A l’heure où les représentants de la société civile tunisienne reçoivent le prix Nobel à Oslo, le pays s’enfonce dans une crise sans précédent. Une chronique de notre correspondante, Radia Bensaoud
Encore un paradoxe que les Tunisiens vivent en cette heure pourtant glorieuse entre toutes de leur récente histoire. La grande centrale syndicale qu’est l’UGTT et le patronat tunisien reçoivent, ce jeudi 1O décembre à Oslo, le prix Nobel de la paix pour avoir favorisé la formation d’un gouvernement indépendant et consensuel qui a su les mener vers des élections législative et présidentielle sereines à la fin de l’année 2014. Or le paradoxe, le voici: un an plus tard, les mêmes faiseurs de paix ont beau se présenter unis et souriants pour recevoir cette récompense méritée, ils sont en guerre ouverte à Tunis, patrons contre salariés, classe contre classe, loin de la tradition de négociation sociale qui a survécu même sous Ben Ali.
Les voici, en pleine crise économique, alors que le pays est menacé de récession, incapables de s’accorder sur le montant de l’augmentation des salaires dans le secteur privé.
Les deux principales forces de la société civile tunisienne tant vantée pendant ces quatre années de transition, campent sur leurs positions. Certes, chaque camp ne manque d’arguments solides. Les salariés regroupés derrière la puissante UGTT, trouvent ridicule l’augmentation proposée par le patronat. A peine de quoi acheter un kilo de viande. En face, les patrons souffrent comme jamais, en raison d’une exceptionnelle conjonction de facteurs négatifs: endettement record, sinistrose du secteur touristique, culture de la contestation exacerbée par les libertés, forts taux de grèves. Mais pourquoi les deux camps usent-ils d’un langage guerrier totaleemnt inhabituel chez ces acteurs sociaux traditionnellement soucieux du bien commun?
Une situation à la grecque
Nobel ou pas, les Tunisiens sont loin d’être à la fête. La cérémonie d’Oslo aura du mal à leur faire oublier l’hydre de Daech et de ces 5000 jeunes embrigadés pour faire le djihad en Syrie et en Libye si proche, trop proche. Soit, rapporté à la population française, un contingent de 30000 apprentis terroristes. Longtemps immunisé, le peuple tunisien se trouve brutalement dans l’œil du cyclone.
Le terrorisme et ses tragiques conséquences s’est greffé à une situation économique et sociale sérieusement détériorée depuis « la révolution ». Un seul chiffre peut le traduire : la dette était de 39% du PNB avant le 14 janvier, elle flirte aujourd’hui avec la ligne rouge grecque soit 60%.
La quadrature du cercle
La majorité gouvernementale regroupée par le Président de la République Beji Caïd Essebsi est née d’une coalition contre nature entre le mouvement présidentiel continuateur du mouvement réformiste bourguibiste et un parti islamiste Ennahdha issu organiquement du mouvement des Frères Musulmans à forte connotation salafiste. Comment trouver dans ces conditions les solutions à court et à moyen terme qu’exige la situation alarmante que traverse la Tunisie frappée par trois attentats spectaculaires et des attaques incessantes contre les forces sécuritaires dans la Tunisie d el’intérieur?
La loi des fiances qui vient laborieusement d’être votée a suscité le courroux de l’opposition en raison de son peu de rigueur et son recours encore une fois à la dette extérieure. A l’heure où le marché mondial n’a manifesté aucune intention sérieuse de consentir des empreints à la Tunisie jadis si crédible et solvable.
Désenchantement politique
Quant au gouvernement dont la refonte a été officiellement annoncée par le Premier ministre des la fin du débat budgétaire, les sondages d’opinion effectués en décembre par le très crédible « Sigma Conseil » révèlent un désenchantement massif de l’opinion vis-à-vis de lui et de la classe politique. Seulement 3,2% des Tunisiens font confiance en leurs partis politiques. Aussi les conciliabules actuellement en cours pour la restructuration de l’équipe gouvernementale ne font les délices que du microcosme. Pour les tunisiens c’est selon le diction populaire « Moussa Haj ou Haj Moussa ». Du pareil au même.
On s’achemine vers leremplacement de trois ministres « de souveraineté ». Celui des affaires étrangères, Taieb Baccouche, pour incompétence. Celui de l’Intéreur pour cause d’échec. Celui de la Défense, un juriste inadapté aux exigences de la situation sécuritaire. Hélas, le Premier ministre, un technocrate obséquieux totalement transparent, reste en place. Pour combien de temps?