Dans le prolongement des expositions « Hajj, le pèlerinage à La Mecque » en 2014 et « Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire » en 2017, l’IMA poursuit sa trilogie consacrée aux religions monothéistes dans le monde arabe avec une exposition exceptionnelle dédiée à l’histoire des communautés juives d’Orient.
Une chronique de Christian Labrande
Vaste parcours, car si le judaïsme est né en Judée, comme le souligne Jack Lang , Président de l’IMA « il s’est épanoui sur l’ensemble du pourtour méditerranéen de le long la péninsule arabique et sur les rives de l’Euphrate. «
Le parcours de l’exposition nous immerge d’emblée dans le vif du sujet : la proximité des cultures juives et musulmanes. Celle proximité est attestée par le fait que le nombreux objets de culte juif, présents dans l’exposition, sont marqués par leur orientalité ; ce qui n’est pas étonnant si l’on réalise que la plupart des Juifs écrivaient en arabe
Le premier des nombreux chocs esthétiques proposés par ce parcours est la reconsitution partielle de la synagogue de Doura Europos conservée au musée national de Damas. . il s’agit sans conteste du monument attestant le mieux de la vitalité de l’art juif dans l’antiquité (Deuxième et troisième siècle) Les murs de la salle de prière, entièrement recouverts de fresque évoquant des scènes bibliques sont une splendeur remettent totalement en question la problématique du bannissement de la représentation dans l’art juif.
La Genizah du Caire
Le parcours de l’IMA mêle judicieusement la présentation d’objets de culte gravure et documents audiovisuels. Ainsi des salles consacrées à la fabuleuse Genizah du Caire. Nous sommes en sous le règne des Fatimides ((Xème au XIIème siècle). C’est à cette époque que la communauté juive , organisée autour de la synagogue Ben Ezra commence à entreposer les documents dans une des pièces de l’édifice, la Geniza.C’est plus de 380.000 feuillets qui y seront déposés durant près de neuf siècles. Un trésor remis à jour au 19ème siècle et qui témoigne de la vie quotidienne de cette communauté sous tous ces aspects puisqu’on y trouve des documents ayant trait à la vie religieuse, aux questions juridiques et administratives mais aussi des témoignages de la vie sociale et familiale de la communauté juive du Caire. Comme cet émouvante fresque en souvenir d’un pèlerinage en terre saint où sont représenté des tombaux d’illustres rabbins de Jérusalem.
Plusieurs documents illustrent l ‘imposante figure de Maïmonide, le plus grand penseur juif du monde médiéval. Proche des savants musulmans, il passe sa vie à étudier, enseigner la loi juive et aussi à soigner des malades juifs et musulmans. Un véritable trésor est présenté pour la première fois au public : son commentaire de la Mishneh Torah écrit de sa main même.
Le temps des séfarades
Suite au décret de l’Alhambra expulsant les Juifs d’Espagne la plupart des quelques 100.000 juifs de la péninsule ibérique s’exilent sur le pourtour méditerranéen au Maroc, en Tunisie en Algérie mais aussi dans l’Empire ottoman et en Europe .Soudées par la blessure de l’expulsion, ces communautés ont emporté dans leurs bagages un ensemble de traits culturels et de rituels qui contribuent à forger l’identité séfarade. Photos , costumes d’apparat ou parchemins richement illustrés accompagnent ce moment important de l’histoire des Juifs d’Orient . La présence de la communauté juive d’Essaouira est particulièrement bien illustrée. Véritable porte s’ouvrant à la fois sur le désert et l’océan l’ancienne Mogador compta jusqu’à 29 synagogues dans son Mellah. Tissant des relations commerciales avec l’Europe et l’Afrique subsaharienne , les marchands d’ Essaouira transforment les anciennes demeures en véritables palais avec patios bordés de galeries circulaires.
Au sein de l’Empire ottoman des villes comme Constantinople ou Sofia accueillent cette diaspora qui participe pleinement à leur renaissance économiaue et culturelle. Salonique devient même un grand centre intellectuel, l’essor de l’imprimerie en caractères hébraïques accélérant la circulation des
A mesure que l’on avance dans l’exposition, et donc dans l’histoire, fonds photographiques et films sont là pour attester d’un passé que l’on croyait enfoui à tout jamais. Ainsi du fonds de documents réalisés dans le années 1930 par le photographe et anthropologue Jean Besancenot qui documente notamment les tenues vestimentaires des différentes communautés présentes au Maroc dont le répertoire est souvent commun aux juifs et aux musulmans
Les germes de la rupture
Au milieu du 20ème siècle dans les sociétés européennes ayant entériné le principe de légalité devant la loi quelque soit la religion , l’éducation devient la condition d’accès à la citoyenneté. Le décret Crémieux octroie la nationalité française aux trente cinq mille juifs d’Algérie et ce à la différence des musulmans. Cette insertion soudaine des juifs dans la société coloniale suscite des réactions et l’essor d’une forme d’antisémitisme . Un éloignement s’opère entre juifs et musulmans qui vivent de plus en plus de manière séparée. Les juifs quittent leurs Quartiers historiques ( Mellah pour le Maroc et Hara pour la Tunisie) et se rapprochent des populations européennes dans les grandes villes.
Avec la montée de l’antisémitisme et la création en 1948 de l’Etat d’Israël c’est un véritable déchirement que vont vivre les communautés juives d’Orient amenées à quitter les terres d’Islam par vagues successives.
Un nouvel exil
Comme l’écrit le politologue Denis Charbit dans le catalogue : « Les chiffres sont éloquents et accablants : du Maroc à l’Egypte, de la Turquie au Yemen une population qui s’élevait en 1945 à plus d’un million de personnes n’en compte aujourd’hui que quelques 30.000 réparties entre la Turquie, le Maroc et l’Iran » Ainsi de ce passé nulle trace ou si peu si ce n’est dans les récits des écrivains et surtout, dans la mémoire collective. Dans ce contexte l’exposition propose plusieurs documents filmés montrant la persistance de l’héritage culturel porté part les communautés juives exilés de leur Orient qui devient rêvé. Tel ce court métrage de Talias Colite intitulé Yemenight et filmant une cérémonie du henné précédant le mariage dans les communautés yéménite. La réalisatrice filme ainsi la réactivation d’un patrimoine qui, depuis quelques années , grâce aux réseaux sociaux et à l’intérêt pour la culture pop, connait un renouveau chez les jeunes.
Un message d’espoir et d’ouverture pour conclure ce magnifique parcours dans l’odyssée des Juifs d’Orient.
Du 24 novembre 2021 au 13 mars 2022 à l’institut du Monde Arabe (IMA)