Centrafrique : la promesse trahie de François Hollande à Touadera

Dans son livre « Un Intermède centrafricain »[1], Charles Malinas, ambassadeur de France en Centrafrique pendant l’opération Sangaris, décrit les coulisses d’une « opération militaire réussie » qui accouchera, finalement, d’un échec politique pour la France.

Entretien avec Nathalie Prevost.

 

 

 

Mondafrique : Quand vous êtes nommé ambassadeur à Bangui, en novembre 2013, quelle est la situation sur place ?

Charles Malinas : La situation, on la connaît mal. On sait qu’il y a des massacres dans le pays. Les Américains parlent de pré-génocide. Nous, on parle de situation extraordinairement grave.

On présente un projet de résolution au Conseil de Sécurité qui sera adopté le 5 décembre et on prépare l’opération Sangaris, de 1000 hommes au départ et qui montera en puissance jusqu’à presque 2000. 2000 soldats pour arrêter l’horreur et ramener le calme. On me demande d’aller à  Bangui représenter la France. Je dis oui.

Mondafrique : Vous arrivez le 3 décembre dans un contexte très tendu. La force Sangaris est perçue par l’un des deux belligérants comme un signal pour relancer les hostilités.

Le général Francisco Soriano (L), commandant des forces françaises en République centrafricaine, accueille un dirigeant communautaire

Charles Molinas J’arrive à Bangui le 3 décembre. Le 5, les anti-balakas prennent Bangui d’assaut, persuadés que Sangaris va être de leur côté. Or, Sangaris ne vient pas pour les aider, mais pour rétablir la paix. A l’arrivée de la force, le 7 décembre, les affrontements sont terminés ; la Seleka a repris le dessus, mais Bangui est déstabilisée.

Sangaris est commandée par le général Francisco Soriano, un officier remarquable. Tout de suite, le 9, deux hommes sont tués dans des accrochages. Les premiers jours sont très durs pour le moral. En six mois, on dénombre 120 accrochages dans la capitale.  La force affronte les deux camps.

Mondafrique : Quelle est la mission qui vous est confiée par Paris ?

Charles Molinas : Rétablir le calme, reconstruire l’administration et l’économie et appuyer l’organisation des élections. La ligne, c’est d’accompagner tout ce qui va dans le sens de la paix. Loin des vieux démons de la Françafrique. Pas de substitution. On appuie. On ne fait pas à leur place. C’était la ligne de Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, et de François Hollande. François Hollande avait la même idée en 2013 au Mali. C’était une vraie idée chez lui de sortir de la Françafrique.

Le Drian a une ligne manifestement très interventionniste, très directe, très françafrique, alors que l’Elysée et le Quai d’Orsay sont sur une ligne beaucoup plus respectueuse des Centrafricains

Mondafrique : Pourtant, la République centrafricaine fait partie du pré carré français ?

Charles Molinas. : Oui, elle en a toujours fait partie. Mais le pré carré, je ne l’aborde pas. Je m’en fous. Le pré carré, je ne l’ai pas pris en compte. Je suis arrivé à lui échapper complètement, avec mes yeux d’Européen, de diplomate, sans a priori. De ce point de vue, je crois que c’était bien que je ne sois pas un spécialiste de l’Afrique, parce que cela m’a donné une fraîcheur de vue.

Mondafrique : Mais tout le gouvernement français n’est pas du même avis ?  

Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius ne s’aiment pas et impulsent deux lignes divergentes. Le Drian a une ligne manifestement très interventionniste, très directe, très françafrique, alors que l’Elysée et le Quai d’Orsay sont sur une ligne beaucoup plus respectueuse des Centrafricains. Moi, mon patron au quotidien, c’est le Quai d’Orsay. Hélène Le Gall qui est la conseillère Afrique est complètement en phase. Je ne subis pas d’interventions directes. Le seul moment où je sens qu’il y a une pression de la Défense, c’est au moment du changement de Premier ministre, quand Le Drian pousse vainement un poulain. Du coup, alors qu’il venait pratiquement tous les mois, il va bouder la Centrafrique pendant plusieurs mois.

« La force des Nations unies a perdu pas mal d’hommes, sans aller pourtant au contact » Charles Molinas

Mondafrique : Sangaris, comme Serval au Mali, à la même période, est un succès ?

Charles.Molinas. : L’action de Sangaris et de l’ambassade sera une réussite. Les accrochages diminuent rapidement. Plus d’un par jour pendant les six premiers mois, quelques uns par mois pendant les six mois suivants, aucun au semestre suivant. L’administration reprend peu à peu place. L’intervention dure deux grosses années et la crise elle-même trois ans. L’objectif est atteint. On parvient à l’apaisement.

Mondafrique : vous êtes assez critique sur la force des Nations unies, pourtant beaucoup plus nombreuse que le contingent français.

