien important à M. Assaf . Il aurait ainsi organisé des réunions avec des personnalités influentes au Liban. Il a même cherché à obtenir le soutien américain du conseiller de Donald Trump pour les affaires du Moyen-Orient, Massaad Boulos, le père d’un gendre du Président américain.
Jihal Azour, le rêgne du flou
Le directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI), Jihad Azour, qui avait fait un tour de piste lors d’une réunion précédente du parlement libanais pour devenir chef de l’état par défaut de vrai compromis politique. Ce candidat par défaut a réitéré le besoin urgent pour le Liban d’un soutien de la communauté internationale afin d’atténuer la crise économique qu’il traverse, notamment en fournissant des subventions et en favorisant un règlement de la situation à laquelle il fait face en raison de la guerre avec Israël.
Dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse (AFP), il a souligné que la priorité est de protéger les vies et de sauver les moyens de subsistance des populations, mais aussi d’apporter une aide humanitaire suffisante aux personnes qui ont tout perdu.
Il a appelé la communauté internationale à mettre fin aux conflits en cours à Gaza et au Liban et à fournir l’assistance nécessaire pour faire face à la terrible crise humanitaire, les exhortant à faire des dons à ce pays, qui souffrait déjà d’une situation économique très difficile avant le déclenchement de la guerre actuelle.
Par ailleurs, selon M. Azour, les raisons qui empêchent d’espérer des perspectives de croissance pour l’économie libanaise dans les circonstances actuelles sont la présence de destructions majeures dans les infrastructures, des dégâts importants dans les zones agricoles au sud du pays, des pertes en vies humaines, des destructions des moyens de production et, de manière plus générale, la perturbation de l’activité économique.
Dans un cadre plus large, le FMI a réduit ses prévisions de croissance pour la région dans son ensemble de 0,6 % par rapport à ses précédentes estimations publiées en avril. Cette réduction est principalement attribuée aux répercussions des conflits en cours à Gaza et au Liban.
Cependant, les répercussions économiques directes de ces deux conflits, en dehors des territoires palestiniens et du Liban, varient considérablement, et les pays de la région ont généralement su les atténuer, estime M. Azour. Il a ajouté que la Syrie est très touchée, mais que le FMI, qui n’a pas publié d’évaluation de ce pays depuis 15 ans, ne dispose pas des données nécessaires pour dresser un tableau précis de ces répercussions.
Il a par ailleurs souligné que la situation de l’Égypte lui permet de faire face à ce nouveau choc, notamment grâce au programme actuel du FMI, dont la valeur a été augmentée de 3 à 8 milliards de dollars en avril, spécifiquement pour l’aider à s’adapter aux évolutions.