Batailles coloniales (volet 4), la chute du Royaume Kongo en 1665 

Le 29 octobre 1665 lors de la bataille d’Ambuila, les charges furieuses des guerriers africains viennent se briser contre le carré formé par les Portugais. C’est la disparition du Royaume Kongo, cinq lettres magiques qui claquent, résonnent, comme un immense coup de tambour venu des profondeurs de l’Afrique.  
Un récit d’Eric Laffite 
 
La carte du Royaume du Kongo. La capitale figure sur un affluent du Congo, la Lunda.

En 1482, dix ans avant que Christophe Colomb ne découvre l’Amérique, le navigateur portugais Diego Cao au service du roi Jean II est aussi à la recherche d’une route maritime pour rallier les Indes, mais en descendant les côtes de l’Afrique.Passées celles du Gabon, il est pris dans les forts courants d’une « soupe jaunâtre, ocre et rouille »*, charriant une masse de déchets végétaux et de troncs d’arbres. A l’évidence un estuaire, avec cette particularité, qu’immense, il s’étale sur 17 kilomètres de large. L’explorateur fait jeter l’ancre sur la rive sud de ce qui s’avérera être l’un des plus grands fleuves du continent africain : brièvement baptisé « Rio Podoroso « fleuve puissant », il est finalement appelé Zaïre, déformation du nom que lui donnent les autochtones « Nzadi », soit « grande rivière ». 

C’est le fleuve Congo d’aujourd’hui. 

Diego Cao fait poser un « Padreo », bloc de pierre de 500 kilos surmonté d’une croix et amené de Lisbonne  afin d’attester que le lieu est désormais sous l’autorité de Jean II du Portugal.

Des hommes blancs « sortis de l’eau »

Jamais un Européen n’était descendu aussi bas en Afrique vers le sud et Diego Cao et ses marins sont incontestablement les premiers à entrer en contact avec les représentants du Royaume du Congo. Un hale de mystère enveloppe ce royaume dont la capitale « Mbanza Kongo », se trouve loin de l’océan et  difficilement accessible. Très vite pourtant, le contact est noué entre les Kongos et ces hommes blancs « sortis de l’eau », parlant une langue qu’on ne comprenait pas ». Des ambassadeurs (qui sont aussi des otages…) sont échangés. 

Il faut s’imaginer l’aventure humaine : des membres de l’aristocratie Kongo embarquent alors à bord d’un galion pour rallier Lisbonne, tandis que les « volontaires » portugais désignés par Diego Cao s’enfoncent pour de longs mois, sinon au cœur des ténèbres, dans les profondeurs d’une Afrique centrale alors totalement inconnue, et avec pour destination la capitale du Kongo. On restera longtemps sans nouvelles d’eux… 

Les sources écrites manquent pour dater précisément la naissance d’un Royaume parfois qualifié d’Empire au regard de son étendue.Une certitude, en cette fin du XVe, il est à son apogée et c’est alors la structure politique sociale la plus puissante d’Afrique centrale. Elle couvre un immense territoire qui, du Nord au Sud, s’étend du sud du Gabon au nord de l’Angola et d’Ouest en Est, de l’Atlantique à Kinshasa. Cet Etat, car s’en est un, dispose d’une administration, il collecte l’impôt, de sa monnaie, le nzimbu(sous forme de coquillage), de son aristocratie, d’une capitale.

Diego Cao et ses marins sont incontestablement les premiers à entrer en contact avec les représentants du Royaume du Congo

Erasmus universitaire kongo-portugais 

L’Etat Kongo est formé d’une demi-douzaine de provinces, et on estime que la monarchie règne sur 500 000 à 1 million de sujets.  Un Etat suffisamment solide en tout cas pour ne pas être emporté ou balayé par l’arrivée des Portugais et du premier coup d’arquebuse. Longtemps, les Portugais vont se contenter de disposer d’un comptoir à Luanda (actuelle capitale de l’Angola) sur l’Atlantique, mais sans pénétrer à l’intérieur du pays où ils n’exercent aucune autorité, et dont l’accès reste soumis au bon vouloir des Kongos. De fait, les relations sont plus que cordiales et mutuellement intéressées entre Portugais et Kongos. On commerce de l’ivoire, des métaux, des vivres. Et bientôt des esclaves. 

