Le conflit entre les deux généraux soudanais est alimenté et aggravé par des parrains internationaux la crise, l’alimentent et la font perdurer.
Leslie Varenne, directrice d’IVERIS
La guerre au Soudan a commencé le 15 avril. Depuis un mois les deux généraux qui s’affrontent, Al-Burhan et Hemedti, ont plongé le pays dans le chaos. Les deux anciens complices, devenus ennemis, n’ont aucune intention de mettre fin à leur confrontation, chacune des parties espérant l’emporter militairement.
Depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019, on ne compte plus le nombre de négociations, accords, dialogues qui au final n’ont réussi qu’une seule chose : réunir les conditions de l’explosion. Les pourparlers qui se sont tenus à Djeddah entre le 5 et le 11 mai, sous l’égide des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, entre les émissaires des deux camps ont été dans la même veine : une plaisanterie de mauvais goût. Tout indique que cette guerre s’inscrit dans la durée, et cet énième échec en est la preuve. Selon le New York Times, pour Joe Biden, le Soudan était un test important de son objectif principal de politique étrangère qui consistait à renforcer les démocraties dans le monde. Et le journal de se demander si les Etats-Unis ont bien mesuré les difficultés…
En attendant, la catastrophe est là, les 46 millions de Soudanais vivent un enfer, plus de 600 morts, des milliers de blessés. Les plus riches sont déjà partis et les pauvres se retrouvent au centre du cataclysme. Tous les pays voisins se préparent au pire, l’Egypte s’attend à accueillir plus d’un million de réfugiés, le Tchad est inquiet et l’Arabie Saoudite sous pression.
Mensonges et mauvaise foi
En arrivant à Djeddah les émissaires d’Abdel Fattah al-Burhan à la tête de l’armée (SAF) et ceux de Mohammed Hamdan Dagolo dit Hemedti, patron d’une force paramilitaire (FRS) n’avaient aucune intention de parapher une trêve ou un cessez-le-feu. Leurs équipes y sont allées pour soigner leur image, se présenter comme des hommes de dialogue et de paix afin d’engranger des soutiens à l’international. C’est moins onéreux que les cabinets de communicants qui tournent à plein régime en ce moment, surtout du côté des FRS. Il suffit de lire l’engagement qu’ils ont signé pour prendre la mesure de la mystification. Tous les points de ce document sont en réalité des articles du Droit Humanitaire International (DIH) et de la convention des Droits de l’Homme que les deux parties sont de toute façon tenues de respecter ! S’ils ne le font pas, ce n’est pas la signature en bas d’une feuille qui changera leur manière d’agir. D’ailleurs dès le 12 mai au matin, dans la ville d’Al-Geneina au Darfour, les civils se trouvaient pris au milieu des combats.
Pourtant, après la signature, Volker Perthes, le représentant des Nations Unies pour le Soudan a salué « ce premier pas important ». Pour mémoire, c’est le même homme qui, pour se féliciter des avancées diplomatiques, déclarait un mois avant la déflagration : « Le retour à la paix est proche » ! Puis quelques jours après le début du conflit, il se justifiait en disant « Nous n’avons pas vu d’alerte précoce », alors que depuis six mois, les deux camps recrutaient et s’armaient. Anthony Blinken a, lui, eu « le plaisir d’annoncer (…) une déclaration d’engagement à protéger les civils soudanais ».
De son côté, selon une source proche du dossier, Mohamed Ben Salmane (MBS), las de ce manège et de ces discussions inutiles a, dans son style sans fioriture, demander à tout le monde de partir et décidé de poursuivre ses efforts sous un autre format.
Les Etats-Unis en embuscade
Ces jours de négociations étaient d’autant plus délicats que la Secrétaire adjointe aux affaires africaines, Molly Phee, est arrivée à Djeddah avec sa délégation, alors que les tensions entre Ryad et Washington n’ont jamais été aussi fortes. Certes, les Etats-Unis font partie du Quad pour le Soudan, aux côtés de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis et du Royaume-Uni. Mais ce format a été créé avant que MBS ne décide de se tourner vers les BRICS et d’être partenaire de dialogue de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). C’était aussi avant que le Royaume ne signe à Pékin un accord de paix avec l’Iran, un accord que Washington ne digère toujours pas.
