La France de Macron de plus en plus marginalisée au Tchad

La France n’a peut-être pas pris la mesure de la redistribution des cartes au Tchad qui fut longtemps le bon élève de la classe sahélienne et l’alliée la plus constante des militaires français contre le djihadisme. Or le jeune président tchadien, Mahamat Idriss Déby, dit « Kaka », s’est considérablement rapproché des Émirats Arabes Unis et du Qatar, tandis que ses propres services de renseignement construisaient une relation étroite avec leurs homologues de Washington et de Tel Aviv, sans oublier la Turquie. 

Un article d’Olivier Vallée

Si Emmanuel Macron et son ancien ministre des Affaires Étrangères, Jean Yves Le Drian, l’ami des dictateurs, ont tellement soigné leurs relations avec le jeune Président tchadien, c’est pour mettre au premier plan l’alliance de la France avec un des tout derniers pays du Sahel restés sous l’influence de Paris. Du moins, Emmanuel Macron et ses proches ont défendu, ces dernières années, cette ligne de conduite qui renforçait le sentiment du peuple tchadien que Paris était engagé totalement du coté des pouvoirs en place.

Jean Yves Le Drian, l’ami des dictateurs, notamment du défunt président Déby, père de l’actuel chef de la junte officiellement élu dimanche.

Le Drian à la manœuvre 

Le ralliement total du G5 Sahel à ce coup d’état familial qui a permis à Mahamat Idriss Déby de prendre la place de son père lors de sa mort brutale en 2021, a apporté une caution africaine et sous régionale à la volonté de Paris de faire accepter le fait accompli de la prise de pouvoir par les militaires tchadiens là où habituellement la France et le reste de la communauté internationale exigeaient le retour à l’ordre constitutionnel.  

Par la voie de Joseph Borell, son chef de la diplomatie, l’Union européenne s’est aussi rangée du côté de la position de la France et du G5 Sahel. Même le délai de la transition fixé unilatéralement par les militaires à 18 mois renouvelables une fois n’a pas troublé « la communauté internationale ». L’exception tchadienne étant devenue la thèse la plus partagée.  Mais pour ne pas paraître avoir pris fait et cause pour Mahamat Idriss Déby Itno et le CMT sans nuance, Paris a obtenu des autorités de fait à N’Djamena d’accepter un partage de pouvoir avec les civils.

Macron a également plaidé auprès du fils de Déby qu’il a rencontré de nombreuses fos l’idée d’un dialogue politique inclusif déjà avancé par les militaires eux-mêmes dans leur toute première déclaration. On doit à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, la position de la France, devenue celle du G5 Sahel, de l’Union africaine, de l’Union européenne, de privilégier la stabilité du Tchad, y compris en s’accommodant d’un coup d’Etat, à la défense du respect de la Constitution. Le chef de la diplomatie française, présent aux côtés de Macron aux obsèques était un ami personnel de Déby père qui a forcément dû côtoyer le fils lors de ses voyages au Tchad d’abord en tant que ministre de la défense de François Hollande pendant cinq ans et ensuite comme ministre des Affaires étrangères depuis l’arrivée de l’actuel président français à l’Elysée. 

De nombreuses couleuvres

Ces derniers mois, les couleuvres ont été nombreuses à avaler pour la diplomatie française: la proximité de Mahamat Idriss Déby avec la junte nigérienne dont le leader tchadien connait bien le Premier ministre, qui lui est apparenté; les relations qui se renforcent avec les Émirats et le Qatar; la non appartenance du Tchad à la CEDEAO, ce qui limite l’influence régionale du Tchad; et encore l’opposition grandissante de la population à la présence militaire française.

N’djamena n’entend plus apparaitre comme le bras armé des services français (DGSE), dont l’antenne tchadienne est la plus importante que l’armée française possède en Afrique, après que les camps d’entrainement du Burkina Faso aient été fermés.

