Il y a dix ans, dans la soirée du 7 janvier 2011, Antoine Lamour Béchet de Léocour et son ami d’enfance Vincent Delory étaient enlevés en plein centre de Niamey. L’enlèvement s’achevait tragiquement le lendemain en territoire malien où les deux otages trouvèrent la mort. Cette bavure fut le premier acte de guerre de l’armée française dans la région, deux ans avec le déclenchement de l’opération Serval.
Dans le deuxième volet de cette enquête, Mondafrique raconte l’assaut malheureux de l’armée française contre le commando.
« Archange Foudroyant », le fiasco
Alors qu’ils roulent en file indienne vers Menaka, en ce 8 janvier à 10h00, les onze djihadistes et leurs otages ignorent que la foudre va s’abattre sur eux. Un dispositif aérien de surveillance a été mis en place au début de la nuit et les véhicules sont repérés et suivis, du ciel, depuis trois heures du matin et, d’encore plus près, à partir de 7h00. Les militaires ont pu observer à distance les différentes fusillades, les arrêts des voitures, toujours à couvert, une courte pause mécanique. S’ils n’ont pas vu les otages français, ils ont pu estimer le nombre des combattants et leur armement.
« Archange Foudroyant » est monté en quelques heures. L’opération semble à la portée des moyens militaires du général Frédéric Beth, qui commande les forces spéciales, et du colonel Bruno Baratz, chef du groupement des forces spéciales Sabre. Les deux officiers supérieurs décident de mettre en œuvre une opération hardie, adaptée selon eux à la force de l’ennemi et aux moyens disponibles et dont les contours tactiques sont déjà pensés.
Une étroite fenêtre de tir
Il s’agit d’intercepter le convoi des ravisseurs avant qu’il ne puisse atteindre les zones de repli traditionnelles du groupe terroriste de Mokhtar Belmokhtar, dans l’extrême nord du Mali ou qu’il ne reçoive des renforts, d’ailleurs repérés par l’avion de surveillance à plusieurs dizaines de kilomètres de là : une dizaine de pick-ups lourdement armés, soit au moins 50 hommes.
La fenêtre de tir est étroite, d’autant plus que les hélicoptères, qui doivent parcourir une longue distance par une météo défavorable, sont en bout de portée en termes de carburant. Les commandos se sont embarqués sans gilets pare-balle pour alléger au maximum la charge des appareils.
Au petit matin du 8 janvier, le dispositif se prépare : trois hélicoptères de combat Cougar, dont l’un muni d’une mitrailleuse 12,7 et deux groupes de 10 commandos chacun, soutenus par des troupes aéroportées en cas de nécessité.
L’enquête menée sur la mort des deux jeunes Français a permis d’établir à la seconde près la chronologie de l’intervention, qui n’a malheureusement pas réussi à sauver Antoine et Vincent.
Les djihadistes ouvrent le feu
C’est à 9h36 qu’est confirmé le «vert action », donnant le top départ de l’action des forces spéciales.
A 10h20, moins de quinze minutes après la fusillade contre les gendarmes nigériens, le convoi des ravisseurs est rejoint par les trois hélicoptères, volant à très basse altitude. Mais l’effet de surprise est raté. Garés à l’abri de la végétation, les djihadistes sont déjà en position de combat, débarqués des véhicules et prêts à tirer. Deux d’entre eux, jaillis du 4X4 blanc, se mettent à couvert sous les arbres. Trois autres se postent devant le véhicule des otages. Le premier hélicoptère est pris à partie. Il reçoit une vingtaine d’impacts d’AK47. Ses deux tireurs d’élite, l’un couché à plat ventre, l’autre adossé à la carlingue, un pied sur le patin, devant les portes ouvertes, ripostent et placent un tir de neutralisation dans le moteur du 4X4 blanc, pour l’immobiliser. L’ordre n’est pas de détruire ce véhicule mais bien de le stopper.
Pendant ce temps-là, à 10h23, le deuxième Cougar dépose le premier groupe de commandos à 50 mètres du 4X4 blanc. Il s’agit d’attirer le feu des ravisseurs et de progresser au plus vite vers les otages pour les mettre en sécurité. Mais ce groupe est pris à partie immédiatement et doit reculer. L’un des commandos est blessé par un tireur couché sur le sable. Le groupe se replie donc en arrière pour mettre le blessé à l’abri.
Le deuxième groupe de commandos est déposé également en retrait, à 300 mètres du 4X4 blanc, car le troisième Cougar, qui les transporte, essuie des tirs et doit s’éloigner à distance de sécurité. Le pilote est blessé à son tour. Les hommes progressent à pied vers le 4X4 blanc, mais lentement, en raison des coups de feu qui retentissent, semblant venir du véhicule des otages.
Un pilote d’hélicoptère blessé
Entre 10h27 et 10h30, les fusillades se poursuivent. Un appui du premier Cougar est demandé par les commandos au sol. Le serveur de la mitrailleuse embarquée tire sur le pick-up beige, chargé de trois fûts de 200 litres d’essence, qui s’embrase immédiatement, à 10h30. Il enchaîne avec un tir aux alentours du pick-up bleu, d’où partent certains tirs et vise un combattant djihadiste, sans savoir s’il l’a touché.
A 10h33, le 4X4 blanc s’embrase aussi, après d’intenses échanges de tirs d’armes légères entre djihadistes et commandos français. Une colonne de fumée noire s’élève. Survolant le véhicule après ses manœuvres de tir, le serveur de la mitrailleuse remarque à deux reprises la portière arrière droite ouverte et un corps inerte face contre terre, jambes noircies à l’intérieur.
A 10h35, la surveillance aérienne repère cinq hommes s’éloignant en courant de la scène de guerre, vers l’est, prenant soin de se dissimuler au ras du sol en contrôlant leurs arrières.
Ratissage de la zone
Dès lors, si la scène continue de crépiter du bruit des nombreuses munitions qui éclatent sous l’effet de la chaleur, la situation se calme. Le soldat blessé est évacué en hélicoptère. Et juste après, à 10h52, un troisième groupe de commandos parachutistes est largué sur place, pour renforcer le dispositif, toujours sans nouvelle de la colonne de Belmokhtar repérée dans la région, tandis que les trois hélicoptères, à court de carburant, ont dû partir d’urgence se ravitailler à Menaka.
A 11h00, les militaires ratissent la zone. A pied, il n’est pas question de se lancer à la poursuite des djihadistes, qui se sont enfuis dans la brousse en profitant de la confusion et de la poussière soulevée par les Cougars.
C’est alors que les soldats français découvrent les corps.
Vincent, le bas du corps calciné, avec plusieurs plaies par arme à feu, à l’arrière du 4X4 blanc détruit et Antoine, 300 mètres à l’arrière des véhicules, avec une plaie par balle à l’arrière de la tête. Leurs mains sont entravées. Deux gendarmes sont retrouvés mort dans la caisse du pick-up bleu. Abdou Alfari Siddo a eu la tête arrachée par une munition de gros calibre et le capitaine Aboubacar Amankaye est décédé entre les mains du médecin du détachement, d’une plaie par balle à la tête. Les deux derniers, à en croire la revendication d’Al Moulathamoune, sont Mohamed Ben Hamd Al Azawadi, Malien, et Moustapha Al Ansari, Nigérien, tous deux tués armes à la main. .