Le ministre islamiste de la Communication Mustapha El Khalfi souffle le chaud et le froid. Alors qu’il vient d’initier avec succès une grande campagne de promotion de l’image du Maroc sur la chaine de télévision américaine Bloomberg, le ministre a décidé de censurer, sans raison apparente, le Hors Série de la revue scientifique Sciences & Avenir titré « Dieu et la Science».
Ce numéro qui est loin d’être blasphématoire propose d’excellentes contributions scientifiques, toujours équilibrées, signées par des auteurs de qualité, comme Yves Coppens, Luc Ferry, Nidhal Guessoum et d’autres. Ce qui est reproché au magazine français par le ministère marocain est la reproduction d’une gravure ancienne et sobre montrant le Prophète recevant le premier verset du coran. Pour cette seule raison, le magazine est simplement interdit d’entrée et de distribution sur le territoire national. Et peu importe que la revue soit par ailleurs téléchargeable sur Internet.
Cette décision n’a pas été du goût de tous les cadres du parti islamiste qui mettent cet excès de zèle sur le compte de l’imminence de la campagne électorale, mais également et surtout à cause de la personnalité d’un ministre de la Communication. En dépit des apparences, l’homme demeure, selon ses détracteurs, « peu ouvert sur le monde ». Musatpha El Khalfi faisait partie du staff du quotidien Attajdid lorsque cette publication très proche du PJD avait mis en une le lien entre une éventuelle colère de Dieu et le tsunami qui avait ravagé en 2004 le sud-est asiatique.
La réaction de « Science et Avenir »
Stupéfaction et tristesse. A été interdit de vente au Maroc, nous venons de l’apprendre, le Hors Série de Sciences et Avenir, titré « Dieu et la Science », en kiosque depuis mi-décembre 2015. Raison invoquée par le Ministère de la Communication ? La publication de deux miniatures remontant au XVIe siècle, illustrant une célèbre « Biographie du prophète Mohammed », écrite en arabe trois siècles auparavant, elle-même basée sur un texte remontant aux VIIIe-IXe siècles. Nous les avons reproduites dans un cahier de cinq pages de « Repères » explicatifs du Hors Série, à caractère historique et pédagogique, qui précisent les origines des textes sacrés que sont la Bible hébraïque, le Nouveau Testament et le Coran.
La direction de la rédaction de Sciences et Avenir tient à faire savoir qu’elle s’élève avec la plus grande force contre cette censure qui pénalise notre magazine, évoquant ici des questions relatives à l’Univers, à l’évolution, aux notions de sacré, d’apocalypse, d’immortalité, du point de vue de la science et des croyances. Et ce, d’autant plus que ce numéro Hors Série a été édité avec la collaboration de scientifiques éminents, de philosophes et de religieux, intervenus lors d’un colloque également titré « Dieu et la science », organisé par notre magazine au début 2015.
Les Repères mentionnés plus haut sont destinés à éclairer le lecteur sur ce que l’on peut savoir aujourd’hui, en toute rigueur, de l’histoire des textes fondamentaux des trois monothéismes : de quand ils datent, qui les a écrits et dans quelles circonstances. Rappelons que les deux miniatures – dont l’une illustre une chronologie que Sciences et Avenir a établie sur trois millénaires, l’autre une page consacrée au Coran (sa division en chapitres, les datations des manuscrits anciens…) – ont été réalisées par le célèbre calligraphe Lutfi Abdullah, après une commande du sultan ottoman Mourad III. De nombreux extraits de son œuvre magistrale peuvent être vus au musée Topkapi d’Istanbul, comme dans d’autres musées ou bibliothèques. Dans nos pages, elles sont ainsi légendées : « Le premier verset du Coran est révélé au prophète Mohammad par l’archange Gabriel sur le mont Hira, miniature de Lutfi Abdullah (mort en 1607), Istanbul « ; « Le prophète Mohammad nouveau-né est présenté aux habitants de La Mecque, miniature ».
Pour la direction de la rédaction de Sciences et Avenir, ce genre de censure ne peut qu’aller à l’encontre du « dialogue que nous voulons favoriser » avec notre publication, comme affirmé dans l’éditorial du magazine. De surcroît, elle prive de nombreux lecteurs « des réflexions qui contribuent à construire des repères », ce que nous promouvons. Elle nous semble d’autant plus inappropriée que la période actuelle réclame plus que jamais compréhension approfondie de la science, des cultures et des croyances favorisant une réelle ouverture au monde.