Les Émirats, allié privilégié

Mahamat Idriss Deby, dit « Kaka », est à présent dans l’orbite des EAU de MBZ. En témoigne l’accord de coopération militaire signé en juin 2023 par président du Conseil Militaire de la Transition. Cet accord s’est vite traduit en aout 2023 par la remise de véhicules et d’équipements militaires au Tchad. A cette occasion,  le dispositif global du hub sécuritaire tchadien s’est construit à Ndjamena dans une grande autonomie par rapport aux militaires français Rashid Al Shamsi, l’ambassadeur des EAU a transféré les dons de son gouvernement au Lieutenant Général Daoud Yahya Brahim, ministre de la défense du Tchad, qui était accompagné du chef d’État-major et du chef des forces de réserve du Tchad, forces de réserve qui ne sont que rarement mentionnées.

Les liens des EAU avec le Tchad préexistaient au règne de Kaka. De 2015 à 2019 le commerce entre les deux pays est passé de 177 millions à 412 millions de dollars. Dès 2017 le ministre de l’économie des EAU, Sultan bin Saeed Al Mansour, déclarait que le Tchad était un site d’investissements pour les groupes et des fonds du Golfe. Tout cela s’inscrit dans le rapprochement que l’Agence Nationale de Sécurité  a entrepris avec le Mossad qui souhaitait que le Tchad reconnaisse Israel.
En attendant, Israel a fourni un matériel d’écoutes qui n’épargne pas les Français. Et le Tchad a ouvert une ambassade en Israel.
Le Qatar à la manoeuvre
La survie du Président tchadien dépends pour beaucoup désormais de la solidité de ses liens avec les monarchies du Golfe, les Émirats en tète, mais sans oublier le Qatar. Plus d’un an après l’accord de paix signé en août 2022 à Doha rentre le gouvernement de transition et la majorité des groupes politico-militaires, les autorités tchadiennes lancent enfin le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Soit un énorme chantier en termes d’identification, de collecte des armes et de réinsertion d’une population plus ou moins rebelle,  des nomades ou des déracinés pour beaucoup.

Le plus important des groupes armés tchadiens, le Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), est dirigé par Mahamat Mahdi Ali, dont l’offensive fut à l’origine du décès d’Idriss Déby Itno, non loin de la ville de Mao. Le FACT fait partie d’une myriade de groupes rebelles plus ou moins rivaux qui, suite à l’apaisement tchado-soudanais en 2010, ont déplacé leurs bases arrière du Darfour vers le sud libyen. Depuis l’accord de Doha, le FACT avait respecté un cessez le feu qu’il a dénoncé suite à l’attaque d’une de ses bases. 
Le Qatar, qui a beaucoup aidé à rapprocher les groupes combattants  avec le pouvoir tchadien, est fatigué de mettre la main à la poche. Les diplomates de Doha, mobilisés par pas mois de trois ministres en charge de l’Afrique, sont  parfois déçus de voir les Tchadiens si proches de leurs frères ennemis émiratis et du Mossad israélien.


Les éxigences tchadiennes face à Paris

Le 12 octobre 2023, « le Rassemblement des Jeunes Africains » (RAJ) avait appelé à une marche de protestation devant le Camp Kossei, non loin de la base aérienne. Le message était clair: l’arrivée des forces françaises en provenance du Niger n’était pas bienvenue. Le pouvoir tchadien qui ne souhaite pas ce type de désordre a su empêcher toute fuite sur les réseaux sociaux. C’est le chef de poste de la DGSE, sous l’insistance de Kaka, qui a négocié avec la partie nigérienne le départ vers le Tchad du contingent français isolé dans la base 101 de Niamey. Une partie serrée.

A présent le bon élève tchadien exige beaucoup de la France, notamment un financement conséquent pour les milliers de combattants des groupes armés du Nord du pays qui doivent être inclus dans une paix retrouvée. C’est une question de politique intérieure, mais surtout un enjeu capital de la fin du banditisme armé à la frontière du Niger et du Tchad. Les mercenaires tchadiens, qui, en Libye, ont perdu la bataille, se sont repliés fin 2020 dans cette zone et y sévissent depuis.

