En pleine crispation diplomatique avec ses ex-colonies francophones, la France assume le virage vers l’Afrique anglophone amorcé dès le début du quinquennat par Emmanuel Macron qui a désormais pour références sur le continent le Ghanéen Nana Akufo-Addo et le Rwandais Paul Kagamé.
On ne parle que de la vice-présidente américaine Kamala Harris à Paris. Mais la vraie vedette de cette 4 ème édition du Forum de Paris pour la paix est bien le président nigérian Muhammadu Buhari pour qui l’Elysée a mis les petits plats dans les grands. De tous ses homologues présents dans la capitale française, Buhari a été le seul à avoir déjeuné mercredi en tête-à-tête avec Macron alors que les autres ont été invités à un dîner collectif dans la soirée. Dîner auquel Buhari a été à nouveau convié.
Dans la matinée de mercredi, la France a dépêché son ministre délégué au commerce Franck Riester et deux capitaines d’industrie, le PDG de Total Patrick Pouyanne et le directeur général de l’AFD Remy Rioux, à un événement économique organisé dans un palace parisien, en marge du Forum de paix sur la Paris, avec le co-parrainage des présidents Buhari et Macron.
Le serment d’Accra
Derrière cette forme de bienveillance à l’égard du Nigeria apparait la stratégie de virage vers l’Afrique anglophone amorcé par Macron depuis son installation en Afrique. Pour son tout premier déplacement en Afrique effectué en novembre 2017, le président français avait tenu à faire une visite remarquée à Accra où il a fait la connaissance de son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo avec qui il s’était lié d’amitié et qu’il avait ensuite invité spécialement à l’Elysée pour une rencontre sur les diasporas africaines.
Emmanuel Macron a été le premier président français qui s’est rendu le plus de fois dans les pays d’Afrique anglophone.
Convaincu après son test d’Accra que le virage anglophone de la diplomatie française était un bon choix, Macron a été le premier président français qui s’est rendu le plus de fois dans les pays d’Afrique anglophone. Il a ainsi été le premier chef d’Etat français à poser pied au Kenya depuis 1963, année d’accession du pays à l’indépendance. Macron, qui s’adresse sans interprète à ses homologues africains anglophones, a également été le tout premier président à effectuer en mars 2019 une visite officielle en Ethiopie après Georges Pompidou, en 1973. Il s’est également rendu en mai dernier pour sa dernière tournée africaine en Afrique du Sud et au Rwanda où il a revu Paul Kagame, devenu sa grande référence parmi ses homologues africains. Le rapprochement de la diplomatie française avec l’Afrique anglophone s’est traduit par la signature d’accords bilatéraux inédits en matière économique, culturelle, universitaire et même militaire et militaire.
Coups à prendre
Le virage anglophone intervient en même temps qu’une réelle prise de distance envers des chefs d’Etats traditionnellement alliés de la France. Même si on est encore très loin de l’ambition affichée de « réinventer les relations franco-africaines », Macron peut se vanter d’avoir tenu à distance, au moins géographiquement, certains dinosaures de la Françafrique tels que le Camerounais Paul Biya, le Gabonais Ali Bongo Ondimba ou le Congolais Denis Sassou Nguesso.
Pour la diplomatie française, le basculement vers l’Afrique anglophone est d’autant mieux tombé qu’avec les anciennes colonies francophones les relations sont au plus mal. Selon notre confère Jeune-Afrique, le président algérien Abdelmajid Tebboune aurait refusé de prendre récemment au téléphone Emmanuel Macron qui souhaitait amorcer la désescalade entre Alger et Paris et inviter Algérie à la Conférence internationale sur la Libye organisée ce vendredi 12 novembre à Paris.
Avec la Centrafrique et le Mali, engagés tous deux dans un rapprochement avec la Russie, les relations avec la France ne sont guère meilleures. La France connaît même un rejet inédit au Sahel où du Mali au Burkina Faso en passant par le Niger des manifestations populaires sont organisées contre la présence militaire française dans la région. En donnant un coup de virage anglophone à sa politique africaine, Macron espère sortir du tête-à-tête avec les anciennes colonies francophones mais aussi gagner de nouvelles parts de marché pour les entreprises françaises à la fois dans le contexte post-Covid 19 et post Brexit. Un pari incertain !
