Cöte d’Ivoire, le départ des troupes françaises est un non événement

L’annonce du départ des troupes françaises de la Côte d’Ivoire avec rétrocession immédiate du 43è Bima à l’Etat ivoirien, courant janvier 2025, en pleine fête de fin d’année, n’a pas reçu d’accueil particulier dans le pays. Même la classe politique, d’ordinaire prolixe, n’a pas commenté l’information.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

 Si le président ivoirien s’attendait à quelques dividendes politiques en annonçant lors de son discours de fin d’année le départ des troupes françaises et la rétrocession immédiate de leur camp rebaptisé, selon ses termes, camp militaire Thomas d’Aquin, du nom d’un ancien général de corps d’armée ivoirien, il doit certainement être déçu.

Car à part les chroniqueurs de la télévision d’Etat, la radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) qui ont loué, l’instant d’après, la diplomatie sans tapage du président ivoirien, et la presse nationale qui a par ailleurs évoqué l’annonce sans grand effet de manche, l’information est vite passée sous le boisseau.

A dix mois de l’élection présidentielle dont les préparatifs provoquent toutes sortes de polémique et d’insatisfactions au sein de l’opposition, les Ivoiriens ont d’autres peurs à se fouetter plutôt que de se coltiner une annonce sur un « désapparentement » militaire de la Côte d’Ivoire d’autant plus improbable dans le fond qu’on ne peut pas trouver plus aligné sur la politique internationale de la France que le président ivoirien.

Une annonce étonnante

Il serait également étonnant que la Côte d’Ivoire désactive tout lien militaire avec la France à la veille d’une élection présidentielle capitale pour laquelle le président sortant est soupçonné de briguer un quatrième mandat qui fait planer le douloureux souvenir du troisième qui avait déjà déclenché des manifestations populaires durement réprimées par la police nationale et des milices privées proches du gouvernement. A cela s’ajoute que le 7 novembre dernier, l’envoyé spécial du président Emmanuel Macron Jean-Marie Bockel avait parlé au micro de RFI de la réarticulation du dispositif militaire français en Afrique avec pour conséquence la réduction de la présence militaire française sur le continent.

« Non, on n’est pas du tout dans une question de chiffrage. Nous avons une nouvelle étape qui fait l’objet, dans chaque pays, d’une discussion avec les responsables du pays, autour de l’idée que nous devons garder un dispositif socle qui permette, au niveau de l’accès, de la logistique, de la capacité, de remonter en puissance, si je puis dire, chaque fois que c’est nécessaire, à la demande du partenaire, face à une menace extérieure. Et autour de l’idée qu’à côté de ce dispositif socle, il y a un renforcement du soutien et de la réponse à des attentes en matière de sécurité des pays du périmètre, que ce soit en matière de formation, d’école, de renseignement, d’entraînement, de forces spéciales, mais aussi en matière d’équipements, de nouvelles technologies, etc », avait-il expliqué.

Les confidences de Ouattara

Jean-Marie Bockel ne s’était d’ailleurs pas empêché de se livrer à quelques confidences sur son entretien avec le chef de l’Etat ivoirien et son sentiment sur cette réarticulation du dispositif militaire français dans les pays africains. Selon lui, le président ivoirien lui avait expliqué, en guise de réponse, que « ce qui compte, ce n’est pas le nombre de soldats français demain dans ma base, c’est ce qu’on va pouvoir faire encore mieux ensemble ».

A la demande du journaliste de RFI si « c’est le président ivoirien Alassane Ouattara, qui vous a dit ça ? », M. Bockel avait répondu : « le président Ouattara m’a dit ça avec ses mots à lui ». Certes, depuis, le Tchad et le Sénégal ont demandé officiellement le départ des troupes françaises, ce que n’avait pas anticipé, l’envoyé de Macron, mais à la différence d’Abidjan, N’djaména et Dakar ont parlé de la fin l’accord de coopération militaire qui liait leur pays respectif à l’Etat français.

C’est d’ailleurs ce point névralgique manquant dans le discours du président Ouattara que la plupart des activistes souverainistes ont axé leurs critiques. D’ailleurs, en termes de réaction, c’est plutôt eux qui se sont fait le plus entendre sur le sujet en refusant de croire que l’armée française était réellement sur la ligne de départ en Côte d’Ivoire et que, selon eux, le numéro 1 ivoirien cherchait plutôt à se coudre une robe de souverainiste à dix mois de l’élection présidentielle et au moment où les trois Etats de la Confédération de l’AES semblaient plutôt tirer leur épingle du jeu malgré la menace djihadiste et une propagande bon marché anti-française qui vise parfois à couvrir une partie de leurs errements.

L’armée française est encore là

D’ailleurs au lendemain de la déclaration du président ivoirien, le journal Le Monde a ramené les choses à leurs justes proportions en expliquant que « la présence militaire française s’allège mais ne disparaît pas » et que le président Alassane Ouattara interrogé par le journal a tenu à indiquer qu’il ne s’agit pas d’un désaveu mais d’un retrait concerté organisé par les forces françaises en Côte d’Ivoire ».

En tout cas après avoir été chassés successivement du Mali, du Burkina Faso et du Niger entre 2022 et 2023, puis priés de quitter le Sénégal et le Tchad fin novembre 2024, les militaires français s’apprêtent à réduire leur présence en Côte d’Ivoire. Mais ce retrait officialisé le 31 décembre 2024 était prévu de longue date par les deux pays. C’est probablement pour cette raison que les leaders des partis politiques ivoiriens qui se sont tous adressés, chacun selon sa propre stratégie, aux Ivoiriens au début de la nouvelle année, n’ont pas daigné évoquer le départ des troupes françaises de la Côte d’Ivoire.

Seul, en revanche, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibali, qui a rompu les amarres avec Laurent Gbagbo, s’est prononcé sur le sujet en affichant son scepticisme.