Dans le même temps, le président tchadien compte bien sur Paris pour l’aider à gérer la fin de la transition sans mettre en cause le régime installé par son dictateur de père. C’est au président Macron, pense-t-on dans les allées du pouvoir à N’Djamena, de blanchir la pseudo démocratie d’opérette qui s’est imposée au Tchad. Ce qui après le scrutin contesté de dimanche dernier ne va pas être une partie de plaisir.
Le rôle peu enviable ainsi dévolu à Paris mine toute tentative de la France de refonder sa politique africaine sur des bases respectueuses de la volonté populaire.

La France piégée par Mahamat Idriss Deby 

 

de prendre la place de son père lors de sa mort brutale en 2021 sans coup férira apporté une caution africaine et sous régionale à la volonté de Paris de faire accepter le fait accompli de la prise de pouvoir par les militaires tchadiens là où habituellement la France et le reste de la communauté internationale exigeaient le retour à l’ordre constitutionnel.  

Par la voie de Joseph Borell, son chef de la diplomatie, l’Union européenne s’est aussi rangée du côté de la position de la France et du G5 Sahel. Même le délai de la transition fixé unilatéralement par les militaires à 18 mois renouvelables une fois n’a pas troublé « la communauté internationale ». L’exception tchadienne étant devenue la thèse la plus partagée.  Mais pour ne pas paraître avoir pris fait et cause pour Mahamat Idriss Déby Itno et le CMT sans nuance, Paris a obtenu des autorités de fait à N’Djamena d’accepter un partage de pouvoir avec les civils.

Macron a également plaidé auprès du fils de Déby qu’il a rencontré de nombreuses fos l’idée d’un dialogue politique inclusif déjà avancé par les militaires eux-mêmes dans leur toute première déclaration. On doit à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, la position de la France, devenue celle du G5 Sahel, de l’Union africaine, de l’Union européenne, de privilégier la stabilité du Tchad, y compris en s’accommodant d’un coup d’Etat, à la défense du respect de la Constitution. Le chef de la diplomatie française, présent aux côtés de Macron aux obsèques était un ami personnel de Déby père qui a forcément dû côtoyer le fils lors de ses voyages au Tchad d’abord en tant que ministre de la défense de François Hollande pendant cinq ans et ensuite comme ministre des Affaires étrangères depuis l’arrivée de l’actuel président français à l’Elysée. 

Les couleuvres pourtant ont été nombreuses à avaler pour la diplomatie française: la proximité de Mahamat Idriss Déby avec la junte nigérienne dont le leader tchadien connait bien le Premier ministre, qui lui est apparenté; les relations qui se renforcent avec les Émirats et le Qatar; la non appartenance du Tchad à la CEDEAO, ce qui limite l’influence régionale du Tchad; et encore l’opposition grandissante de la population à la présence militaire française.

N’djamena n’entend plus apparaitre comme le bras armé des services français (DGSE), dont l’antenne tchadienne est la plus importante que l’armée française possède en Afrique, après que les camps d’entrainement du Burkina Faso aient été fermés.

Les Émirats, allié privilégié

Mahamat Idriss Deby, dit « Kaka », est à présent dans l’orbite des EAU de MBZ. En témoigne l’accord de coopération militaire signé en juin 2023 par président du Conseil Militaire de la Transition. Cet accord s’est vite traduit en aout 2023 par la remise de véhicules et d’équipements militaires au Tchad. A cette occasion,  le dispositif global du hub sécuritaire tchadien s’est construit à Ndjamena dans une grande autonomie par rapport aux militaires français Rashid Al Shamsi, l’ambassadeur des EAU a transféré les dons de son gouvernement au Lieutenant Général Daoud Yahya Brahim, ministre de la défense du Tchad, qui était accompagné du chef d’État-major et du chef des forces de réserve du Tchad, forces de réserve qui ne sont que rarement mentionnées.

