Notre série sur la Syrie (2), la réhabilitation internationale du président Assad

L’accueil très chaleureux qu’ont réservé les Chinois au Président Assad, qui est venu, ce vendredi avec son épouse, participer à l’ouverture des jeux asiatiques, montre à quel point le régime syrien,  dont l’image était totalement dégradée en raison d’une répression sanglante contre son peuple, est en train de sortir de son isolement international. Outre Pékin qui voit dans le régime syrien un pion utile dans sa stratégie moyen-orientale, des puissances régionales comme la Turquie et l’Arabie Séoudite, adversaires traditionnels de la Syrie, tentent de trouver une normalisation de leurs relations avec Damas. Ce processus n’est pas gagné d’avance! 

À l’occasion de sa première visite en près de vingt ans dans l’Empire du milieu, le président syrien, Bachar al-Assad, a rencontré son homologue chinois, Xi Jinping. Ce dernier a annoncé, vendredi, un « partenariat stratégique » entre les deux pays.

Dès le début de la guerre en Syrie, Ankara avait pris fait et cause pour la rébellion sunnite syrienne. La Turquie a ainsi accueilli les cadres de l’Armée syrienne libre (ASL) et de l’opposition civile. Ce qui avait naturellement provoqué l’hostilité de Damas. Depuis, le président Erdogan a pris ses distances avec les forces djihadistes. Dans un deuxième temps, l’irrédentisme kurde qui avait transformé le Nord de la Syrie en base arrière avait amené l’armée turque  lancer quatre opérations militaires dans le nord de la Syrie entre 2016 et 2020. Autant de positions du Président Ankara qui expliquent les très mauvaises relations qu’entretenaient les deux pays. 

La main tendue d’Erdogan

Aujourd’hui, la volonté d’Ankara de renouer avec Damas par l’intermédiaire de Moscou, bute sur le refus de Bashar al Assad d’accepter l’occupation d’une partie de son territoire par la Turquie. Par l’intermédiaire d’une milice djihadiste appelée « Armée nationale syrienne » (ANS), composée d’anciens de l’Etat islamique et de volontaires syriens, la Turquie a organisé une zone tampon entre les Kurdes du Rojava syrien et les Kurdes de Turquie. Elle ne dédaigne pas de compléter cette occupation du territoire syrien par des bombardements aériens quand le besoin s’en fait sentir.

Le 9 aout 2023, Bashar al Assad a refusé toute rencontre avec le président turc Tayyip Erdogan tant que les troupes d’Ankara occuperaient le nord-ouest de la Syrie. « Notre objectif est le retrait (de la Turquie) du territoire syrien, tandis que l’objectif d’Erdogan est de légitimer la présence de l’occupation turque en Syrie », a déclaré Assad à l’agence Reuters. « Par conséquent, la réunion ne peut pas avoir lieu dans les conditions d’Erdogan. » « Pourquoi Erdogan et moi nous rencontrerions-nous ? Pour boire un coup ? »

En juillet, Erdogan avait déclaré qu’il était prêt à rencontrer Assad mais pas à changer de politique. « La porte est ouverte … Assad veut que la Turquie quitte le nord de la Syrie. C’est hors de question. Nous combattons le terrorisme là-bas », a riposté le président turc. Le président syrien a clairement indiqué qu’aucune réunion n’aurait lieu dans les circonstances actuelles. « Aucune condition préalable signifie une réunion sans ordre du jour, a-t-il déclaré. Aucun ordre du jour signifie aucune préparation ; pas de préparation signifie aucun résultat, alors pourquoi Erdogan et moi nous rencontrerions-nous ? »

Après les propos de Bachar al-Assad sur un retrait impératif des forces turques pour initier une normalisation des relations bilatérales, le ministre turc de la Défense Yasar Guler a rejeté la demande syrienne.  « La Turquie veut sincèrement la paix mais nous avons aussi des sensibilités. Il est impensable pour nous de nous retirer sans assurer la sécurité de nos frontières et de notre peuple», a-t-il déclaré à la télévision nationale le 13 août.Outre l’occupation du nord de la Syrie, la Turquie a un autre sujet de discussion avec Assad : les réfugiés.  La Turquie accueille environ 3,6 millions de réfugiés syriens, ce qui déclenche des attitudes xénophobes au sein de la population turque. 

Le prince héritier Mohammed ben Salmane accueille Bachar al-Assad pour son retour au sein de la Ligue arabe. Mais il attend des contreparties de la part de la Syrie. Jeddah, 19 mai 2023.

MBS à la manoeuvre

Après avoir dépensé des dizaines de millions de dollars à soutenir des milices arabes sunnistes– et le plus souvent djihadistes – en Syrie contre l’Iran et le Hezbollah, l’Arabie saoudite a souhaité au printemps derneir que Damas réintègre la Ligue arabe. Son objectif reste de convaincre le président Assad de s’éloigner de ses alliés iraniens. L’Arabie Saoudite est consciente de la supériorité militaire de l’Iran qui est de plus associé en Syrie à la Russie. Elle sait aussi que la présence de l’Iran en Syrie fait obstacle à son grand projet d’union régionale arabe auquel Israel serait associé.

N’ayant pas les moyens d’éjecter les Iraniens par la force, l’Arabie tente de convaincre Assad de le faire à sa place. En d’autres termes, elle a entrepris de convaincre Assad que certes l’Iran et la Russie ont sauvé la mise de son régime, certes encore l’Iran et la Russie ont financé l’administration syrienne et son armée, et surtout, l’Iran et la Russie ont aidé la famille Assad a retrouver le contrôle de 90% de son territoire. Mais pour les Saoudiens, tout cela appartient au passé : l’avenir, la paix, la prospérité sont du côté arabe. Une chose est sure en effet, ni l’Iran ni la Russie ne dépenseront un dollar pour reconstruire le pays et lui donner un avenir. Les Etats pétroliers du Golfe en revanche… ont les moyens d’investir dans l’économie syrienne.

