Bien qu’ayant quitté ses fonctions présidentielles, Mahamadou Issoufou reste le cœur du réacteur nigérien comme le montre la formation du gouvernement, où le propre fis de l’ancien chef d’état, Mahamane Sani Mahamadou, dit « Abba, » est nommé ministre du Pétrole. Mondafrique passe en revue les nouveaux maitres du Niger.
S’il ne fallait qu’un seul signal fort de la réalité du pouvoir au Niger, ce serait celui d’une Garde Présidentielle désormais coupée en deux afin d’assurer la sécurité des deux hommes qui dirigent le pays: l’ancien Président et son dauphin, Mohamed Bazoum, qui vient de lui succéder. Comme s’ils ne se résolvaient pas à quitter la direction du pays, Mahamaadou Issoufou et sa famille résident toujours dans une villa présidentielle à deux pas du Palais. Le temps, dit-on, que leur nouveau domicile soit prêt.
« Le Niger a trois Présidents : Issoufou sans légitimité ni légalité ,mais qui dirige réellement; Bazoum avec légalité, mais sans légitimité n’est qu’une marionnette du premier; le troisième et principal opposant qui a la légitimité, mais sans la légalité, et donc ne dirige rien.» C’est ainsi qu’un intellectuel nigérien, Boubé Nawaima, a résumé la situation dans un post très repris sur les réseaux sociaux.
Malgré une campagne électorale marathon et des moyens colossaux, Mohamed Bazoum n’échappe pas à la férule de son prédécesseur. La composition du nouveau gouvernement, annoncée mercredi, en témoigne, avec le fils Issoufou au ministère stratégique du Pétrole et les plus fidèles lieutenants de l’ancien Président aux postes clé de la Primature, des Affaires Etrangères, de l’Intérieur et de la Défense, Issoufou reste bel et bien le patron du système.
Le cercle étroit des « miniers »
Alkassoum Indattou et Hassoumi Massoudou, les deux plus proches compagnons d’Issoufou à Arlit, la ville minière du nord du Niger où est né le projet de création du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), s’arrogent respectivement les portefeuilles de la Défense et des Affaires étrangères.
Hassoumi Massoudou est diplômé de l’Ecole nationale supérieure des Mines de Paris. Après une première carrière de député, il a intégré en 2011 le cercle des plus proches du Président Mahamadou Issoufou, à son cabinet d’abord puis en tant que ministère de l’Intérieur, de la Défense, et des Finances, jusqu’à son limogeage en 2019, alors qu’il contestait la candidature de Mohamed Bazoum à la présidentielle et souhaitait lui-même briguer les suffrages au nom du parti rose.
Mahamadou Ouhoumoudou a rejoint le premier cercle d’Issoufou un peu plus tard, en 1987, à sa nomination à la tête de la SONICHAR, qui alimentait en énergie les mines d’uranium du nord du Niger. Inséparable du Président ces dix dernières années, il l’a suivi dans toutes ses missions et tous ses voyages, en tant que directeur de cabinet. Le voici Premier ministre du gouvernement de l’alternance.
Au-delà de sa loyauté totale à Mahamadou Issoufou, Ouhoumoudou est aussi un Badéri, le nom de la communauté des Haussa de l’Ader, la région de Tahoua où il est né en 1954. Et il est le responsable du PNDS pour la région de Tahoua, qui a assuré la victoire de Mohamed Bazoum au deuxième tour de la présidentielle en lui rapportant près d’un million de voix sur un total de 2,5 millions.
Les barons du régime récompensés
Dans le propre fief d’Issoufou à Tahoua dans le nord-ouest du pays, une participation exceptionnelle témoigne de fraudes massives. Ce score a compensé la fragilité du score du nouveau Président, Mohamed Bazoum, dans sa circonscription de Zinder, au coeur de la région haussa dans le sud-est. La nomination de Ouhoumoudou Mahamadou comme Premier ministre est une piqûre de rappel de la réalité de cette élection. Âgé de 71 ans, ce directeur de cabinet d’Issoufou était comme ce dernier originaire de la région de Tahoua.
De même, Alkassoum Indattou, inusable pilier du parti et de ses entités, était le coordonnateur régional du parti rose à Agadez pour les dernières élections. Il y a succédé à son tout puissant et riche camarade Sherif Abidine, surnommé Sherif Cocaïne, mort à la veille du 2e mandat de Mahamadou Issoufou. Rappelons que dans cette région, Bazoum a aussi bénéficié d’un score hors norme, également contesté par l’opposition.
Il fallait remercier les « grands électeurs » qui ont forcé le résultat. Ainsi le ministre délégué auprès du ministre d’Etat aux Affaires étrangères et de la Coopération, chargé de l’Intégration africaine, Youssouf Mohamed Almouctar, est originaire de la petite ville d’Azeye, dans le département d’Abalak (nord de Tahoua), où le premier tour de la présidentielle jumelé aux législatives a été émaillé d’incidents en armes et couronné d’un score spectaculaire.
A l’Intérieur et à la Décentralisation, le constitutionnaliste Alkache Alhada conserve sa place centrale, qui l’a vu affronter les protestations survenues après l’annonce de la victoire de Mohamed Bazoum. C’est aussi un très proche d’Issoufou, directeur adjoint du cabinet présidentiel à côté de Massoudou, puis Président de la Cour des Comptes, Premier Président du Conseil d’Etat et ministre de l’Intérieur. Au total, ce sont cinq anciens directeurs de cabinet de Mahamadou Issoufou qu’on retrouve dans le nouveau gouvernement.