Très vite, l’aristocratie Kongo se convertit au catholicisme. Conversion sincère ? Opportunisme ? Il est clair que la classe dominante Kongo trouve bien des avantages à commercer, à s’instruire, s’armer auprès des Portugais : « On se fait baptiser en masse , non pas parce qu’on a renoncé à la sorcellerie, mais au contraire parce qu’on y croit dur comme fer. Le crucifix, considéré comme le plus puissant fétiche pour chasser les mauvais esprits, devient très apprécié », remarque David Van Reybrouck.*Côté portugais, on se félicite de commercer avec cet allié solide dont la souveraineté permet d’écarter d’éventuels concurrents européens. 

Dès 1491, le Mani (roi) Nzinga Nkuwuse se convertit, prend le nom de « Don Juan » 1eret signe un traité d’alliance avec Lisbonne. Il est imité par la famille royale, les proches du pouvoir. Le christianisme devient religion d’Etat, la capitale Mbanza Kongo est rebaptisée São Salvador. Se met aussi en place une sorte d’Erasmus universitaire entre le Kongo et le Portugal tout à fait extraordinaire.

Don Juan 1er, premier souverain du Kongo à se convertir en 1491 au catholicisme. Son fils Henrique sera nommé Évêque.

Des relations avec le Vatican 

Le fils du Roi, dont « Henrique » (11 ans), ainsi qu’une partie de l’élite Kongo part ainsi étudier à Lisbonne. On y apprend le latin (!) les sciences, la théologie, etc. A tel enseigne qu’Henrique rentre au pays en qualité d’évêque, le premier homme noir à occuper cette charge. Des relations diplomatiques d’Etat à Etat s’établissent entre le Vatican et le Royaume, et une correspondance écrite s’installe entre le pape et le Mani Kongo. Celle-ci permet parfois d’arbitrer certains conflits inévitables avec « l’allié » portugais. 

En 1606, au terme d’un périple mouvementé de quatre années vers Rome, Nsaku, « marquis de Vunda » , devenu prêtre sous le nom de Dom Antonio Manuel, présente ses lettres de créance au pape Paul V. Il est le premier ambassadeur africain de l’histoire accrédité auprès du Saint-Siège.Une chose ne passe pas. La monogamie imposée par l’Eglise. 

Celle-ci remet en cause le système d’alliance sur lequel repose l’autorité du Mani Kongo vis-à-vis de ses vassaux, lesquels sont désormais « prince » « duc » ou « baron ». Malgré cela, entre 1491 et 1620, le Kongo et le Portugal entretiennent des relations relativement cordiales. A l’occasion, les Kongos profitent de cette alliance pour étriller sévèrement leurs voisins. En 1568, le Kongo est envahi par les Yaka, une peuplade guerrière venue du sud. La capitale est prise, mise à sac, finalement reprise en 1571 mais avec le renfort d’un fort contingent de conquistadors… 

Cette « entraide » est alors réciproque. Les guerriers Kongos permettent aux Portugais d’étendre leur comptoir de Luanda, port qui devient la capitale d’une colonie qui, au fil des ans, monte en puissance. 

Avec la découverte du Brésil, sa colonisation, Lisbonne a besoin de main d’œuvre. La traite négrière qui se met en place, source de profit et de luttes continuelles déstabilise profondément la région. 4 millions d’esclaves (!) auraient été ainsi « exportés » de la région de 1500 à 1850. Les « razzias » se multiplient. Au détriment des ennemis des Kongos, dans un premier temps… 

Mais l’emprise portugaise s’affirme au fil des ans, des décades. 

 L’appel aux armes d’Antonio 1er,  

Les Kongos trouvent une respiration avec l’arrivée en 1602 des Hollandais (protestants et donc des hérétiques) venus commercer sur les rives du Congo. Puissance maritime et commerciale, la Hollande constitue un précieux contrepoids aux ambitions et à l’appétit grandissants des Portugais. Les monarques Kongo jouent de cette rivalité pour maintenir leur souveraineté. En 1641, les Hollandais occupent Luanda après en avoir chassé les Portugais. 