Mohamed Ben Salmane, prince régnant d’Arabie a donc commencé un travail de longue haleine qui consiste à convaincre le despote syrien qu’il doit redessiner ses priorités diplomatiques. Les deux parties vont devoir démontrer leur volonté réciproque de surmonter les obstacles nombreux sur ce processus de normalisation, notamment au Liban, terre d’influence pour les deux pays. Les choix MBS et Assad sont très éloignés sur le candidat idéal pour l’actuelle élection présidentielle qui se joue au pays du Cèdre depuis presque un an.

Sleimane Frangié, ami d’enfance du Président Assad, est soutenu par le Hezbollah et n’est pas franchement le candidat favori des Séoudiens pur la Présidentielle.libanaise

 

Le Liban, pierre d’achoppement 

Pour l’Arabie Saoudite, le régime syrien devrait tout d’abord donner un gage de bonne volonté en respectant la décision du Tribunal international sur l’assassinat de Rafic Hariri. Le 18 août 2020, le Tribunal Spécial pour le Liban a rendu son verdict dans le procès des auteurs présumés de l’attaque à la voiture piégée qui a visé, le 14 février 2005, le convoi de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, provoquant sa mort et celle de 21 autres personnes. Dans leur jugement (que beaucoup de commentateurs à l’époque ont jugé timoré), les juges de la chambre de première instance ont reconnu à l’unanimité la culpabilité de Salim Ayyash, membre du Hezbollah. Ils ont acquitté trois autres membres de l’organisation chiite, et ont indiqué n’avoir aucune preuve de l’implication du leadership du Hezbollah ou du régime syrien dans cette attaque et n’avoir pas non plus de preuve suffisante de l’implication de l’ancien accusé, Mustapha Badreddine, haut responsable du Hezbollah tué en Syrie en 2016.   

Un engagement de la Syrie contre Salim Ayyash serait pour l’Arabie Saoudite un premier geste qui serait apprécié à sa juste valeur.

L’Arabie saoudite et la Syrie doivent aussi se donner les moyens d’agir ensemble pour contrôler la situation intérieure dans les arènes libanaise et irakienne, de résoudre les crises et de désamorcer les conflits. Cela conduira les deux parties à redéfinir leurs politiques régionales conformément aux intérêts arabes. 

Ce calibrage ne sera pas une tâche facile au cours de l’étape à venir et nécessitera du temps et de la confiance entre les deux parties pour poursuivre le dialogue et échanger des informations sur des questions coopératives et litigieuses. 

La vraie difficulté de ce processus est bien entendu militaire. La Syrie a certes récupéré 90% de son territoire, mais des pans entiers de ces 90% sont sous le contrôle russe ou iranien. La Russie contrôle elle-même directement des pans entiers de ce que l’on appelle la « Syrie utile ». Ces zones ont une grande valeur stratégique non seulement en raison de leur situation sur la bande côtière et le long des régions frontalières, mais aussi en raison de leur abondance de ressources telles que le phosphate et le gaz. Ces zones sous contrôle russe comprennent des quartiers de Damas et de sa campagne, mais aussi des villes comme Homs, Lattaquié et Tartous. 

Il existait depuis longtemps un désaccord russo-iranien sur les zones d’influence en Syrie qui est passé au second plan quand les Russes et les Iraniens ont commencé à coopérer dans la guerre russo-ukrainienne. Certaines zones du nord de la Syrie sont sous contrôle turc tandis que d’autres restent sous le contrôle du régime syrien. En outre, certaines parties d’Idlib continuent d’être contrôlées par l’opposition syrienne.

Joe Biden fait de la résistance

Les sanctions américianes représentent l’obstacle le plus sérieux à l’avancement des relations saoudo-syriennes, en particulier dans les domaines économique et commercial. Washington s’oppose fermement à la normalisation des relations avec le régime syrien et le justifie en pointant l’absence d’avancées réelles et durables vers une solution politique conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité, un projet de résolution américain adopté en décembre 2015. La résolution prévoit d’autoriser l’aide humanitaire à atteindre les zones assiégées, la mise en place d’un gouvernement de transition et la tenue d’élections libres sous la supervision de l’ONU. 

Washington justifie également sa position de rejet sur la normalisation avec Damas qui n’a pas répondu aux appels internationaux pour libérer les prisonniers politiques, permettre le retour en toute sécurité des réfugiés, poursuivre les auteurs de crimes de guerre en Syrie et traduire les responsables en justice.

Washington a imposé des sanctions à la Syrie en vertu du Caesar Act, que l’ancien président américain Donald Trump a promulgué le 20 décembre 2020, pour cinq ans après la date de promulgation. Il prévoit l’imposition de sanctions à tout gouvernement, entreprise ou individu qui traite directement ou indirectement avec le régime syrien. La loi permet également aux États-Unis d’imposer des sanctions à tout gouvernement, entreprise ou individu qui traite avec le régime syrien dans quatre secteurs vitaux : l’énergie, l’aviation, la finance, la banque, la construction et l’ingénierie.

Ce qui rend la coopération saoudienne avec la Syrie sur des projets de reconstruction très acrobatique.

Notre série sur la Syrie (1), un pays en ruines