Le livre incontournable de Seidik Abba, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique » et ex chroniqueur du « Monde Afrique » décrypte l’histoire de l’intervention militaire française au Sahel, qui a débuté dans l’enthousiasme pour s’achever dans un fiasco général.Près de neuf ans après la décision de François Hollande de combattre le terrorisme au Mali, nous assistons à un retrait sans gloire: des manifestations anti françaises, un ambassadeur de France expulsé sans ménagement, et une junte au pouvoir à Bamako qui coupe tous les ponts avec l’ancienne puissance coloniale et se jette dans les bras des mercenaires russes.
Malgré la forte présence militaire française, ce n’est plus seulement le Nord du Mali qui est sous le joug des groupes terroristes, mais les deux tiers du territoire malien et une grande partie du Sahel. Un échec comparable, juge Seidik Abba, à celui des Américains en Afghanistan. Ces jours ci et en pleine campagne présidentielle française, le fiasco est très largement masqué par l’invasion de l’Ukraine et par les atrocités qui accompagnent la politique aveugle de Vladimir Poutine.
Voici une chronique sur ce livre important, signé Antoine Glaser, Journaliste, écrivain et l’un des meilleurs spécialistes de l’Afrique à Paris.
Par sa connaissance intime des pays sahéliens et des protagonistes des conflits en cours, le journaliste et écrivain nigérien, Seidik Abba, ne surplombe pas son sujet par la seule analyse géopolitique France-Mali. Le livre « contextualise », comme le recommande l’anthropologue franco-nigérien, Jean-Pierre Olivier de Sardan, et donné les clés pour comprendre la politique française dans son pré carré africain.
Ainsi la mouvance terroriste, décryptée dans ce livre, est moins monolithique qu’elle ne semble à première vue. Présenté dans une perspective historique, le parcours d’Iyad Ag Ghali, notable touareg de la tribu des Ifoghas, devenu le principal acteur de la rébellion armée djihadiste de la région, permet ainsi d’appréhender la complexité du terrain. Depuis son enrôlement dans la légion islamique de Kadhafi en 1987, ses relations avec les services secrets algériens (DRS) dès 1991, avant de céder à l’engouement religieux de missionnaires salafistes pakistanais en 1998, « Iyad fascine et se rend indispensable » écrit Seidik Abba.
Le journaliste recueille même les confidences d’un diplomate français révélant que l’ancien président malien Amani Toumani Touré « ATT » avait une ligne directe avec Iyad Ghali « un relais extrêmement précieux pour lui au nord Mali ».
« Les Talibans, version Mali »
Le chapitre sur « les Talibans, version Mali » offre une grille de lecture inédite sur le fonctionnement du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ghali. Ce modèle lui aurait permis de fédérer des groupes disparates, au-delà de la communauté touareg. « Par le nombre des structures qu’il fédère mais surtout par son implantation ethnique ouverte aux populations arabe, touareg, peul ou bambara, le GSIM revendique une identité nationale malienne comparable à la dynamique créée par les talibans dans ses alliances avec les structures tribales afghanes » analyse Seidik Abba. Mais cette organisation est-elle aussi « non pyramidale » que cela, à l’image d’une assemblée populaire Majlis al-Choura ? Quand l’un de ses lieutenants enlève et assassine le 23 novembre 2013 à Kidal, les journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, Iyad Ghali n’est-il pas informé, voire le donneur d’ordre ?
Ce livre offre également des clés de compréhension de l’embrasement djihadiste dans les pays voisins du Mali. Au Burkina Faso, le principal problème du président Roch Marc Christian Kaboré – déchu par un coup d’état le 24 janvier 2022 – n’était-il pas sa défiance à l’égard de son armée ? « Il avait mis sur la touche la quasi-totalité des officiers généraux et supérieurs » qui avaient servi sous le président Blaise Compaore, au-delà même du démantèlement du « Régiment de sécurité présidentielle », la garde prétorienne de l’ancien chef de l’Etat, aujourd’hui réfugié en Côte d’Ivoire, relève le journaliste.
« Le naufrage de la solidarité internationale »
Mais le chapitre le plus inédit de ce livre est « le naufrage de la solidarité internationale », sujet rarement abordé. Dans « le laboratoire sahélien », pas moins d’une quinzaine de stratégies différentes des organisations internationales (ONU, UE, UA, BEI, Banque mondiale, BAD, PNUD…) se concurrencent. Chaque organisation a son propre représentant… Sans même parler des initiatives « nationales » européennes qui se doublonnent. Espagne, Pays-Bas, Allemagne… ont « leur propre politique d’aides aux pays de l’espace sahélien » en plus de celle de la France, qui prétend coordonner ses « partenaires ». Pour les Etats du Sahel, « la surenchère des stratégies, l’empilement des structures et la multiplication des envoyés spéciaux tournent au cauchemar : chaque bailleur de fonds vient avec ses procédures, ses lourdeurs, sa bureaucratie, ses immeubles de grand standing, son parc informatique dernier cri, ses assistants techniques payés à prix d’or ou encore ses véhicules 4X4. Une débauche de frais de fonctionnement sans commune mesure avec la vie des populations sahéliennes écrasées par la crise sécuritaire ».
À chacun son Sahel
À elle seule, « l’Alliance Sahel » affirme en 2020 avoir mobilisé 21,8 milliards d’euros pour financer mille projets dans les cinq pays du Sahel. Mais c’est souvent, à chacun son Sahel !
Des chapitres sur les diplomaties d’influence de la Russie, de l’Algérie et de la Turquie ( voir ci dessous) complètent cet ouvrage aussi lisible et didactique que très informé.
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