La diplomatie de la main tendue du président Recep Tayyip Erdogan

Russian President Vladimir Putin, Iranian President Ebrahim Raisi and Turkish President Tayyip Erdogan pose for a picture before a meeting of leaders from the three guarantor states of the Astana process, designed to find a peace settlement in Syria crisis, in Tehran, Iran July 19, 2022. Sputnik/Sergei Savostyanov/Pool via REUTERS ATTENTION EDITORS - THIS IMAGE WAS PROVIDED BY A THIRD PARTY.


En quelques mois à peine, Recep Tayyip Erdogan a participé à de nombreuses rencontres avec des chefs d’état dont il ne partage pas nécessairement les choix diplomatiques: la Russie mais aussi l’Ukraine, l’Arabie Saoudite et l’Égypte, Israël, le Niger ou l’Algérie et demain sans doute, la Syrie. Le président turc cherche à se positionner comme un interlocuteur consensuel et incontournable, capable de peser sur les équilibres régionaux, voire mondiaux. 

n visite en Ukraine avec le secrétaire général de l’ONU António Guterres, le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé de nouveau son soutien à Kiev et a exprimé son inquiétude face à la situation dans la centrale nucléaire de Zaporijia

Le dossier ukrainien a permis au Président Erdogan, victime de son franc parler notamment dans ses relations houleuses avec le président français Emmanuel Macron, de se révéler en « faiseur de paix » et  en négociateur hors pair. La Turquie est le seul pays qui est parvenu à entretenir des relations confiantes tant avec l’Ukraine qu’avec la Russie. C’est notamment sous la médiation d’Ankara et avec la bénédiction des Nations Unies que la Russie et l’Ukraine ont signé fin juillet à Istanbul un accord pour l’exportation de céréales.

Une visite historique à Ryad

On a surpris encore le président turc en visite officielle en Égypte, qui s’oppose pourtant  à Ankara en Libye par alliés interposés. On l’a vu enfin  en Arabie saoudite, un pays avec qui la Turquie était au plus mal depuis plusieurs années notamment en raison de la volonté d’Erdogan d’exercer un leadership, via l’islam, sur une partie du monde arabe. Or le président Erdogan s’était notamment rendu en Arabie saoudite en mai dernier rencontrer le roi Salmane mais aussi le prince héritier Mohammed ben Salmane. Ce qui aura été une rencontre que l’on peut qualifier d’historique.

Ces jours ci, le président turc rencontre les dirigeants israéliens, avec qui les relations étaient glaciales ces douze dernières années. L’affaire du Mavi Marmara en 2010 et de la mort d’une cinquantaine de palestiniens protestant contre le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, avaient marqué un point de non retour. Les deux pays ont convenu mercredi 17 août de rétablir complètement leurs relations diplomatiques, bien qu’Ankara ait rappelé sa décision de continuer de soutenir la cause palestinienne.

Les retrouvailles entre la Turquie et Israel

À un an de la présidentielle

Cette stratégie de l’apaisement du président turc lui offre des nouveaux partenariats diplomatiques, stratégiques, mais aussi économiques qui lui permettent d’aborder avec un rapport de force plus favorable face à la Grèce, la question délicate du gaz en Méditerranée orientale.

Ces succès  sont un sérieux atout pour le Président turc à moins d’un an de l’élection présidentielle de juin 2023,  pour laquelle le président Erdogan  est candidat . La Turquie connait en effet une grave crise économique et une montée en flèche de l’inflation (de 79,6% en juillet 2022). Rappelons que la Turquie, malgré d’évidents penchants autoritaires, est malgré tout une démocratie où les scrutins, depuis l’arrivée au pouvoir du parti d’Erdogan, ont lieu de façon démocratique et avec des résultats parfois serrés entre les partis au pouvoir et l’opposition. Faut-il rappeler qu’un des mouvements hostiles au pouvoir est à la tète de la municipalité d’Istambul, ce qui est assez exceptionnel dans une dictature?

Des combattants du PKK multiplient les actions violentes contre les symboles de l’État en Turquie

L’épine du PKK

Le cercle vertueux que connait la diplomatie turque devra, pour se poursuivre, parvenir à un règlement d’un dossier particulièrement épineux: celui d’une présence kurde hostile à la Turquie au nord de la Syrie. La région de Kabané abrite sans l’ombre d’une contestation possible de nombreux bastion du PKK, ce parti nationaliste violent qui exige d’Ankara la création d’un Kurdistan indépendant.

Or la menace d’une offensive agitée depuis mai par le président turc se fait plus insistante que jamais. Des indices nombreux semblent indiquer que la Turquie envisage, dans les semaines qui viennent, une intervention musclée chez son voisin syrien, pour réprimer les kurdes regroupés au sein des « Unités de protection du peuple », le faux nez, semble-t-il, du PKK. Pas un jour désormais sans une attaque au drone contre la population kurde de la région de Kabané, cette ville reprise par les forces kurdes à l’organisation l’État Islamique » en 2015, avec l’appui des forces internationales emmenées alors par les Américains.

 Le projet d’Erdogan est de prolonger « la zone de sécurité » profonde de trente kilomètres que l’armée turque, aidée de supplétifs syriens, a réussi à conquérir depuis 2016 en provoquant un clash diplomatique avec notamment la France. Seul souci pour le président Erdogan, le projet provoque l’opposition de la Russie et des États Unis, qui tolèrent les attaques au drone, mais rien de plus. D »après le journal « le Monde » enfin qui reprend à son compte des chiffres de morts donnés par des ONG situées en zone kurde, « de nombreuses victimes civiles » sont tuées dans l’actuelle guerre d’usure entre la Turquie et les kurdes.

Le fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kema Ataturk

Des échanges entre Damas et Ankara

Le journal libanais « L’Orient-Le Jour » a indiqué récemment que « les deux dirigeants syrien et turc (…) pourraient s’entretenir par téléphone prochainement ». On peut imaginer que leurs échanges porteront sur ce qui est devenu l’obsession d’un Erdogan, qui a repris, sans états d’ame, l’héritage nationaliste intransigeant de Mustapha Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.

Ce printemps, la guerre acharnée menée par l’armée d’Erdogan contre le PKK a placé la Turquie en porte à faux avec ses alliés occidentaux, quand le président turc s’est opposé à l’entrée dans de l’OTAN de la Suède et de la Finlande. Le président turc n’agissait pas au nom de la Russie, mais vent debout contre l’idée que deux pays abritant les cellules dormantes du PKK puissent rejoindre une coalition dont la Turquie était membre. « Que diraient nos amis français, proteste un diplomate turc, si nous soutenions des groupes corses ou basques qui remettent en cause violemment l’intégrité territoriale de la France? »

Si le président turc décide malgré tout une offensive terrestre contre les bases du PKK au nord de la Syrie, il pourrait bien perdre le formidable bénéfice politique qu’il est en train de tirer d’une diplomatie sophistiquée. Une intervention intempestive chez son voisin syrien pourrait constituer une erreur fatale pour Recep Tayyip Erdogan.

Un peu, toutes proportions gardées, ce qu’a pu représenter comme échec  retentissant pour Poutine l’invasion scandaleuse et les bombardements massifs de l’Ukraine.

Présidentielle turque, Recep Tayyip Erdogan au pied du mur

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