Un rapport intitulé « Le secteur informel en Tunisie » rendu public en avril 2016 par le think tank tunisien « Jossour » présente une évaluation riche et détaillée du secteur économique informel et de la contrebande en Tunisie. Selon les conclusions de cette étude, ces deux catégories de l’économie, l’une légale, l’autre illégale, engendrent des pertes considérables pour l’Etat. En voici les principales caractéristiques.
Au total, l’économie informelle – qui comprend essentiellement les micro-entreprises et les petits métiers – représente 35,5% du PIB tunisien en 2012, dernière année de référence pour cette estimation. « L’informalité croit plus rapidement que le PIB » note le rapport qui rappelle qu’elle constitue un amortisseur social en période de crise mais ne contribue que faiblement à la croissance. Ce secteur constitue pourtant un vivier d’emplois important, notamment dans le secteur du bâtiment. Au total, 76,8% de l’ensemble des emplois dans le secteur du commerce intérieur relèvent du secteur informel, même s’il s’agit le plus souvent d’emplois de subsistance. Ces activités représentent par ailleurs un manque à gagner important en TVA évalué à 220 milliards de dinars.
Trafics aux frontières
La part des activités de contrebande dans le PIB s’élève quant à elle à 2,5% et représente 15 à 20% du flux interne des marchandises en Tunisie. Alors que sous l’ère Ben Ali, la contrebande progressait sous le contrôle des proches du régime, la révolution tunisienne en 2011 a entrainé une « démocratisation et une prolifération » du phénomène marqué par l’apparition de grands barons de la contrebande et une infiltration de ces réseaux par le crime organisé et le terrorisme. Le trafic de tabac reste l’un des piliers de l’économie parallèle en Tunisie. Importé illégalelement d’Algérie et de Libye, son commerce représente un tiers de la consommation nationale et engendre des pertes en recettes fiscales pour l’Etat de l’ordre de 500 millions de dinars.
Le trafic de produits pétroliers constitue un autre poids lourd de l’économie illégale. D’après une étude de la Banque Mondiale de 2013 citée par le rapport, les quantités annuelles de contrebande de produits pétroliers à travers les frontières algériennes (80 à 90% de la totalité du trafic frontalier) et les frontières libyennes (10 à 20%) seraient de l’ordre d’un milliard de litres. L’étude estime le nombre de passeurs en pickup à environ 2000. La contrebande représenterait ainsi 25% de la consommation nationale du transport routier en essence et en gasoil. Elle génererait un chiffre d’affaire annuel de l’ordre d’un milliard de dinars et des revenus annuels de l’ordre de 750 millions de dinars ventilés comme suit :
- 150 millions de dinars seraient encaissés par les petits distributeurs de détail et les petites mains d’entreposage et de distribution. Leur nombre serait de l’ordre de 25 000.
- 150 millions de dinars seraient encaissés par les transporteurs-passeurs.
- 150 millions de dinars reviendraient au réseau de financement du trafic et seraient encaissés par les courtiers
- 300 millions de dinars de revenus seraient encaissés par les barons et les grossistes des deux côtés des frontières, ce qui représente une manne financière importante concentrée entre les mains de quelques dizaines de personnes, avec des risques d’interférence avec le crime organisé et le terrorisme.
Le reste des produits de contrebande, hors tabac et produits pétroliers, représente 900 milliards de dinars de prix d’achat et provient principalement de Libye. Les différences des taxes à l’importation et les subventions donnent lieu à de grands écarts de tarifs entre la Libye et la Tunisie. L’essentiel de ces trafics passe par le poste frontière de Ras Jédir.
Au total, les revenus annuels générés par le commerce parallèle sont de l’ordre de 2 milliards de dinars dont 50% proviennent de la contrebande.