A la mi-avril 2023, quelques jours après cette annonce en Chine, William Burns, le directeur de la CIA, s’est rendu à Djeddah. Après avoir patienté deux jours avant que MBS ne daigne le recevoir, le patron de Langley a tenté de faire pression sur la monarchie. Au cours de cette visite « secrète » qui a opportunément fuitée dans le Washington Post, tous les dossiers chauds du moment ont été mis sur la table : rapprochement avec la Chine, la Syrie, pétrole, Yémen. Pourtant, malgré les injonctions, MBS n’a pas dévié d’un iota de sa ligne. L’ambassade saoudienne va rouvrir à Damas et le pays de Bachar al-Assad a été réintégré au sein de la Ligue arabe. Il sera présent lors du Sommet de la Ligue à Ryad le 19 mai prochain. Idem, sur la Chine, le pétrole ou le Yémen.
La Maison Blanche n’abandonne pas la partie pour autant. Jake Sullivan, le conseiller à la Sécurité Nationale s’est invité à Djeddah pendant les pourparlers pour évoquer une nouvelle fois ces dossiers. Anthony Blinken devrait se rendre à Ryad en juin. Ils n’abandonnent jamais…
Le frère ennemi
A ces pressions américaines, s’ajoutent les tensions avec Mohamed Ben Zayed (MBZ). Les relations entre MBS et son homologue des Emirats sont notoirement mauvaises. La guerre au Soudan n’arrange rien. L’Arabie Saoudite qui veut se concentrer sur son projet Vision 2030, a décidé de faire la paix avec ses voisins. Or, même si Abou Dhabi ne l’affiche pas publiquement, il alimente le feu en soutenant Hemedti. Leur accord sur les mines d’or du Darfour, détenu par le patron des FRS et dont la production est entièrement vendue aux Emirats sert à payer les troupes. Tous les réseaux d’influence d’Abu Dabi, cabinets de conseils, think tank, en collaboration parfois avec ceux d’Israël qui n’est jamais très loin lorsqu’il s’agit du Soudan, œuvrent pour le rival du général Burhan. Selon une source sécuritaire tchadienne, peu de temps avant la guerre, les Emirats auraient fait livrer, via la Libye, 3000 Land Rover au clan d’Hemedti… et personne n’a rien vu passer et personne n’a rien vu venir.
Le 11 mai, MBZ a dîné à l’Elysée, si rien n’a fuité de ses conversations avec Emmanuel Macron, il y a fort à parier que le premier a plaidé la cause de son poulain. Mais pour l’instant, la France, victime du syndrome de Fachoda, laisse les anglo-saxons à la manœuvre dans cette ancienne colonie britannique.
Qui pour ramener la paix ?
La guerre au Soudan est un coup dur pour l’Arabie Saoudite qui a beaucoup à y perdre. Khartoum assure la sécurité alimentaire du Royaume qui s’est offert des centaines de milliers d’hectares de terres cultivables d’où proviennent la presque totalité de ses ressources agricoles, il est aussi le premier acheteur de bétail de ce pays. Cela signifierait également la fin de son plan pharaonique Vision 2030, raison pour laquelle MBS a opté pour la politique de « zéro problème » avec ses voisins afin de se concentrer sur les questions économiques. C’est aussi le désordre assuré dans la très stratégique mer rouge où les deux protagonistes se disputent les ports. Comme l’Egypte et le Tchad, l’Arabie Saoudite fait partie des pays qui courent le plus de risques, d’où sa tentative de trouver une issue à ce conflit. Elle a essayé, elle a été torpillée, la guerre va durer. Pire, elle risque de s’intensifier avec les myriades de groupes armés qui existent depuis des décennies au Soudan et qui vont venir renforcer l’un ou l’autre camp.
Quelle solution pour mettre fin à la catastrophe en cours ? Pour Michel Raimbaud, ancien ambassadeur à Khartoum et auteur du livre « le Soudan dans tous ses états« , la clé se trouve dans les mains des pays arabes, la recomposition du monde leur offre cette chance.
*Source : IVERIS
Leslie Varenne, journaliste d’investigation, est directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques).