Mali, un chef religieux vaut plus qu’un magistrat

Ce fut la sortie de trop. Magistrat de renom réputé intègre dans les milieux judiciaires maliens et internationaux, Daniel Tessougué, procureur général près la Cour d’appel de Bamako sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta a été démis de ses fonctions le 23 décembre par le Conseil supérieur de la magistrature.

Un magistrat qui dérange

Décrit par son entourage comme un juriste tenace qui « ne lâche rien », son franc-parler et ses positions critiques vis-à-vis du pouvoir lui ont façonné une image d’homme de loi frondeur, mal aimé des autorités. Mais cette fois, Daniel Tessougué a franchi la ligne rouge. En accusant le chef religieux Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique (HCI) de faire « l’apologie du terrorisme » après que ce dernier a assimilé l’attentat contre l’hôtel Radisson Blu de Bamako à un châtiment de Dieu contre « les grandes puissances qui sont en train d’obliger le monde à aller vers l’homosexualité », le magistrat s’est attiré les foudres des responsables maliens. En déclarant qu’il « faut raser les barbes longues » et « contrôler les financements des Mosquées », Daniel Tessougué a provoqué une impressionnante levée de bouclier des associations religieuses qui disposent d’importants relais auprès des autorités. Au point de finalement se faire limoger.

Le procureur déchu avait déjà eu maille à partir avec le pouvoir qu’il a, tout au long de sa carrière, régulièrement accusé de s’immiscer dans les affaires judiciaires. En octobre 2013, neuf mois après le déploiement de l’opération militaire française « Serval » au Mali, il avait, avec plusieurs associations de défense des droits humains, dénoncé la levée des mandats d’arrêts émis contre certains responsables du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) accusés notamment de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, assassinats ou terrorisme. Une mesure justifiée à l’époque par le pouvoir malien comme un mal nécessaire pour mener à bien le processus de réconciliation amorcé après la signature des accords de Ouagadougou qui ont ouvert la voie à la tenue d’élections dans le pays en juillet 2014.

A l’époque, le gouvernement malien avait également procédé à la libération de 23 membres du MNLA et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), un mouvement qui regroupe les anciens alliés du chef djihadiste Iyad Ag Ghali. Cette décision avait provoqué la colère de l’opposition et d’une partie des soutiens d’IBK lui-même qui n’ont pas hésité à accuser le président de trahison lorsque plusieurs chefs rebelles du nord ont présenté leur candidatures aux élections législatives sur les listes de son parti, le RPM.

IBK en recul chez les religieux maliens

Bête noire du ministère de la justice depuis cette époque, Daniel Tessougué a entretenu des relations extrêmement tendues avec l’ex ministre lui-même, Ali Bathily, qui vient de quitter son poste en décembre. Ce dernier a notamment accusé le procureur de faire obstacle, avec un autre magistrat, à l’arrestation du maire d’un district de Bamako impliqué dans une affaire d’attribution frauduleuse de titres fonciers qui avait fait couler beaucoup d’encre début 2014.

Daniel Tessougué n’a par ailleurs pas ménagé le pouvoir dans plusieurs affaires sensibles. Il a ainsi ordonné l’ouverture d’une enquête sur les conditions d’acquisition de l’avion présidentiel et la signature d’un contrat douteux d’acquisition d’équipement militaire par l’armée malienne.  En charge du dossier portant sur les crimes commis en avril 2012 contre « les bérets rouges », les commandos parachutistes restés fidèles à l’ancien président renversé, Amadou Toumani Touré (ATT), le procureur s’est par ailleurs attiré la colère des putschistes de l’ex junte.

Dans les cercles politiques maliens, beaucoup interprètent le limogeage du « dérangeant Daniel Tessougué » comme la conséquence d’une accumulation de différends avec le pouvoir en place. Les critiques contre l’imam Mahmoud Dicko – soutien capital d’IBK lors de sa candidature aux présidentielles de 2013 – servant surtout de prétexte à sa mise à l’écart.

Une occasion également pour le chef de l’Etat de refaire son image auprès des principaux leaders religieux du pays de plus en plus séduits par son ancien premier ministre Moussa Mara qui nourrit des ambitions présidentielles. Bouc soigné, pantalon court, rencontres avec les associations cultuelles, pèlerinages mis en scène à travers les réseaux sociaux, le jeune ex ministre âgé de 40 ans ne lésine pas sur les moyens pour s’attirer la bienveillance des puissants dignitaires musulmans auxquels il rend régulièrement visite. Un soutien autrement plus décisif que celui d’un magistrat pour remporter des élections. « Dans l’équation de l’accès au pouvoir au Mali, Dicko pèse mille fois plus lourd que Tessougué » tranche un ancien ministre.