C’est Houka Houka qui, au nom de la charia, avait ordonné à Tombouctou en 2012, des lapidations et des flagellations. Le même affilié à Aqmi, avait procédé à des mariages forcés qui ont abouti à une forme d’esclavage sexuelle. La junte militaire au pouvoir au Mali vient de le décorer en le réhabilitant de tous les mauvais traitements qu’il avait fait subur à la population du Nord du Mali
Un article de David Poteaux
« C’est une insulte à toutes ses victimes, et c’est un message clair envoyé à tous les bourreaux : ils ne craignent rien ! » M. est un militant des droits de l’Homme au Mali. Comme nombre de ses camarades de lutte, il est scandalisé par l’impunité qui règne dans son pays. Mais quand il a appris que l’État malien venait d’honorer Houka Houka Ag Alhousseyni au cours d’une cérémonie officielle organisée à Tombouctou le 11 novembre, il n’en a pas cru ses oreilles. « Je suis habitué : voilà des années qu’aucun crime n’est puni dans ce pays, explique-t-il sous couvert d’anonymat, les voix critiques n’étant désormais plus tolérées par la junte au pouvoir. Mais là, c’est quand même vraiment honteux. On honore un responsable de crimes odieux. A-t-on déjà oublié qui est Houka Houka ? »
Durant l’occupation de Tombouctou par les groupes djihadistes Aqmi et Ansar Eddine en 2012, il était le fameux président du tribunal islamique qui faisait régner la terreur dans la ville. « Il était la caution religieuse des violences imposées par les groupes salafistes au nom de l’islam », rappelle T., un notable de Tombouctou qui a lui aussi requis l’anonymat. Un simple exécutant selon lui, mais un exécutant zélé. . Sous son règne, des femmes ont été battues pour avoir refusé de se couvrir la tête. D’autres ont été victimes d’agressions sexuelles.
Après la reconquête du nord du Mali et notamment de Tombouctou début 2013 grâce à l’intervention de l’armée française, Houka Houka s’était fait discret. Il avait finalement été arrêté en janvier 2014 par l’armée malienne. La justice en avait après lui. En juin 2014, quatorze de ses victimes présumées s’étaient constituées parties civiles dans le cadre de l’instruction ouverte à son encontre à Bamako. Mais il avait été libéré au bout de huit mois seulement, en août 2014, sans jamais avoir été jugé, dans le cadre des négociations menées alors entre le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta et les groupes armés, qui avaient abouti à l’élargissement de 42 hommes, dont certains étaient plus ou moins liés aux groupes djihadistes, en échange de 45 militaires maliens. Les défenseurs des droits humains avaient déploré cette libération. « Le juger aurait été un acte fort et à cette époque, c’était vraiment possible. Au lieu de cela, on l’a libéré en catimini », regrette M.
Une plainte de 33 victimes de violences sexuelles
Après sa libération, Houka Houka est rentré dans son village d’Ariaw, situé dans la région de Tombouctou. Il a d’abord fait profil bas, et pour cause : en mars 2015, plusieurs organisations ont déposé une plainte pour le compte de 33 victimes présumées de violences sexuelles contre des membres d’Ansar Eddine et d’Aqmi – une liste dans laquelle figurait Houka Houka. Mais petit à petit, alors que la justice semblait se désintéresser de lui, il s’est montré plus entreprenant et a fini par s’imposer comme une figure de la zone. D’abord il a retrouvé sa fonction de cadi. Dans cette zone reculée depuis longtemps négligée par l’État, il a appliqué les mêmes règles qu’à Tombouctou. Au fil des années, il est (re)devenu un notable incontournable dans une région où le pouvoir central n’a que peu de prises. À tel point que les autorités mais aussi des ONG ont fini par le solliciter. En 2017, l’État lui a demandé d’œuvrer à restaurer la sécurité dans la zone. Il a accepté, tout en demandant à être réintégré dans la fonction publique. Ainsi, en plus de dire la justice à Ariaw avec l’accord des autorités, il a dirigé l’école franco-arabe du village et a commencé à percevoir chaque mois un salaire du ministère de l’Éducation nationale. Il a en outre été régulièrement invité à participer à des forums.
En septembre 2019, le député de Goundam et septième vice-président de l’Assemblée nationale, Oumar Traoré, membre du parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali (RPM), lui a décerné une « Attestation de reconnaissance » officielle, un document dans lequel il loue son « courage ». Houka Houka dispose d’autres attestations de ce type, remises par les autorités ou des ONG au fil des années. Le 11 novembre dernier, il n’était pas seul à être honoré : à l’occasion de la première « journée nationale des légitimités traditionnelles », trente notables – des chefs de villages ou de quartier, des imams, des cadis et des prêtres – ont été honorés pour « service rendu en faveur du retour de la paix » dans la région de Tombouctou. Mais aucun n’a le CV aussi chargé que Houka Houka. Dans l’attestation qui lui a été remise, ce dernier est salué « pour son service et son dévouement continu en faveur du retour de la paix et du vivre ensemble dans la région de Tombouctou ».
Plusieurs organisations maliennes qui ont dénoncé cette distinction dans un communiqué publié le 16 novembre, rappellent que Houka Houka « est toujours poursuivi » pour des crimes imprescriptibles, notamment pour des faits de mariage forcé, d’esclavage sexuel, de viols, de tortures, d’extorsions de fonds, « constitutifs de crime de guerre et crimes contre l’humanité ». Elles ajoutent que depuis juillet 2019, Houka Houka est placé par les Nations unies sur la liste des personnes qui entravent le processus de paix au Mali. « Cette terrible décision est le dernier épisode de la spirale de l’impunité dans lequel le pays est plongé depuis au moins une décennie », déplorent ces organisations.
Le moment était d’autant plus mal choisi que quelques jours avant cette cérémonie, Houka Houka avait adressé au gouverneur de la région de Tombouctou et aux autorités scolaires une lettre intitulée « Lettre pour les conditions de réouverture des écoles », en sa qualité de cadi de Zouera. Dans ce courrier daté du 26 octobre, il exigeait notamment une stricte séparation physique entre les filles et les garçons et le port de vêtements « décents comme le veut la religion musulmane ». Soit un retour en arrière de dix ans.