Saïd Bouteflika, les généraux « Toufik » et Tartag, Louisa Hanoune (de gauche à droite)
Le revirement de la cour militaire algérienne, qui a acquitté, samedi 2 janvier, Saïd Bouteflika, deux généraux et une femme politique, dans un procès pour « complot« , n’a rien d’inédit. Pour le chercheur Kader Abderrahim, cela s’inscrit plutôt dans la continuité « d’une mascarade de justice« .
La cour militaire de Blida a prononcé, samedi 2 janvier, l’acquittement de Saïd Bouteflika, frère de l’ex-président, Abdelaziz Bouteflika, des généraux Mohamed Mediène, dit « Toufik », ex- chef des renseignements, et son ex-bras droit Athmane Tartag ainsi que de la militante trotskyste Louisa Hanoune. Les quatre avaient été condamnés, en septembre 2019, à quinze ans de prison pour « complot » contre l’armée et l’Etat. Saïd Bouteflika reste emprisonné, dans une prison civile cette fois, dans l’attente d’un procès pour d’autres affaires liées à la corruption. Le général Tartag reste lui aussi en prison, faisant l’objet d’autres poursuites devant la justice militaire. En revanche, le général « Toufik » retrouve sa liberté. Louisa Hanoune avait, elle, été libérée le 10 février 2020 après avoir purgé sa peine réduite à trois ans dont neuf mois fermes en appel.
Pour Kader Abderrahim, directeur de recherche à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE) et auteur de Géopolitique de l’Algérie (Bibliomonde, mars 2020), « il s’agit pour ce système de se maintenir quoi qu’il en coûte.«
Peut-on qualifier ces acquittements de surprise ou ces décisions étaient-elles attendues ?
Kader Abderrahim : Pour remettre en contexte, ces procès, ces accusations, à l’encontre de Saïd Bouteflika et des trois autres personnages acquittés samedi, ont été élaborés sous la pression de l’ancien chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah [décédé le 23 décembre 2019]. Après le retrait d’Abdelaziz Bouteflika, il était devenu l’homme fort du régime. Pour renforcer son pouvoir, il avait besoin d’écarter l’ancienne équipe aux manettes et de les pousser vers la sortie. C’est l’une des raisons essentielles de ces procédures.
Maintenant, dire que cette sentence était attendue, non, mais elle ne constitue pas du tout une surprise, compte tenu de cette mascarade qu’est la justice algérienne. On ne sait pas ce qu’il se trame, ce qu’il se joue tellement ce régime politique demeure opaque. Pour les Algériens comme pour les observateurs, il est difficile de relier les événements entre eux. Une chose est sûre, c’est qu’il s’agit, pour ce système, et depuis l’indépendance, de se maintenir quoi qu’il en coûte.
Ce revirement de la « justice du téléphone » n’est pas sans précédent. S’agit-il ici d’un « événement » conjoncturel, alors que le président Tebboune est de retour après une longue absence et qu’il a promulgué l’amendement constitutionnel ?
Cet acquittement soudain rappelle le cas de l’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, en fuite en Espagne pendant dix-huit mois, avec un mandat d’arrêt international contre lui, qui a fait son retour comme si de rien n’était à Alger à la mi-décembre après que toutes les charges aient été abandonnées.
Dans le fond, tout est lié. Mais c’est donner un sens rationnel à cet ensemble de faits qui est difficile. On ne comprend pas. On ne sait pas pourquoi Saïd Bouteflika a été accusé des pires maux de la Terre, traîné dans la boue, objet de la vindicte populaire pendant des mois avant que ne soient subitement annulées toutes les charges contre sa personne.
Cette explication ne concerne qu’un très petit nombre de personnes, lesquelles sont les acteurs de ce jeu d’ombre, prenant part à une partition à laquelle nous sommes étrangers.
Cela suffit-il à conclure que la présidence d’Abdelmajid Tebboune est dans la continuité de celle de son prédécesseur ?
Il n’y a aucun changement notable sous la présidence d’Abdelmajid Tebboune. Il est un pur produit du système, ne disposant d’aucune marge de manœuvre, choisi pour interpréter un personnage pâlot, qui ne risque pas de remettre en cause le fonctionnement du régime.
Acquitter ceux qui symbolisent le régime algérien s’avère-t-il être un pied de nez au Hirak ?
Il n’est pas seulement question d’un pied de nez mais bien d’un mépris souverain pour les institutions du pays. Quant à la population, elle est toujours extrêmement marginalisée et jamais sollicitée sur ce genre de décision. A vrai dire, pour les Algériens, cet acquittement ne change rien car il y a bien longtemps qu’ils se sont détournés de tout cela. Ils sont sans illusion sur les élites politiques et le Hirak, cette expression massive de rejet de ceux qui dirigent, en a été la meilleure illustration.
*Source : TV5MONDE