Malgré l’abolition de l’apartheid en 1994 et la constitution progressiste de 1996, les personnes noires LGBTQI demeurent cibles de violence et de préjugés en Afrique du Sud. C’est contre ces discriminations que l’artiste Queer Zanele Muholi (né-e à Durban en 1972) déploie son énergie à travers une œuvre photographique percutante et magnifique.
Une chronique de Sandra Joxe
« Activiste visuel-le », elle (ou il ? ou iel ?.) utilise l’appareil photo comme une arme contre les injustices pour donner de la visibilité à la communauté Queer noire dans toute cette diversité.
Privilégiant une approche collaborative Muholi considère les personnes photographiées comme des participantes actives de l’œuvre et non comme des sujets passifs – d’où les mises en scène travaillées mais aussi les interviews filmées, articles de presse et autre documents passionnants qui permettent d’entendre des voix trop souvent étouffées, de découvrir des personnalités trop souvent caricaturées.
Mais l’intention militante revendiquée n’épuise pas la démarche artistique de Muholi, au contraire, elle la transcende. A traverssa galerie de portraits – souvent regard caméra, ce qui renforce leur intensité – ou d’autoportraits (pas toujours complaisants) – la photographe met à nu l’intimité d’une communauté doublement ostracisée.
Jeunes ou moins jeunes, gros, maigres, homme, femmes, transgenre… peu importe : tous les protagonistes sont d’une élégance renversante, d’une noblesse mise en valeur par le sens du cadrage et la beauté plastique des – d’un Noir & Blanc somptueux.
Les visages et les corps sont noirs ébène tandis que les cornées et les dents sont d’une blancheur éclatante : rarement la photographie « en Noir & Blanc » se révèle aussi appropriée à ses sujets, d’autant que le contraste ne réside pas seulement dans le clair-obscur des tirages photographiques, mais aussi dans les expressions saisies sur vif : un douloureux mélange de fierté et de souffrance émane de ces visages qui semblent si familiers à la photographe .
Zanele Muholi accentue le contraste de ses portraits ou autoportraits en exagérant la noirceur de la peau pour en faire valoir la beauté : « je reconquiers ma Blackness qui est continuellement sujette aux interprétations d’un.e autre privilégié.e »
Les titres des photos sont en zoulou – sa langue maternelle et l’une des onze langue officielle de l’Afrique du Sud – ainsi l’artiste (non binaire) réaffirme ainsi une identité ethnique dont il (ou elle) est fier.e.
Tendresse et violence
Chaque photo raconte une histoire : une histoire personnelle mais aussi l’histoire d’une communauté, d’une ethnie, d’un peuple.
Les commentaires permettent aux visiteurs profanes (que pour la plupart nous sommes), de réaliser à quel point ces photos tricotent avec subtilité des éléments d’ultra-modernité et des références aux traditions tribales : tatouages, bijoux, coiffures, récupération des objets de la vie quotidienne à des fins décoratives…
Pour exemple cet autoportrait « aux pinces à linge » qui ne prend tout son sens que lorsque l’on apprend que Zahene Muholi rend ici hommage à sa mère, prénommée Bester, jeune veuve et mère de 8 enfants,morte en 2009, et qui a travaillé pendant 40 ans chez des blancs comme employée de maison pour subvenir aux besoin de sa progéniture : sous le régime de l’apartheid les domestiques noirs hyper-exploités n’avaient ni statut ni contrat : seulement un paquet de pinces à linge – ici disposées en coiffure couronne dans les cheveux de l’artiste…
« Salut à toi, lionne noire »
La série des autoportraits s’intitule « Somnyama Ngonyama » ce qui signifie en Zoulou « Salut à toi, lionne noire » et c’est ainsi que Muholi transforme toute une ribambelle d’objets de la vie quotidienne en « parures » : éponge en inox, gants de ménage en latex, épingle à nourrice etc.
L’artiste propose aussi des scènes de genre, les moments d’intimité positive et tendre d’une communauté marginalisée : autant de témoignages sur la vie des victimes de crime et d’agressions homophobe. Zuholi n’hésite pas à photographie la tristesse des regards, la peur ou la colère, la douleur voire les cicatrices laissées dans les corps – mais elle n’oublie jamais la sensualité et les instants de bonheur partagés. Plusieurs coupes, de ses connaissances et amis, sont ainsi immortalisés par l’objectif de l’artiste.
Militante, la photographe s’est toujours attachée à rendre hommage au courage des personnalités Transgenre et au concours de beauté qui chaque année leur permet de s’affirmer ainsi que de remettre en question l’image idéalisée de « la femme », de proposer une nouvelle esthétique des corps..
Malgré la gravité des enjeux revendiqués – le racisme, l’homophobie, la violence encore et toujours – Zanele Muholi a l’immense talent de regarder le monde avec humour, amour et poésie.