Un sursis de courte durée. La fin de la guerre de Trente ans (1649) signe le retour en force des Portugais à Luanda. Ils imposent alors toute une série d’exigences nouvelles : aucun européen ne doit désormais entrer au Kongo sans passer par Luanda. La « liberté » totale du commerce est imposée, soit l’interdiction pour le Kongo de prélever des taxes sur le commerce portugais. Les conquistadors s’emparent de l’île de Luanda d’où l’Etat Kongo tire sa monnaie, le Zimbu. 

Lisbonne soutient enfin toutes les velléités d’indépendance des vassaux ou des rivaux du royaume Kongo.   C’est désormais une véritable guerre froide qui régit les relations entre les deux Etats. C’est sous le règne de Mvita ya Nkanga alias « Antonio 1er »(1661-1665) que se joue l’acte ultime de ce long travail de sape. 

En 1665, les Portugais réactivent une vieille exigence, celle de l’accès aux mines de cuivre de MBembe, et alors perçues comme un possible eldorado. Réponse sèche d’Antonio 1er : « ces mines n’existent pas et que même si elles existaient, il ne les devrait à personne». 

Tandis que les Portugais mobilisent leur armée, Antonio 1er lance, le 13 juin 1665, un vibrant appel aux armes à : « Toute personne, qu’elle soit noble ou artisan, riche ou pauvre, toute personne capable de porter une arme, venant de tous les villages et bourgs…[sera] obligée de se présenter dans les dix jours qui suivent auprès de[ses] commandants, gouverneurs, princes, comtes, marquis,etc. […] et de partir défendre nos terres, biens, enfants et femmes, vie et liberté que les Portugais veulent s’accaparer et assujettir ».

Les guerriers d’Antonio 1er sont majoritairement armés d’arcs, de javelots et d’épées

 Le dernier combat

La confrontation a lieu le 29 octobre 1665 à Ambuila, à mi-chemin de São Salvador et de Luanda. Des deux côtés, on a fortement mobilisé : 500 soldats portugais et 7000 supplétifs autochtones du côté de Luanda. « 100 000 hommes » côté Kongo. Chiffre peu réaliste mais qui vient  tend à illustrer l’exceptionnelle mobilisation des Kongos. 

Antonio 1er jouit d’une incontestable supériorité numérique, mais son armée est bien moins dotée en armes à feu. Ses guerriers sont majoritairement armés d’arcs, de javelots et d’épées. En face, les conquistadores ont des mousquets et surtout deux canons. Ils bénéficient d’une organisation militaire éprouvée. De fait, les charges furieuses des guerriers Kongo viennent se briser contre le carré formé par les Portugais. 

La lutte est acharnée. Le combat va durer entre six et huit heures au cours desquelles, par vagues successives, les Kongos se jettent inlassablement à l’assaut du carré portugais. Lequel ne cède pas. 

Au soir de cette bataille, c’est une catastrophe absolue pour les Kongos qui laissent 5000 cadavres sur le terrain. Le roi Antonio 1eren fait partie, il est décapité. Avec lui, deux de ses fils et plus de 500 nobles de la Cour passent de vie à trépas. C’est tout l’Etat congolais qui est décapité de sa caste dirigeante. Il ne s’en remettra pas. Après être parvenu à maintenir sa souveraineté deux siècles durant face aux colonisateurs, le royaume du Kongo s’enfonce alors dans l’anarchie et la guerre civile. On s’y dispute un pouvoir qui n’existe plus.

Demeure le nom « Kongo », qui aura été, depuis, adopté depuis par deux Etats. 

* Les citations sont extraites du remarquable livre de David Van Reybrouck, « Congo. Une Histoire », Flammarion 2014 et disponible en poche.
 
https://mondafrique.com/grandes-batailles-2-lemir-abd-el-kader-vainqueur-des-francais-en-1845/