Plusieurs milliers de militants du parti des peuples africains Côte d’Ivoire (PPA-CI) ont déferlé cette fin de semaine à Agboville pour prendre part à l’édition 2024 de la fête de la Renaissance autour de leur chef, Laurent Gbagbo.
Norbert Navarro
Marée bleue cette fin de semaine à Agboville. Arborant tee-shirts, boubous et casquettes floqués à la couleur fétiche du PPA-CI, les militants du parti de Laurent Gbagbo ont déferlé dans les rues de cette cité située à 80 kms au nord d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, pour y fêter une seconde fois la « renaissance » de leur héros, président élu en 2000, délogé du pouvoir suprême de l’Etat en 2011, avec l’appui militaire de la France, à l’issue d’une meurtrière crise post-électorale, avant d’être jugé aux Pays-Bas par la Cour pénale internationale et définitivement innocenté, le 31 mars 2021, des accusations de crimes contre l’humanité et crimes de guerre injustement portées contre lui.
Depuis son acquittement, Laurent Gbagbo, tel le phénix, s’évertue à renaître de ses cendres. Après avoir créé un nouveau parti panafricaniste, le PPA-CI, l’ancien prisonnier de Scheveningen, aux Pays-Bas, a rejeté l’idée de demander à la CPI réparation du préjudice par lui subi durant plus de sept ans sous les verrous, préférant plutôt fêter chaque anniversaire de sa victoire judiciaire. Cette année, la fête de la Renaissance d’Agboville avait pour thème la « politique autonome de la femme pour la victoire à l’élection présidentielle de 2025 », c’est demain.
Travaillé par l’incertitude pesant sur l’éligibilité de son président, l’urgence du calendrier électoral ivoirien imposait en effet une clarification au sein du PPA-CI. Condamné à vingt ans de prison par la justice ivoirienne dans l’affaire dite du « casse de la BCEAO », en 2011, Laurent Gbagbo a vu son inscription sur la liste électorale annulée par la CEI, la Commission électorale indépendante. En est résultée une vive tension à la tête du PPA-CI, quand des voix se sont multipliées pour proposer non-pas la candidature du « soldat Gbagbo », mais plutôt celle d’Ahoua Don Mello à la présidentielle de l’an prochain. Très populaire auprès des militants, cet ancien ministre de Laurent Gbagbo est publiquement présenté comme le représentant africain de l’alliance des BRICS+, réunissant désormais l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie et l’Iran autour de son noyau initial composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. Don Mello candidat plutôt que Gbagbo, de quoi animer les conversations sous l’arbre à palabres du landernau ivoirien. Affairages garantis sur les bords de la lagune ébriée !
Justement. Coupant court à cette controverse, exploitée notamment par le pouvoir ivoirien pour tenter d’éviter le retour de Gbagbo, ce dernier a annoncé sa candidature à la candidature. C’est sur cette nouvelle donne que s’est déroulée la fête de la renaissance 2024. Toujours contraint à l’exil, l’ex-chef rebelle Guillaume Soro, lui-même condamné à la prison à vie par la justice ivoirienne, s’est fendu d’un cadeau clin-d’œil à Laurent Gbagbo, un bélier, animal fétiche du PDCI-RDA, parti historique ivoirien (aujourd’hui présidé par l’ex-banquier Tidjane Thiam), avec lequel le PPA-CI de Laurent Gbagbo a noué une alliance en juillet 2019. Saluant sur place la chefferie traditionnelle, Laurent Gbagbo, l’air de rien, a par ailleurs souligné l’importance de « toujours (être) respectueux vis-à-vis des anciens ». A bon entendeur…
Le compte à rebours de la présidentielle 2025 à présent déclenché, le parti va se mettre en ordre de bataille pour tenter d’obtenir d’Alassane Ouattara la vraie renaissance de son champion, son amnistie, sésame indispensable à une candidature Gbagbo, l’an prochain. A charge pour le président ivoirien de prendre ou non le risque d’une élection sans Gbagbo (que vaudrait alors son résultat ?) dans un contexte politique régional fortement marqué par la récente élection présidentielle sénégalaise, où un ex-prisonnier – décidément – a été porté par une vague démocratique à la tête de l’Etat. Irrésistible tsunami panafricaniste de nature à durablement galvaniser les militants du PPA-CI, une fois éteints les lampions de la Renaissance, à Agboville.