Après de vives tensions entre Paris et Bamako et des échanges acerbes contre le Premier ministre malien, Emmanuel Macron fragilise encore un peu plus les positions françaises au Sahel et prend des risques inconsidérés. Sur fond d’une grande solitude internationale
L’affaire de la possible arrivée de mercenaires russes de Wagner au Mali a créé de fortes tensions entre Bamako et Paris. Chaque camp jouant la surenchère sans mesurer les risques pour eux-mêmes et pour leurs intérêts communs. Faut-il rappeler aux deux parties qu’elles sont alliées dans la lutte contre les djihadistes ? Florence Parly, d’ordinaire plus mesurée, a lancé des noms d’oiseaux au visage du Premier ministre, Choguel Maïga : « Mauvaise foi » « Hypocrisie » « Indécence ».
Ce dernier n’a pas été plus élégant en accusant la France « d’abandonner le Mali en plein vol » à la tribune des Nations Unies. On a vu plus décent entre deux partenaires. Le paroxysme de la crise a été atteint avec les déclarations d’Emmanuel Macron qui a remis une pièce dans la machine en accusant Choguel Maïga de n’avoir aucune légitimité et d’être en quelque sorte « un enfant de deux coups d’Etats ».
Il reste que Paris est deplus en plus isolé. Dans les premiers jours de la polémique, l’Allemagne, l’Estonie, l’Union européenne et la Cedeao sont montés au créneau pour soutenir Paris en prévenant les autorités de Bamako qu’un tel accord serait contraire avec leur action au Mali. Puis tout le monde s’est tu. Preuve que la violence des propos embarrasse les partenaires, ni les Etats-Unis, ni l’Union africaine ne se sont exprimés sur le sujet. Les Nations unies, par la voix de leur chef des opérations de Paix, Jean-Pierre Lacroix, se sont contentées de rappeler « A l’ONU, nous n’interférons pas avec les prérogatives de souveraineté nationale ».
Que des perdants
La crise a pris de telles proportions qu’il est difficile d’imaginer une porte de sortie honorable pour l’une ou l’autre des parties.
Si le Mali signait réellement le contrat avec les mercenaires de Wagner, la France serait dans l’incapacité de mettre ses menaces à exécution et quitter ce pays urbi et orbi. Un désengagement se prépare, la logistique prend du temps. Le camp de Ménaka qui héberge les forces européennes de Takuba vient tout juste d’être terminé, à peine construit, il faudrait déjà le démonter ? Et il n’est pas envisageable de voir l’armée française partir à la manière des Américains en Afghanistan. En outre, la Mission de paix des Nations Unies (Minusma) a organisé ses opérations en fonction de la présence de Barkhane et ce sur un temps long. Un départ précipité mettrait tout le monde dans l’embarras.
Déjà, la décision prise en juillet 2021 de fermer avant la fin de l’année, trois bases françaises au Nord du pays : Tessalit, Kidal et Tombouctou a fait naitre beaucoup de mécontentements. Les populations de ces villes ont désormais peur pour leur avenir, d’autant que tous les villages alentour sont déjà sous la coupe des djihadistes.
Les contingents tchadiens de la Minusma basés à Kidal et Tessalit ont eux aussi des raisons de s’inquiéter. Cette dernière base venant d’être démantelée, en cas d’attaque, les casques bleus ne pourront plus compter sur la réaction rapide des forces françaises, il en sera de même pour l’évacuation des blessés.
Côté malien, le départ des Français créerait un vide que les 1000 mercenaires russes ne pourraient pas compenser, ni en terme d’effectifs, ni en terme de capacité opérationnelle. Ils perdraient également le soutien financier de Paris et probablement celui de l’Union européenne, d’autant que la France prendra en janvier 2022, la présidence de la Commission. Après dix ans de guerre et une situation sécuritaire dégradée, il sera difficile pour le pays de supporter ces chocs.
Il n’y a aucune bonne option. Tout changement de braquet ou recul pourrait être interprété par les opinions publiques comme une capitulation, or la campagne électorale en France a déjà commencé et au Mali se prépare la prolongation de la transition….
A quand le bilan ?
Alors que Paris n’est pas sortie de la crise au Mali, Emmanuel Macron a ouvert un autre front avec l’Algérie. Recevant à l’Elysée des Franco-algériens, le président français leur aurait confié sa vision des choses, qui aussitôt a fuité dans le Monde. Selon lui, l’Algérie se serait construite sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire ». Il n’en fallait pas plus pour faire bondir Alger qui a rappelé son ambassadeur et fermé son espace aérien aux avions de l’armée française. Un espace pourtant crucial pour les opérations de Barkhane dans le nord du Mali.
Pour paraphraser Jacques Chirac « les ennuis volent toujours en escadrille », néanmoins ils ne tombent pas du ciel… Tout au long de son quinquennat, Emmanuel Macron n’aura cessé de rudoyer l’Afrique. On se souvient de son premier voyage à Gao, du discours de Ouagadougou, de la convocation au Sommet de Pau, de son interview dans Jeune Afrique, la liste n’est pas exhaustive… Comment s’étonner dans ces conditions que la France perde de plus en plus d’influence sur le continent au profit d’autres puissances ? Qui aurait cru un jour que des Etats comme le Gabon et le Togo frapperaient à la porte du commonwealth ? Qui aurait cru que la Côte d’Ivoire, un pays pourtant choyé par le locataire de l’Elysée, signe un contrat de 25 millions de dollars avec une entreprise américaine au détriment de Thales ? Qui aurait cru que les Burkinabè achèteraient des blindés turcs ?
A huit mois de l’élection présidentielle, il est peut-être l’heure de faire le bilan…