Les liens des EAU avec le Tchad préexistaient au règne de Kaka. De 2015 à 2019 le commerce entre les deux pays est passé de 177 millions à 412 millions de dollars. Dès 2017 le ministre de l’économie des EAU, Sultan bin Saeed Al Mansour, déclarait que le Tchad était un site d’investissements pour les groupes et des fonds du Golfe. Tout cela s’inscrit dans le rapprochement que l’Agence Nationale de Sécurité  a entrepris avec le Mossad qui souhaitait que le Tchad reconnaisse Israel.
En attendant, Israel a fourni un matériel d’écoutes qui n’épargne pas les Français. Et le Tchad a ouvert une ambassade en Israel.
Le Qatar à la manoeuvre
La survie du Président tchadien dépends pour beaucoup désormais de la solidité de ses liens avec les monarchies du Golfe, les Émirats en tète, mais sans oublier le Qatar. Plus d’un an après l’accord de paix signé en août 2022 à Doha rentre le gouvernement de transition et la majorité des groupes politico-militaires, les autorités tchadiennes lancent enfin le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Soit un énorme chantier en termes d’identification, de collecte des armes et de réinsertion d’une population plus ou moins rebelle,  des nomades ou des déracinés pour beaucoup.

Le plus important des groupes armés tchadiens, le Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), est dirigé par Mahamat Mahdi Ali, dont l’offensive fut à l’origine du décès d’Idriss Déby Itno, non loin de la ville de Mao. Le FACT fait partie d’une myriade de groupes rebelles plus ou moins rivaux qui, suite à l’apaisement tchado-soudanais en 2010, ont déplacé leurs bases arrière du Darfour vers le sud libyen. Depuis l’accord de Doha, le FACT avait respecté un cessez le feu qu’il a dénoncé suite à l’attaque d’une de ses bases. 
Le Qatar, qui a beaucoup aidé à rapprocher les groupes combattants  avec le pouvoir tchadien, est fatigué de mettre la main à la poche. Les diplomates de Doha, mobilisés par pas mois de trois ministres en charge de l’Afrique, sont  parfois déçus de voir les Tchadiens si proches de leurs frères ennemis émiratis et du Mossad israélien.

Les éxigences tchadiennes face à Paris

Le 12 octobre 2023, « le Rassemblement des Jeunes Africains » (RAJ) avait appelé à une marche de protestation devant le Camp Kossei, non loin de la base aérienne. Le message était clair: l’arrivée des forces françaises en provenance du Niger n’était pas bienvenue. Le pouvoir tchadien qui ne souhaite pas ce type de désordre a su empêcher toute fuite sur les réseaux sociaux. C’est le chef de poste de la DGSE, sous l’insistance de Kaka, qui a négocié avec la partie nigérienne le départ vers le Tchad du contingent français isolé dans la base 101 de Niamey. Une partie serrée.

A présent le bon élève tchadien exige beaucoup de la France, notamment un financement conséquent pour les milliers de combattants des groupes armés du Nord du pays qui doivent être inclus dans une paix retrouvée. C’est une question de politique intérieure, mais surtout un enjeu capital de la fin du banditisme armé à la frontière du Niger et du Tchad. Les mercenaires tchadiens, qui, en Libye, ont perdu la bataille, se sont repliés fin 2020 dans cette zone et y sévissent depuis.

Dans le même temps, le président tchadien compte bien sur Paris pour l’aider à gérer la fin de la transition sans mettre en cause le régime installé par son dictateur de père. C’est au président Macron, pense-t-on dans les allées du pouvoir à N’Djamena, de blanchir la pseudo démocratie d’opérette qui s’est imposée au Tchad. Ce qui après le scrutin contesté de dimanche dernier ne va pas être une partie de plaisir.

Le rôle peu enviable ainsi dévolu à Paris mine toute tentative de la France de refonder sa politique africaine.

La France piégée par Mahamat Idriss Deby