Les clés du coffre fort
Mais la nomination qui fait le plus réagir les Nigériens, c’est celle de son fils, Mahamane Sani Mahamadou, dit Abba, à la tête du portefeuille le plus juteux du gouvernement : le ministère du Pétrole, de l’Energie et des Energies renouvelables.
Si le fils du Président, en tant que directeur de campagne de Mohamed Bazoum, pouvait aspirer à un portefeuille, ce n’était pas celui auquel le nouveau Président avait initialement pensé, disent certaines sources. En s’assurant le contrôle du Pétrole, devenu la première ressource du pays avec la chute des cours de l’uranium et le retrait progressif d’Areva, Mahamane Sani Mahamadou s’inscrit dans le sillage de son tonton Pierre Foumakoye, autre compagnon de route historique de Mahamadou Issoufou qui l’a précédé à ce poste pendant presque dix ans. Ce dernier revient d’ailleurs au gouvernement en tant que Haut Représentant du Président de la République : le pétrole du Niger sera bien gardé.
Diplômé en informatique, puis à Harvard en sciences politiques, Abba, du haut de ses 37 ans, veillera sur la nouvelle ressource stratégique du pays, après n’avoir fait que servir son père, en tant que responsable de la communication de la Présidence puis directeur de cabinet.
Si les Nigériens n’ont guère profité jusqu’ici du pétrole extrait par les Chinois à Agadem et raffiné à Zinder, dont le coût reste élevé à la pompe, il n’en va pas de même pour tout le monde, notamment certains hommes d’affaires proches du Président sortant, comme le Nigérian Tahirou Mangal, contributeur de la campagne de Mohamed Bazoum, l’un des grands exportateurs informels de l’essence du Niger.
Avec l’augmentation spectaculaire de ses réserves d’or noir et la construction du pipeline Niger-Bénin, le Niger espère multiplier par cinq sa production actuelle de brut, de 20 000 à 100 000 barils. Le Trésor nigérien a prévu de décaisser plus de 5200 milliards de francs CFA pour financer ces travaux : autant de marchés publics qui permettront de renflouer les généreux donateurs de la campagne rose.
La vertu en berne
Car sur le front des affaires non plus, ce gouvernement n’est pas de bon augure. Lors de son investiture, le 2 avril, Mohamed Bazoum a promis d’être « implacable contre les délinquants ».
« Je m’engage à lutter sans relâche contre la corruption qui est un poison pour le développement. Je veillerai à ce qu’aucun acte de corruption ne reste impuni. Personne ne sera au-dessus de la loi à cause de sa base, de son ethnie ou de sa filiation politique », avait-il promis, la salle acquise applaudissant bruyamment à ces mots.
En moins d’une semaine, chacun a compris qu’il n’en serait rien. Car les très proches de l’ancien Président ont déjà beaucoup fait parler de leurs frasques financières. Le nouveau Premier ministre, alors ministre des Finances, avait dû démissionner un an après l’arrivée au pouvoir de Mahamadou Issoufou dans le cadre d’un marché public illégal, avec son compère de l’Equipement, Kalla Ankaraou.
Mais plus récemment, on lui doit le protocole d’accord conclu avec les fournisseurs du ministère de la Défense accusés d’avoir perçu plus de 76 milliards de francs CFA de fausses factures et de marchés non livrés. Par ce « rapport définitif » non signé, daté du 29 mars, Ouhoumoudou écrivait que l’équivalent de 30,6 milliards sur les 76 seraient recouvrés par le Trésor, les fournisseurs s’engageant à rembourser ou compenser ces sommes indument perçues. C’est ainsi que le dossier du ministère de la Défense fut définitivement enterré.
Le ministre des Affaires étrangères, lui, a échappé aux scandales de la défense mais il est le principal responsable nigérien cité dans le mystérieux Uraniumgate, une vente fictive d’uranium organisée par Areva, alors dirigée par Sébastien de Montessus, avec la complicité de la Société de patrimoine des mines du Niger (SOPAMIN), qui aurait couvert une opération de versement de commissions occultes. La justice française enquête sur ce dossier, dans lequel Areva aurait perdu 18 millions de dollars.
33 ministres, 17 alliés et 5 femmes
En ce qui concerne ce gouvernement, Bazoum n’a réussi, semble-t-il, qu’à imposer un format légèrement réduit, 33 ministres contre une quarantaine pour son prédécesseur. Les alliés se partagent 17 portefeuilles, moins stratégiques naturellement que ceux confiés au parti au pouvoir : le MNSD de Seyni Oumarou, nommé comme prévu Président de l’Assemblée nationale, compte 4 ministres, dont l’un est reconduit à la Santé – chose exceptionnelle – et le parti Jamhuriyah d’Abouba Albadé en compte 5, là encore, comme prévu en échange de son ralliement. Le petit parti Inganci confirme sa percée avec 3 postes. Cinq autres petits partis reçoivent un portefeuille.
Le rajeunissement tant vanté doit beaucoup au fils de Mahamadou Issoufou et au jeune ministre des Finances, Ahmat Jidoud, originaire d’Illela, le village natal du Président sortant. Quant aux femmes, elles ne sont que cinq sur 33, très loin du quota obligatoire de 30%. Ce n’est pas la priorité du régime.
Rhissa Ag Boula, l’ancien chef de front rebelle touareg des années 90, indéboulonnable ministre du Tourisme de Mamadou Tandja, fait son entrée officielle chez l »es Roses », en tant que ministre d’Etat à la Présidence de la République. Très visible aux côtés de Mohamed Bazoum ces dernières semaines, il semble bel et bien devenu le nouveau Touareg de service, après le départ de Brigi Rafini, originaire d’Iferouane, qui fut le Premier ministre du pays en continu depuis 2011 au nom de la représentation de la turbulente communauté berbère du nord.