Les missions d’observation électorale sont, pour l’Union africaine (UA), un outil diplomatique. Après le déploiement d’une mission peu complaisante à Madagascar pour le scrutin tendu et contesté du 16 novembre, l’organisation continentale adresse un pied de nez au nouveau Président malgache par la composition de celle qui jugera, dans une semaine, du scrutin présidentiel en République démocratique du Congo.
Olivier Vallée
En composant sa mission d’observation pour les élections présidentielles à Madagascar, le 16 novembre, l’Union africaine n’a pas lésiné sur les moyens. Conduite par l’ancienne Présidente de la Transition de la République Centrafricaine, Catherine Samba-Panza et l’ambassadeur Patrice Eugene Curé, représentant le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), venu de la République de l’Île Maurice, et rehaussée, enfin, par Bankole Adeoye, le commissaire aux Affaires Politiques, Paix et Sécurité de l’UA en personne, la mission était composée de 70 observateurs de court terme provenant de tout le continent.
Si elle s’est officiellement félicitée de la tenue du scrutin «dans une atmosphère calme et paisible en dépit du boycott d’une frange de l’opposition», elle a asséné plusieurs critiques dans sa déclaration préliminaire publiée au lendemain de l’élection. Elle a regretté «le manque de consensus autour du fichier électoral», déploré l’absence de compromis au sein de la classe politique malgache à l’origine «de la division de la classe politique, des manifestations et de la violence et le refus par dix des 13 candidats de prendre part à la campagne électorale, ce qui a privé l’électorat malgache d’une campagne plus inclusive.» Enfin, elle a regretté «le manque d’engouement des électeurs» et «exhorté les autorités, les acteurs politiques et autres parties prenantes du processus électoral à créer un cadre propice au dialogue afin de décrisper le climat politique.»
Dans le ballet réglé des précautions diplomatiques de l’UA, chaque mot de Catherine Samba-Panza était pesé. Ces mots-là ne sont pas en faveur d’Andry Rajoelina. Le Président sortant réélu dès le premier tour n’a d’ailleurs pas réservé un accueil chaleureux aux diplomates.
Pied de nez diplomatique
C’est à cette lumière qu’il faut lire la nomination imminente, à la tête de la mission d’observation électorale en République démocratique du Congo, d’un rival d’Andry Rajoelina, l’ancien Président Hery Rajaonarimpiainina, battu le 16 novembre dernier dès le premier tour, flanqué d’Alain Djacoba Tehindrazanarivelo, très actif ces derniers mois au sein de la plate-forme mêlant contestation de l’élection et plaidoyer en faveur d’un gouvernement d’union nationale animée par la présidente de l’Assemblée nationale Christine Razanamahasoa.
En marge de l’élection présidentielle malgache, la présidente de l’Assemblée nationale, personnalité de l’église luthérienne dans le pays, s’est entretenue en tête-à-tête avec Catherine Samba-Panza et elle a fait part à toutes les missions d’observation de son inquiétude sur l’impartialité du scrutin.
Le tandem malgache désigné par l’UA est équilibré du fait de leurs régions d’origine : l’ex-président vient des hauts-plateaux et Alain Djacoba Tehindrazanarivelo est depuis longtemps une figure « côtière ». Il a vécu en France lors de la grande crise traversée par Madagascar en 2002 lors de l’affrontement entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana.
Les deux hommes sont bien perçus par le Quai d’Orsay, débordé par la hargne antifrançaise qui monte à l’occasion de l’investiture, ce samedi, du Président malgache. Paris a décidé de ne pas envoyer de délégation, de même que la République Sud-Africaine, mais pas pour les mêmes raisons. La puissance régionale se heurte à Andry Rajoelina depuis son coup d’État de 2009. Ce dernier a battu froid au général de brigade Godfrey Miyanda, ancien vice-président de la République de Zambie et chef de la mission d’observation électorale de l’organisation régionale de l’Afrique australe, la Southern African Development Community (SADC), dont Madagascar est membre. L’organisation régionale s’inquiète de ce que la Grande Ile bafoue ouvertement ses principes d’indépendance à l’égard des ex-puissances coloniales et un formalisme démocratique emprunté à la Grande-Bretagne. La question malgache a été hissée au plus haut niveau de l’organisation sous la houlette du Président zambien qui préside actuellement la troïka de l’organe de coopération en matière de politique, défense et sécurité (Zambie, Namibie et Tanzanie). La troïka est mécontente de l’attitude d’Andry Rajoelina et les chefs d’État des trois pays ont boudé ses invitations à la cérémonie d’investiture.
Andry Rajoelina a hanté lui-même la COP 28 pour rencontrer les chefs d’État de la SADC présents. Comme le Président français, ils ont invoqué un emploi du temps trop chargé. Des amis francophones du Président Macron seront là cependant pour l’investiture. Il s’agit de Macky Sall, président du Sénégal et d’Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire.
L’UA enveloppe son astuce d’une pincée de piment, comme on dit à Abidjan, en choisissant, pour observer dans quelques jours l’honnêteté des élections de RDC, deux Malgaches opposants pondérés du Président Rajoelina qui ne s’embarrasse pas de précautions pour mépriser la SADC.