Charles.Molinas. : Tant que Sangaris était là et les appuyait, ils avaient du courage. La légion et les parachutistes du RPIMA ont fait une guerre très disciplinée avec une grande capacité d’engagement. Mais ensuite, la force des Nations unies a perdu pas mal d’hommes, sans aller pourtant au contact, ne faisant que subir. Les désaccords tactiques avec nous se sont multipliés. L’ONU a imposé son hégémonie. Mais le nombre ne fait pas la puissance !

Mondafrique : Nous avons réussi à éviter le nettoyage ethnique, écrivez-vous dans votre livre. Vous avez même, par la suite, contribué à la réconciliation des communautés puis, à l’organisation des élections, qui se tiennent, avec un peu de retard, début 2016.

C.M. : On a enregistré un taux de participation de 75%. C’était énorme ! Dans cette élection, la France n’a pris aucune position, contrairement à certaines habitudes du passé. On a respecté de bout en bout le choix des Centrafricains. Faustin-Archange Touadéra a gagné parce que c’est un professeur d’université qui a formé énormément d’étudiants et qui a activé ses réseaux d’étudiants. La plupart des autres candidats ont surtout réussi dans leurs fiefs locaux. Touadéra n’a pas de fief. Il a fait un résultat égal à peu près partout, dominant nettement. Son intelligence est remarquable. Quant à moi, j’avais accompli ma mission. J’étais satisfait et m’apprêtais à rentrer en France.

Mondafrique : Que se passe-t-il alors ?

C.M. : Alexandre Ziegler, le directeur de cabinet de Laurent Fabius, me dit tu n’es pas africain. On va te trouver un bon poste en Europe. Et je suis nommé à Prague. A ce moment-là, lors de réunions à Paris, le cabinet Défense plaide pour le retrait de Sangaris. Moi je n’étais pas d’accord. Je pensais qu’il fallait réduire Sangaris sous la forme d’une sorte de force de réaction rapide, mais pas la supprimer.

Une fois élu Président, Faustin-Archange Touadera rencontre François Hollande et lui demande de continuer de l’aider. Hollande lui dit publiquement : « on le fera ». Mais cette promesse sera très vite oubliée, pour ne pas dire trahie. Quelques semaines plus tard, il annonce le retrait de Sangaris. Et Touadera ne comprend pas.

Hollande promet publiquement à Touadera de l’aider: « on le fera ». Mais cette promesse sera très vite oubliée

 

Mondafrique : Pourquoi le président français prend-il cette décision finalement ?

Charles.Molinas. : La crainte de l’ensablement et des causes budgétaires. Le cabinet Défense poussait très fort dans ce sens. Mais vu de Bangui, c’était une erreur. Je suis parti le 2 août, juste avant le retrait. Je le savais et je m’étais battu contre.

Mondafrique : Qu’est ce que vous imaginiez qu’il allait se passer

Charles Molinas : J’imaginais que le conflit repartirait de plus belle et que la Centrafrique allait redescendre la pente qu’elle avait patiemment remontée.

On a fait tout ça pour rien. On avait réussi quelque chose qu’on pouvait poursuivre et qu’on a abandonné par manque de vision, de stratégie.

Touadera, il veut des armes et nous, on propose de lui donner des armes prises aux rebelles somaliens lors de saisies. Or, les armes saisies doivent être détruites donc ce n’était pas possible. Au Conseil de sécurité, les Russes ont voté contre la proposition française. On a dit aux Centrafricains : « Les Russes ont voté contre, allez les voir. » Et les Russes ont offert de doter l’armée centrafricaine en armes neuves.

Mondafrique : Quelle est  la situation du pays aujourd’hui ?

La Centrafrique est dans une situation extrêmement difficile avec toujours des rebelles sur le terrain et une opposition politique bridée par une présidence qui cherche à s’installer dans la durée. Les Russes non seulement représentent une menace mais commettent des exactions, se payent sur la bête et souhaitent le faire en pétrole.  

L’idée des Russes, ce n’est pas la Centrafrique. C’est l’Afrique. Ils ont une vision stratégique de leur influence dans le monde. Ce n’est pas une vision économique, comme les Chinois.

Le sentiment antifrançais est très activé par les Russes. Il trouve une expression dans une partie de la presse centrafricaine mais ce n’est pas généralisé. Il y a des opposants à Touadera qui recherchent un soutien de la France et qui ne le trouvent pas.

Mondafrique : La France a-t-elle encore une vision de sa politique en Afrique ?

C.M. : Non, la France n’a pas de vision de sa politique en Afrique et n’a sans doute pas de vision de sa politique ailleurs.

 

[1] Un intermède centrafricain, la France en Centrafrique, 2013-2016, Charles Malinas (L’Harmattan),