Le décès du charismatique opposant Hocine Aït Ahmed le 23 décembre dernier en Suisse a privé Abdelaziz Bouteflika d’un vieux rêve qu’il espérait toujours réaliser : recevoir au Palais Présidentiel d’El-Mouradia ou à la Résidence présidentielle de Zéralda, le plus influent des opposants algériens, le défunt leader du Front des Forces Socialistes (FFS).
Un tel symbole aurait pu redorer le blason d’un Abdelaziz Bouteflika contesté et affaibli par des années de guerre contre ses ennemis au sein de l’Etat-major de l’armée et du redoutable DRS. Mais ce moment ne viendra jamais puisque Hocine Aït Ahmed, « Da l’Hou », comme l’appellent affectueusement les Algériens, n’est désormais plus de ce monde.
Le dernier historique de la Révolution algérienne n’a donc jamais exaucé ce voeu si cher à Abdelaziz Bouteflika : une réconciliation entre lui, pilier du régime débarrassé de ce « pouvoir parallèle » entre les mains des militaires, et une figure emblématique de l’opposition. En apparence, un fossé sépare ces deux hommes qui ont emprunté, une fois l’indépendance acquise, des voies politiques opposées. L’un devint ministre à la fleur de l’âge. L’autre prit le maquis et dit non à la dictature du FLN dès 1963.
Au fil des années le fossé se creuse : le FFS est réprimé, Hocine Aït Ahmed emprisonné. Bouteflika soutient Houari Boumédiene lorsqu’il s’empare du pouvoir. En 1966, Hocine Ait Ahmed s’évade de sa prison à Alger et prend l’exil. Les années de faste pour Abdelaziz Bouteflika commencent tandis qu’ Hocine Aït Ahmed entame un long combat. « Mais, en son for intérieur, Bouteflika a toujours su que le rebelle Hocine Aït Ahmed rebondirait et marquerait l’histoire de son nom. Il a toujours éprouvé envers lui de l’admiration et du respect. Il savait bien qu’un jour ou l’autre, il devrait composer avec lui pour diriger l’Algérie », nous confie un connaisseur très proche de la famille Bouteflika.
Abdelaziz Bouteflika découvre la véritable valeur héroïque d’ Hocine Ait Ahmed au début des années 90 lorsque le leader du FFS abandonne son exil et rentre en Algérie pour s’opposer à la mainmise des militaires « janvieristes » sur l’Algérie. « A cette époque-là, Bouteflika affirmait clairement à ses proches que seul Hocine Aït Ahmed avait compris la solution aux malheurs de l’Algérie », confirme un autre proche du cercle présidentiel. « En 1999, Bouteflika prend le pouvoir et entame avec beaucoup de malices sa stratégie : démilitariser le régime algérien et imposer un pouvoir civil. Ce combat lui prendra des années. En vérité, il s’est beaucoup inspiré des idéaux d’Hoci ne Aït Ahmed. Mais il son approche était totalement différente », résume notre interlocuteur.
L’un compose avec les généraux « janvieristes » qui ont interrompu le processus électoral en 1992 pour pouvoir les renverser et changer le pays, l’autre rejette toute forme de « collaboration » avec ce régime rongé par la corruption et les réflexes totalitaires. Dés son arrivée au sommet de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika tente de renouer le contact. Il envoie plusieurs de ses émissaires en Suisse pour rencontrer Hocine Ait Ahmed. Ce dernier se montre intraitable et exige dés le départ des concessions de taille : juger les auteurs de l’assassinat d’Ali Mécili, commandité en 1987 par les services secrets algériens, adapter la Constitution algérienne aux valeurs de la protection des droits de l’homme, réduire le pouvoir de l’armée, etc. Au cours de ses premiers années au pouvoir, Bouteflika ne peut guère donner une suite favorable à ses revendications.
Il aura fallu attendre 2011 et 2012 lorsque les Printemps Arabes éclatent pour que Hocine Aït Ahmed daigne accepter des compromis. Bouteflika lui fait miroiter un cahier de réformes démocratiques et lui promet la fin du pouvoir parallèle du DRS. Soucieux de l’intégrité de l’Algérie face à l’incertitude de l’avenir, Hocine Aït Ahmed presse ses militants à participer aux élections législatives de 2012 pour entrer au Parlement et faire entendre leur voix. Un processus de négociation prend forme. Bouteflika promet aux partisans de Hocine Aït Ahmed un droit de regard sur la gestion du pays et des portefeuilles ministériels lorsqu’il liquidera définitivement les relais obscurs des généraux du DRS. Mais ce processus tarde et prend du temps. Le départ du général Toufik n’intervient que fin 2015.
Un contexte très difficile pour Hocine Aït Ahmed dont l’état de santé se détériore dangereusement. En Suisse, il est hospitalisé à maintes reprises suite à plusieurs attaques cardiaques. Les conseillers de Bouteflika poursuivent leur pression et tentent de convaincre le leader du FFS de revenir à Alger pour rencontrer Bouteflika et accepter la réhabilitation qu’il lui propose. Cependant, le rebelle kabyle campe sur ses positions et demande encore des changements démocratiques. Abdelaziz Bouteflika qui lutte contre sa maladie et ses ennemis réclame, d’abord, une « réconciliation » pour lui de mener à bout la réforme actuelle de la Constitution algérienne.
Les négociations à distance entre les deux hommes sont interrompues en 2015 et le leader du FFS est paralysé par la maladie. Il aura toujours refusé de revenir à la Présidence et défendu sa position jusqu’à son dernier souffle. Son parti met en place une initiative politique nationale et ne rejoindra pas l’opposition anti-Bouteflika qui réclamera sa destitution.
Les deux hommes vont s’observer jusqu’à ce que la mort fauche le 23 décembre « Da L’hou ». Bouteflika n’aura pas l’honneur de voir son hôte assis devant lui dans son salon présidentiel. Jamais il n’aura réussi à dompter « le lion de Djurdjura ».