Ahmadou Ahidjo, Mobutu Sesse Seko, Pierre Buyoya et Hissène Habré : ils ont en commun d’avoir dirigé leur pays avant de s’éteindre à l’étranger. Leurs dépouilles mortelles qui n’ont jamais pu être rapatriées reposent à Dakar, Rabat et Bamako, en attendant que leurs successeurs consentent à leur offrir des sépultures dignes des fonctions qu’ils ont occupées.
Germaine Ahidjo n’aura pas eu le temps de réaliser son rêve le plus cher : la veuve de Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, est décédé en avril 2021 à Dakar sans avoir pu rapatrier la dépouille mortelle de son mari, lui-même mort dans la capitale sénégalaise en 1989. L’ex-président et sa veuve reposent désormais au cimetière de Yoff, en banlieue de Dakar. Faute d’accord entre la famille Ahidjo et le régime du président Paul Biya, qui lui a succédé en 1982 après avoir été son Premier ministre de 1975 à 1982, le corps de l’ex-chef de l’Etat n’a jamais pu être ramené dans son pays pour être inhumé dans sa terre natale.
Pour la famille Ahidjo, sa dépouille ne peut être rapatriée qu’à la condition qu’on lui réserve les obsèques dignes de son rang de président du Cameroun de 1960 à 1982. A Yaoundé, on ne voit pas les choses de la même manière, assurant que le corps d’Ahmadou Ahidjo peut être ramené et enterré comme celui d’un citoyen ordinaire. Derrière cette querelle, qui peut paraître protocolaire, se cache la rupture totale qui s’est produite entre Paul Biya et son prédécesseur : accusé d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de 1984, Ahmadou Ahidjo a été condamné à mort avant de voir cette peine commuée en prison à vie. Même la mort n’a pas suffi à réconcilier Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. Le rapatriement de la dépouille d’Ahidjo sera, sans doute, un des dossiers dont aura à s’occuper un jour le successeur de Biya, âgé de 90 ans.
Le corps de Mobutu à Rabat
Resté très longtemps au pouvoir en République démocratique du Congo (RDC, à l’époque Zaïre), Mobutu Sesse Seko est mort en septembre 1997 à Rabat, au Maroc. Il avait été chassé du pouvoir en mai 1997 par la rébellion armée conduite par Laurent-Désiré Kabila soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Bien qu’il ait servi sans réserve l’Occident pendant ses années au pouvoir, Mobutu s’est vu refuser l’accueil par la Belgique et la France, après sa chute. Seul le Maroc du roi Hassan II avait accepté « pour des raisons humanitaires » de l’accueillir pour soigner son cancer de la prostate. Le mal qui le minait a fini par l’emporter à 66 ans.
Son tombeur n’ayant rien voulu entendre parler du rapatriement de l’homme qui fut pendant 32 ans le président de la RDC, le corps de Mubutu repose depuis 1997 au cimetière européen de Rabat. En 2013, Joseph Kabila, qui a succédé à son père Laurent-Désiré Kabila, assassiné en 2001, avait promis le rapatriement du corps de son prédécesseur. Il a dû reculer face aux risques politiques que présentait une telle initiative. Après son élection en 2018, le nouveau président Etienne Tshisekedi avait pris le même engagement. Près des cinq ans plus tard, il ne l’a toujours pas tenu, au motif que les esprits ne sont toujours pas mûrs pour le retour de la dépouille mortelle de l’homme qui a établi le record de longévité à la tête du Congo. En attendant, la sépulture discrète de Mobutu dans le cimetière européen de Rabat est devenue le lieu de passage obligé pour les Congolais établis au Maroc ou leurs compatriotes de passage dans la capitale marocaine.
Le Burundais Buyoya repose à Bamako
Des raisons différentes bloquent le retour au pays de la dépouille mortelle de l’ex-président burundais Pierre Buyoya. Ancien chef d’état-major de l’armée, Buyoya a dirigé par deux fois le Burundi : de 1987 à 1993 et de 1996 à 2003. Après avoir remis le pouvoir à un successeur démocratiquement élu, l’ex-président s’était reconverti dans la diplomatie, en mettant ses talents de négociateur d’accords de paix au service de l’Union africaine. L’organisation panafricaine l’avait ainsi nommé en 2012 Haut Représentant pour le Sahel à la tête de sa mission ad hoc pour la région (MISAHEl). Il était ensuite devenu « le meilleur et principal » opposant de Pierre N’Kurunziza, un ex-rebelle, devenu en 2015 son successeur à la tête du Burundi.
Suite à des poursuites engagées sous forme de règlement de compte contre lui pour l’assassinat en 1993 de l’ancien président Melchior Ndadayé, Pierre Buyoya a été condamné en 2020 à la prison à vie. Une condamnation assortie d’un mandat d’arrêt international. Bien qu’il ait jugé cette condamnation « politique et injustifiée », Pierre Buyoya a dû démissionner de son poste de Haut-Représentant de l’Union africaine en octobre 2020. Il décède à 71 ans moins de trois mois après en décembre 2020 à Paris, emporté par le Covid-19. Après son décès en France, la dépouille mortelle de l’ex-président a été rapatriée non pas dans son pays Burundi natal mais à Bamako au Mali où il vivait en tant que Haut-Représentant de l’Union africaine au Sahel. Malgré le décès du président Nkurunziza, il y a peu de chances que le corps de Pierre Buyoya soit ramené de sitôt au Burundi. De son vivant, l’ex-président entretenait des relations exécrables avec l’actuel pouvoir burundais.
Hissène Habré, le malchanceux
De tous les quatre présidents africains dont les dépouilles mortelles sont en souffrance à l’étranger, celui qui aura eu le moins de chance est bien le Tchadien Hissène Habré. L’ex-président, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, est mort en détention au Sénégal où il a vécu en exil après son renversement par le président Idriss Deby Itno en décembre 1990.
A l’issue des poursuites pour « crimes contre l’humanité et crimes de tortures », Hissène Habré a été condamné à la prison à vie en 2016 par les Chambres africaines, une juridiction spéciale mise en place par l’Union africaine. L’ancien président tchadien est mort en août 2021 à Dakar des suites d’une infection au Covid-19. Faute d’avoir obtenu que la dépouille mortelle d’Hissène Habré soit rapatriée et inhumée avec des obsèques officielles, sa veuve Fatimé Raymond Habré a préféré qu’il repose désormais au cimetière dakarois de Yoff.
Après le décès de son lointain prédécesseur, l’actuel président tchadien Mahamat Idriss Deby a certes présenté ses condoléances et fait part de sa tristesse à la famille Habré, mais il n’est pas allé bien plus loin pour permettre le rapatriement de sa dépouille mortelle. Les esprits sont encore chauffés à blanc au Tchad pour accepter le retour de celui qui est accusé d’être derrière la mort de près de 40.000 Tchadiens. Même mort, Hissène Habré continue de faire peur à ses compatriotes.
De Kinshasa à N’Djamena en passant par Yaoundé et Bujumbura, des fantômes d’anciens présidents hantent les palais présidentiels, empêchant que leurs dépouilles soient rapatriées et mises en terre dans leur pays natal.
Francis Sahel