Egypte : une dette de cinquante milliards de $ pour une capitale pharaonique

À environ 60 kilomètres du centre du Caire, sur un plateau désertique, une nouvelle ville de 730 kilomètres carrés, composée de gratte-ciel, de résidences de luxe, d’avenues larges et de centres commerciaux piétonniers prend forme. Il s’agit de la nouvelle capitale égyptienne telle que le président Abdel Fattah Al Sissi l’a rêvée.

Pour le président al Sissi, cette capitale sera la vitrine de l’Egypte moderne, sa vitrine.

Ce rève pharaonique a pour fondation cinquante milliards de dollars de dette. La dette totale de l’Egypte, intérieure et extérieure, est aujourd’hui évaluée à plus de mille milliards de dollars selon le cabinet de recherche britannique Oxford Economics.

Cette capitale sera une sorte de Dubaï africain avec une tour qui sera la plus haute du continent. Cette tour est encore inachevée ainsi que les lignes de transport, et aussi l’aéroport et l’université. Néanmoins, la capitale va commencer à vivre : le gouvernement prévoit de déplacer 40 000 fonctionnaires dans un quartier destiné aux ministères, au palais présidentiel et à une mosquée géante.

Le projet urbain a démarré en 2015 de manière un peu chaotique avec le concours des Emirats arabes unis, mais s’est achevé en rupture en raison d’un désaccord financier. L’armée égyptienne a ensuite pris en charge le projet, et un nouveau design a été élaboré séparant les zones gouvernementales, commerciales et résidentielles.

Le joyeux mélange des grandes villes traditionnelles a ici disparu. Toutes les fonctions sont séparées. Le quartier financier qui comprend le bâtiment de la banque centrale égyptienne et d’autres institutions bancaires gérées par l’État attend toujours d’être pavé.

Les ambassades étrangères démarchées

Le travail du gouvernement égyptien est maintenant de convaincre les personnes et organismes concernés de déménager. Les autorités tentent ainsi de convaincre les ambassades étrangères d’acheter un terrain dans la nouvelle zone diplomatique. Mais plusieurs diplomates étrangers ont déclaré que leurs ambassades attendaient le transfert réel des ministères du gouvernement égyptien avant de déménager.

Les questions que ce projet gigantesque fait surgir ont surtout à voir avec la politique et peu avec l’architecture ou l’urbanisme. Et certains se demandent si la seule stratégie suivie n’a pas été une stratégie communicationnelle. Le Wall Street Journal cite Sameh El Alayli, professeur d’urbanisme à l’Université du Caire qui se demande si « le gouvernement n’a pas construit une nouvelle capitale pour se donner l’apparence d’un Etat moderne et ressembler à Dubaï ». « En réalité, ajoute-t-il, c’est un projet pour montrer les gratte-ciel, plutôt que de répondre aux besoins réels du pays. »

Il est vrai que dans un pays ou un habitant sur trois est analphabète et ou il manque 250 000 instituteurs, les investissements auraient pu aller à l’éducation.

France Info cite Galila el-Kadi, urbaniste de l’Institut de recherche pour le développement basé en France. « Cette nouvelle capitale ne vient pas concurrencer Le Caire, comme Brasilia a pu le faire avec Rio de Janeiro et Sao Paulo, mais prolonger un peu plus une mégalopole déjà engorgée. La stratégie derrière cette nouvelle capitale est « une énigme », estime cette professeure d’université. 

Galila el-Kadi, urbaniste 

David Sims, un urbaniste basé au Caire, a déclaré qu’il était sceptique quant à l’attrait de la ville pour les Égyptiens moyens. « Ce que cela implique, c’est d’avoir une classe moyenne énorme et en croissance avec beaucoup de revenu disponible », a déclaré M. Sims. « Or cela n’est pas le cas. »

Les écoles, les hôpitaux et les restaurants de la nouvelle ville ne sont pas encore terminés mais surtout les riches et les pauvres risque d’être définitivement séparés.

Il n’est pas exclu que le maréchal al Sissi ait monté ce projet grandiose pour le simple plaisir d’accoler son nom à quelque chose de grand. Tout comme Gamal abdel Nasser a été associé au barrage d’Assouan, lui-même pourrait bien avoir souhaité être associé à un changement de capitale. Le pari est risqué car rien ne dit que la mayonnaise urbaine prendra.